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sons, c'est donc la raison des idées qui doit être l'objet de nos recherches.

Si nous connaissions la raison de toutes nos idées, nous connaîtrions, en effet, la raison des choses, autant qu'il est donné à notre faible nature de la pénétrer (1).

La raison des idées se trouve dans leur origine et leur génération : elle nous sera connue, si nous découvrons la manière dont les idées naissent successivement les unes des autres; car, lorsqu'en remontant d'idée en

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(1) Cela ne veut pas dire que les choses en ellesmêmes ne diffèrent pas des idées que nous en avons et que la réalité des êtres consiste à être aperçus, comme l'ont avancé quelques philosophes cela, signifie seulement,' que les choses ne sont pour notre intelligence, que ce que nous en connaissons.

Après avoir confondu les idées des choses avec les choses elles-mêmes, on a confondu ces mêmes idées, avec la certitude que nous avons de l'existence des choses. Mais, pour ne citer qu'un exemple, nous avons tous la certitude qu'il existe une force qui porte les corps vers le centre de la terre, quoique personne ne connaisse cette force, quoique personne n'en ait idée.

Existence, connaissance, certitude, sont trois mots, les deux premiers surtout, qui ne peuvent être synonymes dans aucune langue.

idée jusqu'à celle qui est la première de toutes, et dont il ne faut pas demander la raison, nous nous sommes assurés de l'origine immédiate de chaque idée en particulier; alors, nous voyons que chaque idée est engendrée par celle qui la précède, et qu'elle engendre celle qui la suit; et, par conséquent, qu'elle a sa raison dans celle qui la précède, et qu'elle est elle-même la raison de celle qui la suit.

Or, apercevoir que certaines idées ont leur raison dans celles qui les précèdent, et qu'elles sont elles-mêmes la raison de celles qui les suivent, c'est raisonner.

L'étude de l'origine et de la génération des idées, la métaphysique, ou l'étude de la raison des idées, ou l'étude de la raison. des choses, ou, le raisonnement, le raisonnement en action, c'est donc une même chose.

Et, puisqu'il est vrai que toute théorie suppose quelque pratique, la logique, ou la théorie de l'art de raisonner, ne peut venir qu'après la métaphysique, qui en est la pratique. En disposant ainsi les parties de notre enseignement, nous avons assigné à chacune sa véritable place. Nous nous sommes conformés à l'esprit du fondateur de la philosophie

en Europe. « La philosophie doit commencer par la métaphysique, qui contient les principes de la connaissance.» (DESCARTES, Préf. des principes.)

Que si, malgré tous ces motifs, il pouvait rester quelque doute; si cette considération, que nous ne sommes plus des enfans au moment où nous allons recevoir les premières leçons, conservait une partie de sa force; si l'on persistait à juger que des réflexions sur la manière de régler nos facultés ne sauraient être mieux placées qu'à l'entrée de la philosophie, voici un moyen qui peutêtre conciliera tout.

Accordons, puisqu'on le veut, que des observations sur le raisonnement ne seraient pas anticipées, quoique présentées dès le début : accordons qu'il serait temps de nous faire remarquer enfin que, depuis vingt ans, nous faisions des raisonnemens comme de la prose, sans le savoir.

Mais, en faisant de pareilles concessions, nous sommes loin de penser que le moment soit venu de chercher à nous faire connaître tous les artifices, soit de la prose, soit des vers; ce que la méthode de Newton et celle de Corneille ont de commun, et ce qu'elles ont de particulier; ce que le raisonnement est

dans son essence, et ce qu'il est dans ses formes; ce qu'il ajoute, ce qu'il peut ajouter à nos premières idées, à nos premières perceptions de rapport, etc. Ces questions et plusieurs autres non moins importantes veulent des esprits long-temps exercés, longtemps nourris de la lecture des poëtes et des orateurs, autant que de celle des philosophes.

J'ai donc pu, vous trouverez peut-être que j'ai dû, consacrer ma première séance, à la méthode, ( 1".p., leç. 1). J'en ai montré d'abord ce qui m'a paru nécessaire pour l'intelligence des leçons qui allaient suivre, me proposant de reprendre ce sujet, lorsque nous serions mieux placés pour lui donner tous ses développemens. Cependant, je n'ai guère manqué l'occasion de vous faire sentir combien il est avantageux de nous rendre compte de ce que nous faisons, quand nous pensons et quand nous raisonnóns. L'esprit acquerra toute la perfection à laquelle il peut aspirer, si, de bonne heure, il remarque ses manières d'agir, pour les répéter dans les mêmes circonstances, quand elles auront déjà produit un bon effet; pour s'en abstenir, quand elles n'auront pas été suivies du succès. C'est à cette habitude de nous observer, que

nous devons tout; et ne croyez pas que ce soit un travail sans fin; la bonne méthode une fois acquise ne se perd plus, elle nous sert comme à notre insu. A la vérité, dans les commencemens, elle exige quelques soins ; mais qui pourrait s'en plaindre, quand elle ne les exige qu'une fois, et qu'elle nous en récompense à chaque moment de la vie?

C'en est assez pour dissiper les doutes qu'aurait pu nous laisser la première partie de l'objection qu'on nous a faite; venons à l'autre.

Vous auriez dû, nous dit-on, présenter d'abord le tableau des sensations, et le faire suivre immédiatement de celui des idées.

Qu'aurais-je pu vous apprendre sur les sensations considérées en elles-mêmes, et indépendamment des idées auxquelles elles donnent lieu ? que les unes sont agréables, les autres désagréables ? qu'on les distribue en autant de classes que nous avons de sens? qu'en général elles ont plus de vivacité dans l'état de santé, et dans la jeunesse, que dans un état de langueur, et sur la fin de la vie? Vous m'auriez difficilement pardonné ces paroles oiseuses, et j'ai dù vous en faire grace.

Aurait-on désiré la description des orga

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