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pas de le dire: si Gondillac n'avait pas changé son analyse, il aurait dû la changer.

Terminous enfin cette discussion. Peutêtre suffira-t-elle pour dissiper les doutes qui vous inquiétaient.

Alors, vous n'hésiterez plus à blamer les fausses méthodes, qui commencent par nous surcharger de règles qu'on n'applique pas, et que souvent on ne saurait appliquer.

Vous comprendrez mieux la nécessité de soigner les expressions et le langage, si vous voulez que votre raisonnement ait de l'exactitude et de la précision.

Pénétrés de cette vérité, que toutes les connaissances humaines, ont leur source dans le sentiment, vous observerez sans cesse vos différentes manières de sentir: vous en ferez l'objet continuel de votre pensée; et vous vous enrichirez tous les jours de nouvelles idées sensibles, de nouvelles idées intellectuelles, et de nouvelles idées morales.

La nature a dit aux hommes: Je vous fais présent du sentiment. Cultivez, ce germe précieux. Il se développera en rameaux féconds. Il produira pour vous l'arbre de la science.

Tout ce qui n'a pas ses racines dans le sen

timent, comme tout ce qui s'élève au-dessus du sentiment, sera inaccessible à votre intelligence. Qu'il le soit à votre curiosité. Ne cherchez donc pas la raison de ce qui est hors du sentiment: ne cherchez pas la raison du sentiment lui-même (1. part., p. 416). Je me suis réservé la connaissance des premiers principes. C'est mon secret.

Et ne vous plaignez pas des bornes que je vous prescris. Ne dites pas qu'elles sont trop rapprochées du point où je vous ai placés; car elles fuiront toujours devant vous. Ne dites pas, surtout, que je me montre envers vous trop peu libérale. Les conquêtes du génie, et les travaux des siècles n'épuiseront jamais les trésors que recèle le sentiment.

NEUVIÈME LEÇON.

Des idées innées.

La leçon que je me propose de faire aujourd'hui, pourra vous paraître extrêmement abrégée; car elle comprend la matière de plusieurs leçons. Nous aurons des systèmes à exposer: nous aurons de l'historique, du polémique nous aurons des erreurs de fait à redresser; et, enfin, nous dirons ce qu'il nous semble qu'on doit penser des idées innées. Je commence, sans autre préambule.

Il y a deux opinions principales sur l'origine des idées.

D'un côté, les idées nous viennent toutes par les sens, ou des sens, ou des sensations : Il n'y a rien dans l'intelligence, qui n'ait été auparavant dans les sens, ou dans le sens; nihil est in intellectu quod priùs non fuerit in sensibus, in sensu. Les partisans les plus célèbres de cette opinion, ceux qui la regardent comme une vérité fondamentale,

sont, parmi les anciens, Démocrite, Hippocrate, Aristote, Epicure et Lucrèce; dans le moyen âge, les scolastiques, qui, tous, étaient péripatéticiens; et, plus près de nous, Bacon, Gassendi, Hobbes, Locke, et Condillac.

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De l'autre côté, les idées, plusieurs idées du moins, sont indépendantes des sens et des sensations; et la maxime, rien n'est dans l'intelligence, qui n'ait été auparavant dans les sens, loin d'être reçue comme un axiome, est rejetée comme une erreur manifeste. Cette seconde opinion est appuyée sur des noms aussi imposans que l'opinion contraire. Elle compte, parmi ses défenseurs, Platon et ses disciples, l'école d'Alexandrie, les premiers pères de l'Église; au renouvellement des sciences, quelques philosophes italiens; et, plus récemment, Descartes, Malebranche', Leibnitz, et tous les écrivains de Port-Royal.

Voilà de grands noms opposés à de grands noms, et si nous n'avions pour nous décider que des autorités, que pourrions-nous faire de plus sage que de rester en suspens? mais les autorités et les noms, ailleurs d'un si grand poids, doivent en philosophie céder à la raison; et la raison va nous dire que, pour trouver la vérité, il faut la chercher foin des disciples

d'Aristote, et plus loin encore des disciples de Platon.

Examinons le sentiment des premiers, et remarquons, d'abord, qu'ils ne sont pas uniformes dans l'interprétation de leur axiome.

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Les uns, n'ont pas craint d'avancer que toutes les idées nous viennent immédiatement des sens que des idées qui ne nous viendraient pas immédiatement des sens, ne seraient point, à proprement parler, des idées, mais des mots auxquels ne correspondrait rien de réel. Après tout ce que nous avons dit et démontré dans nos leçons précé dentes, je ne m'arrête pas sur une chose aussi évidemment fausse.

Les autres, et c'est le plus grand nombre, pensent avec Locke, avec Gassendi, que, des sens, il ne peut nous venir immédiatement que les premières idées, les idées sensibles; que les idées intellectuelles, et les idées morales, sont le produit de la réflexion appliquée, soit aux idées sensibles, soit aux opérations de l'esprit.

Ces derniers sont dans la nécessité de prouver que toutes, et chacune des idées qui sont dans notre intelligence, nous sont venues, ou par les sens immédiatement, ou par la ré

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