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CARNET D'UN CURIEUX

LE THEATRE AU JAPON

Parmi les nations orientales, les Japonais sont certainement une des plus intéressantes. Tout en ayant appris la musique des Chinois, ils sont bien plus avancés ; ils sont essentiellement progressistes; il paraît même qu'il le sont trop.

Chaque voyageur raconte ce qu'il a vu, et en combinant les renseignements que j'ai recueillis de divers cotés, je pourrais faire un tableau presque complet; je me bornerai aujourd'hui à emprunter quelques détails à un article sur le théâtre japonais, publié par M. Lequeux, consul de France à Yokoama.

Le théâtre japonais comprend un parterre et un seul étage auquel conduisent deux escaliers, ou plutôt échelles, et où se trouvent l'amphithéâtre et les loges. Le parterre est divisé en carrés égaux formant chacun une loge ou plutôt une caisse pour quatre personnes, mais on s'y entasse volontiers six ou sept. Une fois que chaque famille est installée dans sa boîte, on n'en sort plus sans absolue nécessité, ce qui n'empêche pas, la représentation durant dix heures au moins, qu'il se fasse momentanément de nombreux vides à chaque entr'acte. Mais on mange là comme chez soi, on fume, on se met à l'aise. Il n'y a pas de siège, le Japonais ayant l'habitude de s'asseoir sur ses talons et pouvant garder cette position pendant une journée. Les têtes seules émergent au-dessus de la boîte.

J'ai lu quelque part que les spectateurs arrivent à leurs places par des passages suffisamment larges entre les rebords des rangées de loges et où circulent aussi dans les entr'actes les vendeurs de rafraîchissements et de comestibles. M. Lequeux ne parle que de deux passages en planches plus élevés que le fond des caissons et au niveau des séparations; ces passages courent d'un bout à l'autre de la salle, depuis les portes donnant dans le vestibule du théâtre jusqu'à la scène. Le public ne passe pas seul par là: pendant la représentation, la plupart des acteurs font leurs entrées et leurs sorties par le même chemin.

La mise en scène est étonnante d'exactitude. Si l'action se passe dans une maison, celle-ci est représentée tout entière avec ses abords et son voisinage. L'architecture japonaise se prête à ce système de décoration. Dans la réalité, quand une maison est grandement ouverte, il n'en reste guère que la charpente; on voit tout ce qui va et vient à l'intérieur. Il y a des changements à vue ; la scène avec ses décorations pivote sur elle-même par le mécanisme d'une plaque tournante qui en occupe toute l'étendue. Quelques décorations accessoires sont ajoutées sur les flancs.

M. Lequeux ne donne pas la composition de l'orchestre ; je la connais; mais il nous apprend que l'orchestre est dissimulé, sur la gauche et au niveau de la scène, derrière un décor à jour qui varie selon le théâtre de l'action. La musique joue presque sans discontinuer, accompagnant le dialogue d'une mélodie grave ou sautillante, triste ou gaie, discrète ou emportée, sourde ou bruyante, autant que possible selon le caractère de l'action. La musique sert à représenter aussi les murmures de la

nature; elle cherche des effets imitatifs : tempête, zéphyr, tonnerre pluie, cascade, courant léger, etc. Cela doit être encore plus enfantin que l'harmonie imitative au temps de Lully et de Rameau; cela doit même ressembler quelque peu à l'harmonie imitative de Biju dans le Postillon de Longjumeau.

Du côté opposé à l'orchestre, dans une logette fermée par un store, se tient le chœur, représenté par un personnage qu'on ne voit pas, mais qu'on entend souvent. Son rôle correspond assez exactement à celui du chœur dans la tragédie grecque ; mais il tient plus de place dans le drame japonais, tout en y restant modestement caché. Il représente le bon sens populaire et la morale commune; il explique surtout le développement du drame; il raconte au besoin ce qui se passe hors de la scène et dévoile les sentiments intimes des personnages. Le drame japonais, étant une image aussi fidèle que possible de la vérité, se déroule souvent et parfois pendant des scènes entières en simple pantomime.

Il y a des actes pendant lesquels les personnages n'échangent que quelques mots; les monologues sont rares et toujours parfaitement justifiés, ce qui n'est pas le cas chez nous. C'est alors qu'intertervient le chœur invisible; il récite ou plutôt psalmodie la pièce ; il explique la pantomime qui se joue devant les yeux du public sa voix expressive prend les intonations de circonstance; elle se fait terrible ou harmonieuse ; elle est généralement grave et devient parfois tout à fait chantante.

Les acteurs japonais sont d'excellents mimes; il atteignent, dans cet art, une perfection étonnante, grâce à laquelle un drame au Japon est intéressant, même pour l'étranger qui ne sait pas un mot de la langue.

Les rôles de femmes sont remplis par des hommes. Dans certains petits théâtres de genre, toute la troupe est féminine et les rôles d'hommes sont joués en travesti ; mais c'est un art inférieur. Dans tous les cas, les sexes ne sont pas mélangés au théâtre japonais. Au point de vue de la vraisemblance, la voix seule laisse à désirer, et encore certains artistes arrivent-ils à efféminer la leur d'une façon étonnante, sans parler de leur adresse à imiter les allures et les manières féminines.

Les acteurs japonais ne se bornent nullement à rendre la pensée d'un auteur; ils collaborent à sa pièce; il ne leur donne qu'une sorte de canevas, et ce sont eux qui composent la pièce. Il y en a qui apportent chaque jour, et souvent à l'improviste, des modifications ou des améliorations non seulement à leur jeu, mais encore à l'action et jusqu'au fond de l'intrigue. De la sorte, une pièce est jouée parfois devant le public pendant plusieurs semaines avant d'être définitive. Il faut que les artistes japonais soient des improvisateurs de premier ordre.

Naturellement les trois unités classiques sont inconnues au Japon. Une action en engendre une autre comme une vendetta corse et la pièce s'arrête uniquement parce qu'il faut faire une fin. Autrefois, les représentations commençaient dès le matin et se prolongeaient bien au délà du coucher du soleil ; elles pouvaient durer presque sans interruption

de quinze à dix-huit heures. Sous l'influence de la civilisation, les mœurs japonaises se sont modifiées; aujourd'hui, après dix heures de drame on croit en avoir assez; on commence plus tard et et l'on finit plus tôt. Depuis quelque temps dans les grands théâtres, la nuit venue on allume le gaz ; il y a une rampe comme chez nous. Dans les petits théâtres, on conserve l'ancien système : la salle et même la scène peuvent être dans l'obscurité ; on donne seulement à chaque acteur une sorte de groom qui lui tient continuellement sous le nez une lampe à réflecteur, fixée au bout d'un manche. Ce que le Japonais veut surtout voir au théâtre, ce sont les jeux de physionomie.

Il me reste à faire une question. S'il est vrai que, pendant une pièce, l'orchestre joue presque tout le temps et que la musique s'applique aux différentes phases de l'action, autant que cela se peut au Japon, qui la compose? Et si pendant plusieurs semaines les acteurs peuvent faire des changements au dialogue et même au fond de l'action, qu'advientil alors de la musique ? Il me semble plus probable, comme je l'ai déjà dit,qu'il y a différentes espèces de pièces et que, plus la musique y a d'importance, moins les acteurs peuvent en agir à leur fantaisie, comme chez nous, dans des vaudevilles ou des opérettes. Il y a des pièces où la musique fait seulement des intermèdes, mais il en existe aussi qui ont beaucoup de rapports avec nos opéras ; les paroles sont déclamées en une mélopée ; il y a même des choeurs à l'unisson. Un des ouvrages les plus populaires de ce genre a été traduit en anglais et publié à New-York avec une notation musicale.

A propos de livres et de journaux.

DEMANDES ET RÉPONSES

J. WEBER.

D-Quelles différences doctrinales y-a-t-il entre la Réforme Sociale et la Science Sociale ? Quelle est celle des deux Revues dont les doctrines se rapprochent le plus de celles de l'Univers ?-R. Les deux Revues sont à peu près dans le même esprit, dans la même doctrine. LaScience sociale est celle que nous recommanderions davantage.

D-Les articles publiés dans le Foyer par M. Rastoul sur les erreurs historiques de Victor Hugo dans son théâtre ont-ils paru en volume ?— R. Non. Ces articles ont paru dans trois numéros du Foyer.

D-Que valent les Nouveaux éléments d'histoire générale, d'après le nouveau programme pour l'examen du baccalauréat ès lettres, par D. Levi (Alvarès)? —R. Ouvrage imprégné de l'esprit rationaliste et protestant.

D-Dire ce qu'il est prudent de penser des divers travaux historiques de M. Thiers au point de vue de l'impartialité, de l'exactitude du récit, de la valeur des jugements portés sur les événements et les hommes de la Révolution et du premier Empire, enfin, au point de vue même de l'exécution littéraire ?- R. Au point de vue de l'impartialité, M. Thiers n'est rien moins qu'impartial; avec une modération affectée, il plaide toujours en faveur des révolutionnaires les circonstances

atténuantes-Au point de vue de l'exactitude du récit, M. Thiers laisse beaucoup à désirer; soit légèreté, soit parti pris, les erreurs de faits sont nombreuses et parfois importantes. Dans un travail publié jadis par l'Univers, M. Eugène Veuillot a relevé bien des erreurs, dont certaines sans doute voulues, au sujet des guerres de Vendées-Au point de vue de la valeur des jugements, M. Thiers ne mérite aucune confiance; il a pour les révolutionnaires une faiblesse qui contraste avec sa sévérité exagérée pour les adversaires de la Révolution; toutefois, à ce point de vue, l'Histoire de l'Empire vaut mieux que celle de la Révolution, sans être irréprochable, il s'en faut.-Au point de vue même de l'exécution littéraire, il y a beaucoup à rabattre de la réputation faite à ces deux ouvrages; le style en est négligé, parfois incorrect; les proportions ne sont pas observées. En somme, l'attention s'est détournée des travaux historiques de M. Thiers, et on a eu raison.

D-Quel est le meilleur ouvrage d'archéologie? -R. On ne peut pas indiquer au seul ouvrage. Pour l'archéologie monumentale du moyen âge, le meilleur au point de vue théorique et comme doctrine générale sur les caractères des différents styles et le classement des édifices religieux par époques et par écoles, c'est le tome II des Mélanges d'archéologie et d'histoire de J. Quicherat, ouvrage posthume qui ne se compose malheureusement que de morceaux détachés ou incomplets. On y a là néanmoins le résumé de la doctrine du maître. (in-8, chez Picard, Paris.)-Comme ouvrage général embrassant tous les détails de l'archéologie monumentale du moyen âge, il n'y en a pas de plus complet que le Dictionnaire d'Architecture de Viollet-le-Duc (12 vol. in-8, Librairie des imprimeries réunies, Paris.)

D-Indiquer l'esprit et la valeur de l'Histoire de l'Eglise catholique en France, par Jager?-R. C'est l'ancienne histoire de l'Eglise gallicane du P. Longueval, refaite dans un esprit romain et d'après des travaux récents.

MOUVEMENT DE LA LIBRAIRIE

MUSIQUE-Chez Bonnel, à Rennes: Méthode pour accompagner facilement et correctement le plain-chant, avec ou sans clavier transpositeur, par. E. Henry, 4ième édition. Net, 3 fr.-Chez Millereau, Paris : Prière de Moise, de Rossini, transcrite pour musique militaire par M. Signard (grande partition) net, 5 fr.-Chez Enoch frères&Costallat,Paris : Cours complet d'harmonie présenté sous une forme nouvelle et contenant quelques notions d'instrumentation lyrique et militaire, par J. Hugounec, 2 vol. Net, 30 fr.-Chez Laloue & cie, Paris: Le Nord et l'Occident, marche franco-russe, par J. Schyn. Avec accompagnement de piano. 3 fr.

DROIT--Chez Cotillon, Paris: Des promesses de mariage, étude historique et juridique, par L. Giraud, docteur en droit. Brochure de 66 pages.-Chez Pichon: Traité de droit commercial par Ch. Lyon-Caen et L. Renault, professeurs à la Faculté de droit de Paris, 2ième édition, tome I, 664 pages, 10 fr.-Introduction au droit international privé, par Armand Lainé, professeur à la Faculté de droit de Paris. Tome I, 433 pages, 10 fr.

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Conférence prononcée par l'abbé P. Dadolle le jour anniversaire de l'inaugu ration d'un cours de philosophie créé à Lyon pour un

auditoire spécial de dames et de jeunes filles.

Mesdames,

En inaugurant, il y a un an, ce cours de philosophie, je vous exposais la pensée qui me l'avait fait entreprendre. Mes premières paroles eurent pour thème le rôle de la philosophie dans l'éducation en général et dans l'éducation de la femme en particulier.

Mais alors le mot philosophie ne rendait qu'un son vague à vos oreilles, et il se mêla bien quelque élément de confiance aveugle à l'acquiescement que vos intelligences donnaient à mes conclusions. Je vous en remercie ; cette sorte de confiance était alors nécessaire; elle ne l'est plus aujourd'hui, où vous avez suivi, en partie du moins, le simple et sublime itinéraire ab exterioribus ad interiora, ab interioribus ad superiora.

:

Toute la philosophie est là.

Vous avez donc de la philosophie une expérience personnelle, et j'espère que vous en déduisez une conviction.

Aussi ai-je cru le moment venu de vous exposer dans son ampleur la thèse si actuelle de l'Education des femmes. J'ai dit dans son ampleur : ce n'est pas que je prétende évoquer ici tous les faits très nombreux qui s'y rattachent, ní discuter tous les problèmes très complexes qu'elle soulève. Cette thèse, comme celles qui se posent sur un terrain concret, a un élément absolu, indépendant des temps et des civilisations, mais, en outre, un élément relatif à tel milieu social et à telle phase de l'évolution d'un peuple. Je ne saurais l'envisager sous ses divers aspects, dans ses modifications successives; je veux seulement vous en faire sonder le fondement, c'est-à-dire le principe, puis vous montrer l'application actuelle à faire de ce principe. Mon but est de vous établir dans une lumière complète sur la question de l'éducation des femmes à l'heure présente.

I

LA QUESTION POSÉE

Après dix-neuf siècles de christianisme, on pouvait croire cette question définitivement résolue, quant à son princípe fondamental. Il n'en étai Inscrite en première ligne sur le programme des œuvres républic ucation de la femme a été remise à l'ordre du jour,

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