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vingt-cinq; c'est l'âge le plus critique, parce que les paffions y font vives, & que la raifon n'eft pas affez formée pour les contenir dans de juftes bornes. La jeuneffe eft depuis vingt-cinq jufqu'à quarante ; c'est le regne de l'ambition & du travail. L'âge mûr eft depuis quarante jufqu'à foixante; c'eft l'âge de la raifon, & le tems de la récolte. La vieilleffe eft depuis foixante jufqu'à quatre-vingt-dix ; c'eft le temps de la retraite & du repos, le temps fait pour jouir des fruits du travail & de l'expérience. Après, viennent la caducité & la décrépitude, qui entraînent à leur fuite les infirmités & la mort (a).

(a) Le Pere Brumoi, que j'aurai occafion de citer plus d'une fois, fait ainfi le portrait des quatre âges dans fon poëme des paffions: ouvrage auffi profond & utile qu'agréable.

L'homme commence- t - il d'articuler des fons, & de former des pas affurés fes petites paffions ont le brillant des éclairs, & la vivacité d'une flamme qui s'élance des cendres fous lefquelles le feu fembloit affoupi, fa colere étincelle & fe calme tout-à-coup; il brûle s'il n'obtient à l'inftant ce qu'il defire ; il l'obtient, il le quitte; il tremble dans les ténébres; il rougit & pleure fi on lui fait fentir fa faute; fouvent la honte étouffe fes paroles; il eft fenfible à l'émulation de furpaffer fes pareils; toujours en mouvement, il court & faute dans la maison paternelle; il conftruit de petits châteaux; il aime à imiter les quadrupedes en marchant ou les cavaliers en traînant un bâton; il paffe à fon gré des ris aux larmes, & le paffage eft court; il varie, en un mot, &

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change felon le caprice qui le guide.

Eft-il arrivé à l'adolescence & fes paffions fe font accrues comme fes formes; fon mobile coeur eft agité de flots de l'erreur & du vice: prompt à fecouer le joug & à rire des con. feils fenfés d'un pere vieilli, il fe plaît dans les feftins & dans les affemblées de plaifir: prodigue & peu inquiet fur l'avenir il confume les biens paternels, & ne connoît d'autres loix que celle que lui dicte une impétueufe paffion: incapable de fe tenir en place, ardent à chercher des querelles & à fe venger, hardi jusqu'à méprifer les glaives, plein de folles chimeres, courageux jufqu'à la témérité, il femble puifer une grande ame du jeune fang qui boût dans fes veines.

Les années, qui s'envolent, lui enlevent, avec la fleur de la jeuneffe, le feu des paffions étourdies. L'âge mûr fait fuccéder le férieux à la bagatelle, & le devoir aux folâtres plaifirs. L'homme dans fa maturité prévoit les événemens & leurs

conféquences il s'étudie à plaire, à s'infinuer dans la faveur, à fe faire une route aux grands emplois, à fuivre la fortune & l'ambition; il fe reproduit lui-même dans une famille nombreuse, dont il devient le chef & l'appui.

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Mais, tandis que ces tendres foins le tiennent en haleine il court à grands pas dans le chemin facile qui mene à la trifte vieilleffe. Arrivé à ce terme, fon efprit & fon corps commencent à fe glacer; fa tête & fes joues fe couvrent de neige: il fe hâte lentement: fuperftitieux & ridicule à l'excès, il craint tout fans raison; un effaim de foucis l'affiège, soit quand il fe

cantonne dans le rempart de
fes tréfors, pauvre, hélas! au
milieu des monceaux d'or qu'il
a accumulés pour d'autres que
pour lui; foit quand un long.
espoir lui fait porter au loin
fes regards dans des années
qu'il ne verra pas, ou qu'une
envie fecrette lui fait blâmer
les doux momens dont abuse
la jeuneffe. Tant il eft vrai que
les paffions, iffues du corps hu-
main, en fuivent la naiffance,
le progrès, la décadence & la
deftinée.

Nous arrivons tout nouveaux aux divers âges de la vie, dit M. de la Rochefoucault; & nous y manquons fouvent d'expérience, malgré le nombre des années. AIMABLE.

Voici de quelle façon M. Duclos peint ce que l'on appelle des aimables. L'homme aimable, du moins celui à qui l'on donne aujourd'hui ce titre, eft fort indifférent fur le bien public: ardent à plaire à toutes les fociétés où fon goût & le hafard le jettent, & prêt à en facrifier chaque particulier, il n'aime perfonne, n'eft aimé de qui que ce foit; plaît à tous, & fouvent eft méprifé & recherché par les mêmes gens.

Par un conrrafte affez bizarre, toujours occupé des autres, il n'eft fatisfait que de lui, & n'attend fon bonheur que de fon opinion; fans fonger précifément à leur estime, qu'il fuppofe apparemment, ou dont il ignore la nature, le defir immodéré d'amufer l'engage à immoler l'objet qu'il eftime le plus, à la malignité de ceux dont il fait le moins de cas: tel eft enfin dans ce caractère l'affemblage de vice,de frivolité & d'inconvéniens, que l'homme aimable

eft fouvent l'homme le moins digne d'être aimē

AIRS, MANIERE S.

L'air, dit M. l'Abbé Girard, femble être né avec nous, il frappe à la premiere vue; les manieres viennent de l'éducation, elles le développent fucceffivement dans le commerce de la vie.

Il y a un bon air à toute chofe, qui eft néceffaire pour plaire; ce font les belles manieres, qui diftinguent l'honnête-homme.

L'air dit quelque chofe de plus fin, il prévient; les manieres difent quelque chofe de plus folide,elles engagent: tel qui déplaît d'abord par fon air, plaît enfuite par les manieres.

Les airs de grandeur, que nous nous donnons,ne fervent qu'à faire remarquer notre petiteffe, dont on ne s'appercevroit peut-être pas fans cela. Les mêmes manieres, qui conviennent quand elles font naturelles, rendent ridicule quand elles font affectées.

Il eft affez ordinaire de fe laiffer prévenir par l'air des perfonnes, ou en leur faveur ou à leur défavantage; & c'eft prefque toujours les manieres, plutôt que les qualités effentielles, qui font qu'on eft goûté dans le monde, ou qu'on nel'eftpas. VoyezMANIERES.

Tous les différens airs des perfonnes de différente condition, dit le pere Mallebranche, font des fuites naturelles de l'eftime que chacun a de foi-même par rapport aux autres, comme il eft facile de la reconnoître fi on y fait un peu de réflexion. Ainsi l'air de fierté eft l'air d'un homme qui s'eftime beaucoup, & qui paroît faire peu de cas de l'eftime des autres. L'air modefte eft l'air d'un homme qui s'eftime peu, & qui eftime affez les autres. L'air grave eft l'air d'un homme qui, quelquefois, s'eftime beaucoup, & qui defire d'être eftimé. Et l'air simple, ces

lui d'un homme qui ne s'occupe guere de foi ni des autres. Ainfi tous les différens airs, qui font prefque infinis,ne font que des effets,que les différens degrés d'eftime que l'on a de foi & de ceux avec qui l'on converfe, produifent naturellement fur notre vifage, & fur toutes les parties extérieures de notre corps.

AISANCE.

L'aifance, dans les manieres, est un agrément qui accompagne toutes nos actions, & qui confifte furtout dans la facilité, la promptitude & la grace des mouvemens du corps. L'aifance dans la fortune eft cet heureux état de médiocrité qui fait le bonheur de l'homme & l'ambition du fage: elle est entre le néceffaire & le fuperflu.

AMBITION.

L'ambition eft un defir violent de parvenir aux honneurs & aux dignités. Elle est aisée à reconnoître pour un ouvrage de l'imagination, dit M. de Fontenelle; elle en a le caractere: inquiete, pleine de projets chimériques, elle va au-delà de fes Touhaits; dès qu'ils font remplis, elle a un terme qu'elle n'attrape jamais. C'eft la maladie de l'efprit la plus incurable. Les autres paffions fe calment par l'acquifition du bien qu'elles pourfuivent; mais la foif de l'ambitieux reffemble à celle de l'hydropique, elle s'irrite & s'accroît à mesure qu'on cherche à la fatisfaire.

Le fage, dit M. de la Bruyere, guérir de l'ambition par l'ambition même : il tend à de fi grandes chofes, qu'il ne peut fe borner à ce qu'on appelle des tréfors, des poftes, la fortune & la faveur. Il ne voit rien dans de fi foibles avantages, qui foit assez bon & affez folide pour remplir fon coeur, & pour mériter

fes foins & fes defirs; il a mêine befoin d'efforts pour ne les pas trop dédaigner. Le feul bien capable de le tenter, eft cette forte de gloire qui devroit naître de la vertu toute pure & toute fimple; mais les hommes ne l'accordent guere, & il s'en paffe.

L'ambition modérée, qui n'emploie que des moyens légitimes pour parvenir, eft ce qu'on nomme émulation; & c'eft pour lors une vertu qui concourt au bien de la fociété, & conféquemment au bonheur de celui qui l'exerce. Voyez EMULATION.

La fortune, le pouvoir, l'autorité font des biens du fecond ordre, & qui, comme utiles, méritent d'être recherchés, ou comme des moyens de conferver le bonheur foit à nous-mêmes, foit aux autres: négliger de les acquérir, celt s'expofer aux tentations de la pauvreté, rifquer fon indépendance, & par-là nous rendre inutiles & méprifables dans la focrété. C'eft une chofe louable d'afpirer à une plus grande confidération pour conferver la plus noble des facultés, le pouvoir de faire du bien.

A ME.

L'ame eft cette partie de nous-mêmes qui fent, qui penfe & qui commande au corps. L'ame, confidérée par la faculté de fentir, s'appelle cœur, l'ame, confidérée par la faculté de penfer, fe nomme efprit.

Le rapport intime que l'ame a avec le corps, dont elle eft dépendante pour les opérations, a fait croire à quelques philofophes, & entr'autres à Ariftoxenus, que l'ame n'étoit qu'une harmonie réfultante des opérations du corps; ce qui pourroit fe concevoir de l'ame fenfitive: mais cette opinion eft infoutenable, lorfqu'il eft queftion de l'ame intelligente; car comment concilier, dans ce fyftême, les oppofitions fen

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