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raisonnemens qui demandaient à être rapprochés pour se prêter un appui mutuel. Maintenant qu'à l'exception des idées innées, dont je parlerai à la prochaine leçon, j'ai fait connaître suffisamment quelle est ma manière de concevoir les premiers développemens de l'intelligence, je puis et je dois chercher à acquitter ma promesse.

Première objection contre l'ordre de nos leçons. Vous avez divisé la suite de vos leçons en deux parties. Dans la première, vous avez cherché à nous faire connaître les facultés de l'ame humaine, mais d'une manière spéciale, les facultés de l'entendement. Dans la seconde, vous traitez des idées.

N'eût-il pas été mieux de nous donner des règles pour conduire l'esprit, avant de l'appliquer à une étude aussi difficile que celle de l'entendement et celle des idées; et dans cette étude, n'était-il pas naturel de porter d'abord notre attention sur les idées, qui sont le produit de l'action des facultés de l'entendement, plutôt que sur l'entendement luimême, s'il est vrai que l'esprit humain, dans ses recherches, doive aller des effets à leurs causes?

"

Ce n'est pas tout comme il est indubita

ble que nous avons senti avant de connaître, nous sommes fondés à penser que vous auriez dû prendre les sensations pour votre point

de départ.

Ainsi donc, en plaçant la métaphysique avant la logique; et, dans la métaphysique les facultés de l'àme avant les idées, vous faites un double renversement d'ordre; et, en négligeant les sensations dès l'entrée, tout ce que vous voudrez nous enseigner manquera

de base.

Réponse.Disposer les parties de la philosophie, de telle manière que l'étude de la métaphysique précède celle de la logique, c'est vouloir connaître la formation des idées avant de chercher le mode de leur déduction; c'est faire agir la pensée avant de se demander si son action peut être assujettie à des lois ; c'est raisonner avant de s'occuper des règles du raisonnement.

Cette marche ne vous semble-t-elle pas bien naturelle? ne dirait-on pas même qu'elle est obligée, puisqu'il est absolument nécessaire d'avoir agi, avant que l'idée de régula riser l'action puisse nous venir dans l'esprit ? Les poëmes, quelques poëmes du moins, ont précédé les poétiques: les langues ont précédé les grammaires; et, en général, toute prati

que a existé avant qu'on pût imaginer des théories.

Comment donc se fait-il que, même dans les traités de philosophie les plus estimés, on renverse un ordre que la nature semble avoir établi elle-même, et que les règles des syllogismes qui, certes, ne sont pas la première découverte de la philosophie, soient pourtant une des premières choses qu'on nous enseigne? Il faut bien que cet usage soit fondé sur quelque motif, puisque nous le voyons suivi par des hommes d'un grand

mérite.

Vous allez juger si l'on n'a pas trop donné à une considération, qu'il ne fallait pas négliger sans doute, mais qu'il fallait contre-balancer par d'autres considérations.

Les jeunes gens qui se présentent à nos écoles n'arrivent pas avec un esprit tout neuf; ils ne sont pas comme la table rase d'Aristote; ils ont déjà étudié les langues anciennes, la littérature, l'histoire, les mathématiques; ils ont beaucoup pensé, beaucoup raisonné, long-temps, en un mot, exercé leurs facultés intellectuelles. On a donc cru devoir se håter de leur faire connaître les lois de la pensée, de leur dévoiler l'artifice des formes du raisonnement.

Si, en effet, ils n'avaient que des idées justes et des habitudes droites, rien ne serait plus sensé que de leur faire remarquer d'abord, comment ils se sont conduits pour acquérir ces idées, pour contracter ces habitudes. Des réflexions sur les procédés qui auraient amené de si heureux résultats, leur feraient sentir le besoin de perfectionner encore ces procédés; elles les mettraient sur la voie de découvrir de nouvelles méthodes, pour les nouvelles études auxquelles ils se destinent.

Il s'en faut que nos esprits se trouvent aussi bien disposés, lorsque des études de l'enfance et de la première jeunesse nous passons à l'étude de la philosophie. On a mis sous nos yeux un grand nombre d'objets, il est vrai : plusieurs sciences ont successivement appelé notre attention; mais ce que nous savons, l'avons-nous appris, ou nous l'a-t-on appris? Les idées qui nous sont devenues les plus familières, sont-elles notre ouvrage, ou les reçûmes-nous toutes faites ? Sont-elles le produit de la réflexion, ou ne sont-elles que déposées dans la mémoire? Chacun peut répondre, d'après son expérience personnelle. Je ne nie pas les exceptions; je dis qu'il ne faut pas se régler sur les talens privilégiés.

On voit donc qu'avant de chercher des méthodes pour conduire l'esprit, des règles pour assurer le raisonnement, des moyens pour le vérifier, il faut commencer par faire agir l'esprit, par raisonner, et par bien raisonner, si nous pouvons.

S'il existait une science qui, plus que toute autre, fût le raisonnement en action; si, en même temps, cette science bien exposée était` la plus facile de toutes, quoiqu'on ne s'en doutât pas; si c'était celle que tout le monde aime le mieux, quoiqu'on s'en doute moins encore; que pourrions-nous faire de plus utile et de plus agréable que d'apprendre une pareille science pour nous préparer à la théorie dn raisonnement?

De tous les objets qui intéressent la curiosité de l'homme, aucun ne l'attire avec un charme aussi puissant que la connaissance de la raison des choses: les sages de tous les siècles en ont fait leurs délices. L'enfant commence à peine à bégayer, qu'il demande la raison des choses. Pourquoi est un des mots qui sortent les premiers de sa bouche, un de ceux qu'il répète le plus souvent ; et la philosophie n'a été créée que pour répondre à sa question. Or, comme nous ne pouvons juger des choses que par les idées que nous nous en fai

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