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celui des tuyaux acoustiques, et terminé comme eux par un petit pavillon. On prend ensuite un cylindre creux en cire, du calibre de la grosse tige sur laquelle on le glisse, en le fixant au point voulu.

Alors le phonographe est prêt à fonctionner. Le courant électrique met en avant la tige et le cylindre de cire qui la recouvre. On parle d'une manière distincte et forte devant le pavillon. Le style inscripteur trace sur la cire des traits imperceptibles à l'œil nu, traits qui correspondent aux moindres détails des vibrations produites. Le cylindre a reçu l'empreinte désormais indélébile qui conservera la parole humaine avec ce qui la rend personnelle : l'intonation, le timbre, la vitesse ou la lenteur, en un mot l'accent tout entier.

Pour faire revivre cette parole, on replace le cylindre sur la tige; on met en jeu un autre style, d'une construction un peu différente, qui retrouve et suit les traces du style inscripteur; un tube en caoutchouc, qui se ramifie en autant de branches qu'il est nécessaire, suivant le nombre des auditeurs, remplace le tube à pavillon. Ces tubes se terminent par de petites ampoules perforées qu'on place dans chaque oreille et la merveille s'accomplit: vous entendez d'une manière distincte et sans nasillement la phrase, le discours, le chant prononcés tout à l'heure. Grâce à un déclanchement opéré par une simple pression sur un levier, vous pouvez faire répéter un mot, une phrase, un passage, autant de fois qu'il vous conviendra. Le cylindre peut enregistrer un millier de mots. Les répétitions n'usent pas les traces on s'est assuré qu'on pouvait demander au cylindre des milliers de répétitions sans altérer ou affaiblir les sons.

Le cylindre très portatif, peut être placé dans une petite boîte et voyager par la poste. C'est une lettre d'un nouveau genre.

Le phonographe vibrant peut non seulement enregistrer tous les sons de l'échelle musicale et ceux qui sont amenés par le parler de diverses langues, mais encore les sons de tout un orchestre qui se présentent simultanément à l'inscription.

Les services que peut rendre l'instrument sont innombrables et précieux. Si les anciens l'avaient possédé, nous pourrions ressusciter en quelque sorte les grands orateurs, les poètes illustres : nous connaîtrions la vraie prononciation du latin et du grec nous saurions ce qu'était la musique des Hellènes. Dans des siècles, la postérité pourra évoquer la parole ou le chant des personnages ou des artistes contemporains ; elle saura comment Gounod accompagnait en le chantant, tel morceau de sa composition; comment Mounet-Sully disait tel passage d'Hamlet. L'acteur qui étudie un rôle, le chanteur qui cherche ses effets, l'orateur qui veut s'entendre et se corriger, auront recours au phonographe. Ceux qui aiment les boîtes à musique se formeront des collections étonnantes d'airs choisis, de morceaux interprétés par des virtuoses célèbres.

Les perfectionnements apportés au nouveau phonographe portent principalement sur trois points:

10. L'organe unique destiné à produire, sous l'influence de la voix ou des instruments, les impressions sur le cylindre et à reproduire ensuite les sons par l'action du cylindre, a été dédoublé. Ainsi, dans le

nouvel appareil, l'inscription de la membrane vibrante se fait au moy. en d'un style dont la pointe est façonnée de manière à entamer et couper la matière (cire) assez ductile et de consistance bien appropriée qui forme les nouveaux cylindres. Il résulte de cette action du style inscripteur un copeau d'une délicatesse extrême et sur le cylindre un sillon qui traduit les mouvements les plus délicats de la membrane vibrant sous l'action de son générateur.

Si le style inscripteur a été construit de manière à produire un sillon traduisant aussi rigoureusement que possible les mouvements de la membrane vibrante, le style et la membrane reproducteurs du son ont été combinés, au contraire, pour recevoir de ce sillon leurs mouvements vibratoires sans altérer celui-ci, et Edison a si bien atteint ce but, qu'on peut reproduire un nombre presque illimité de fois la parole inscrite sans altération sensible.

20. La substitution à la feuille d'étain d'une matière plastique qui se laisse découper avec une grande précision et sans exiger d'effort appréciable, est aussi fort heureuse.

30. Le troisième perfectionnement très important regarde les mouvements. Dans l'ancien appareil, c'était le cylindre inscripteur qui se déplaçait; dans le nouveau c'est le petit appareil qui porte les membranes et les styles. Le mouvement est donné par l'électricité. Un régulateur à boules muni d'un frein permet d'obtenir des vitesses variables et par suite, une émission des sons plus ou moins rapide.

Mais l'appareil est construit d'une manière si parfaite qu'on peut rapidement mettre en accord le mouvement de translation des styles et celui de la rotation du cylindre, accord qui doit être rigoureux pour la bonne émission des sons et la conservation des cylindres qui portent les inscriptions. Ainsi, l'on peut ralentir ou précipiter l'émission des sons, ou l'interrompre et la reprendre à tel point qu'on veut, ou encore recommencer l'émission tout entière autant de fois qu'on le désire. Le phonographe est surtout apte à reproduire avec une perfection surprenante les sons aigus, mais il reproduit assez bien les sons de la voix d'une tonalité assez basse. Edison a cherché, dans son nouvel instrument, à obtenir la perfection dans la reproduction des sons et non leur puissance; aussi doit-on toujours se servir des tuyaux acoustiques pour obtenir une bonne audition du phonographe.

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Qui sont sont-ils en France? combien sont-ils aujourd'hui ? et où les trouver ? C'est retrouver qu'il faudrait dire. En Chine, on n'aurait pas de peine à les qualifier; on les rangerait d'emblée dans la classe des Mandarins ou Lettrés d'Etat. En France, il n'existe point de Lettrés d'Etat ; il y a un peu partout des lettrés et des hommes bien élevés ; et pourquoi bien élevés ? parce qu'ils" ont fait leurs Etudes ". on disait encore au commencement de ce siècle. Or,ceux qui ont fait leurs Etudes sont des humanistes, humanistes dérivant d'humanités. Combien sont-ils aujourd'hui ? Encore assez nombreux, Dieu merci, pour qu'il ne soit pas nécessaire de les compter un à un, et d'en dresser une statistique exacte. On les rencontre par le monde assez communément : on les coudoie dans les compagnies, sans qu'ils soient pour cela de vos amis ou de votre monde habituel. On ne sait pas toujours leur noms, la profession qu'ils exerçent pas davantage. Et néanmoins un certain attrait de civilité fait que vous allez à eux comme de plain pied, et que et que vous liez propos avec ces inconnus. Ils ont de si bonnes façons ! Ils parlent un français qui ne sent ni son puriste, ni son grammairien breveté, le français de l'Isle-de-France, au moins ce qu'il nous en reste de la bonne époque. Avec eux on tombe encore dans la propriété des termes, on appelle les choses par leur nom, et le discours n'a rien perdu de ses délicatesses et de ses pudeurs; le sel gaulois, je ne dis pas les gauloiseries, n'en n'est pas ôté; il n'y a de retranché de la conversation de ces honnêtes gens que le jargon emphathique et vide et un certain argot des rues qui, dit-on, commence à se couler par toutes sortes de canaux secrets jusque chez le beau monde.

Quels sont donc ces hommes qui, n'étant affiliés à aucune francmaçonnerie, n'ayant à échanger ni signes convenus, ni mots cabalisti. ques, se recherchent, se joignent, et sont l'un à l'autre dès la première entrevue ? La politique, hélas ! les divise bien un peu. On est pour ceci contre cela; on n'entend pas de la même manière le bien public. Mais sur la morale, qui n'est ni cette chose-ci, ni cette autre, mais la chose de tout le monde, sur le bien et le mal, sur ce qui est honneur et ce qui est vilenie ces hommes n'émeuvent pas de disputes; tant ils sont de même sentiment, et tant les Belles-Lettres leur ont fait des mœurs pareilles et rempli leur esprit des notions lumineuses de l'honnête !

Tels sont nos humanistes, ceux que les lettres litteræ humaniores ont allaités, et par après nourris de leur moëlle la plus succulente. Ils ne sont pas tous des poètes de haut vol, des orateurs, des écrivains, des

philosophes chefs d'école. Un Etat, comme le faisait remarquer Richelieu, ne porterait pas cette multitude de génies; il n'aurait pas de quoi les faire subsister. Mais tous sont des hommes intelligents, aptes aux choses de leur profession, d'un commerce commode, et possédant cette science des mœurs qu'on acquiert à fréquenter les anciens, Grecs et Romains, science effective, et pas simplement idéale, qui nous met en état de connaître nos contemporains, et de nous gouverner nous-mêmes parmi cette diversité d'intérêts, d'humeurs, et de caractères. Nos humanités ne sont pas moins que cela, et ce n'est pas les surfaire que parler d'elles avec ce sentiment de leur grandeur traditionnelle et de leur importance sociale.

II

Quels sont donc ceux que nous appelons nos derniers humanistes, et quelle date assigner à ce dernier recrutement de nos humanistes ? Comme le déclin de nos études classiques n'a guère cessé depuis vingt ans, il est difficile d'en dire les degrés ou les nuances. C'est le déclin, voilà le fait, pour triste qu'il est, et tel que l'ont constaté d'année en année les juges les plus compétents et les plus autorisés. Il tombe sous le sens commun que les causes principales du déclin de toute institution qui a pour objet de former de bons esprit, ce sont les remuements incessants qu'on y fait en vue d'accommoder la chose à des "tendances nouvelles" (le mot est devenu sacramentel), nouvelles et prédominantes de l'esprit humain, comme si l'art de penser, où consiste toute la vertu des études classiques, admettait des modifications de fond et des changements de parties ou de procédés soi-disant plus ingénieux et d'une mise en pratique plus rapide. L'art de penser ne souffre pas qu'on le traite comme on fait pour les modes ou manières diverses de s'habiller; il ne comporte pas le renouveau d'agrément et d'élégances capricieuses. Il est et demeure l'art de penser avec toute son économie, avec ses commencements épineux, arides, d'assimilation lente et laborieuse, comme cela se dit de certains aliments, avec tout le labor improbus de la grammaire, et le temps aidant, ce maître des maîtres avec lequel nos pères comptaient, et avec lequel nous ne comptons pour ainsi dire plus. Encore un peu, et nous supprimerons par décret, avec motifs à l'appui, les douze premières années de l'enfant, le faisant sauter par dessus les éléments, et le mettant d'emblée au latin d'un Cicéron, d'un Virgile et d'un Tacite. Ne se passe-t-il pas déjà quelque chose de semblable dans notre enseignement secondaire, où les élèves d'humanités sont, à ce qu'il paraît, dressés à expliquer ces grands latins à vue de pays, et sans autre préparation qu'un acte de foi en leur propre suffisance? Mais nous ne pourrions en faire autant, nous autres latinistes émérites; et nous nous grattons encore la tête et nous nous rongeons les ongles, comme parle le poète, pour entendre à fond, et non par manière de devinette, une satire d'Horace ou une page des Annales de Tacite.

Non, l'art de penser veut plus de suite et de sérieux. Il ne roule pas sur ces explications dépêchées, où tout est donné au petit bonheur. Apprendre à penser, c'est proprement entrer en commerce d'esprit avec les grands écrivains de la Grèce et de Rome; c'est les pratiquer, au sens humain et social du mot. Et comment cela? En se rendant leur langue familière jusqu'à s'en approprier le génie, les tours et les élégances

par une imitation ingénieuse et spontanée. Les grands humanistes de la Renaissance, érudits, philologues et même gens du monde, n'en ont pas usé d'autre sorte avec les Grecs et les Latins. Eux-mêmes ils se sont fait Grecs et Latins pour s'humaniser intùs et in cute. Or, ce latin moderne n'est pas si méprisable qu'un Cicéron ne l'eut reconnu pour sien en plus d'un endroit. Ceux du XVIIe siècle, qui n'étaient pas sans doute des hommes mal élevés, ne maniaient pas trop mal le latin, quand ils s'y mettaient. Combien de grands noms à citer parmi les humanistes du grand siècle, ministres, généraux, magistrats, princes de l'Eglise, qui savaient le latin ad unguem, et qui l'écrivaient de même, non par pédanterie, mais pour ne pas quitter le commerce de leurs premiers maîtres en l'art de penser et de faire toutes choses avec bon sens, rectitude et vigueur.

III

Il n'y a pas plusieurs manières de définir les humanités, ni à se perdre dans les espèces. C'est l'art de penser, ou l'école universelle des esprits, hors de laquelle il ne se voit que des essais de culture hâtive, des expériences hasardeuses, des procédés mous et bénins commodes à la paresse et qui, s'abaissant aux infirmes, humilient et démontent les forts. Il n'y a pas non plus d'études libérales de l'ancien temps, et qui ne conviennent plus au nôtre elles sont ce qu'elles ont toujours été, une méthode admirablement propre à former de bons esprits et à promouvoir ceux de qualité supérieure: non pas qu'il s'agisse de créer une aristocratie de lettrés et d'idéalistes, mais simplement de ne pas laisser une société policée s'amoindrir et déchoir par la pénurie des talents. Or, cela ne manque pas d'arriver, quand les charges de l'Etat sont tombées en des mains indignes, et les professions mal tenues ou discréditées par leurs titulaires. Il va de soi que médiocrité et abaissement des études classiques signifient médiocrité et abaissement de la chose civile. Cela se sent, non pas tant à la petite qualité, voire même à la misère des épreuves probantes, Baccalauréat ès-lettres, Licence ès-lettres; cela se sent d'une manière encore plus topique au peu de latinité des écoliers de nos établissements publics, à la maigreur et à l'inanité de ces modernes nourrissons des Muses grecques et latines. Ceux-ci ne sauraient supporter de comparaison d'aucune sorte avec nos Humanistes de la première moitié de ce siècle et d'au-delà, tant la dégénérescence a été rapide !

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Les maîtres qui ont blanchi dans l'enseignement classique, et par les mains desquels ont passé de nombreuses générations universitaires, ont ce triste bénifice des ans, que personne plus qu'eux n'a voix au chapitre, lorsqu'il s'agit d'apporter des preuves de la décadence lamentable des Humanités. Ils ont les mains pleines d'élements de comparaison. Ils ont vu à l'œuvre les Humanités d'antan ; ils ont la mémoire encore toute charmée des compositions juvéniles de tels et tels rhétoriciens qu'ils pourraient nommer, et qui sont aujourd'hui les premiers dans leur partie, et quelques-uns parmi les premières de nos Compagnies lettrées et savantes. Ces compositions, dont le nombre et les espèces ont été brutalement réduites et les branches mères retranchées par le procédé du Scythe de la Fontaine, témoignaient de la vigueur naissante de ces apprentis penseurs et écrivains et 'd'un emploi des for.

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