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IV

On ne saurait donner un spectacle plus triste, plus honteux et plus navrant que celui qu'ils offrirent à la France lorsque, vaincus par les Montagnards, ils eurent à exposer et à défendre leurs principes et leur conduite devant le tribunal révolutionnaire, durant leur célèbre procès, commencé le 24 octobre 1793 et terminé le 30. Tout passionné et violent qu'il fût, l'acte d'accusation, dressé par Amar, au nom du Comité de sûreté générale, les accabla moins qu'ils ne s'accablèrent eux-mêmes. Désaveux, dénonciations, reproches, injures, ils se prodiguèrent tout, avec violence et avec cynisme.

1

L'acte d'accusation lu, et Pache, le premier témoin à charge, entendu, les vingt et un1 Girondins, présents à l'audience, commencèrent par rejeter tous les faits graves sur leurs amis absents, Roland, Petion, Barbaroux, Louvet.

<«< Les accusés, interpellés de répondre, aucun des

1 Quoique le procès des Girondins porte habituellement dans l'histoire le nom de Procès des Vingt-Deux, il n'y avait que vingt et un accusés présents à l'audience, savoir: Brissot, Vergniaud, Gensonné, Lauze-Duperret, Carra, Gardien, DufricheValaze, Duprat, Sillery, Fauchet, Ducos, Boyer - Fonfrède, Lasource, Lesterpt-Beauvais, Duchâtel, Mainvielle, Lacaze, Lehardy, Boileau, Antiboul et Vigée. (Bulletin du Tribunal révolutionnaire, 2e partie, n. 64.)

prévenus ne nie que le parti ne soit coupable de ces faits; mais plusieurs avancent qu'ils n'y ont pas pris part individuellement. Ils s'accordent à rejeter les fautes les plus graves sur leurs complices contumaces, tels que Guadet, Barbaroux, etc. 1. »

Interrogé sur ses liaisons avec les Girondins, ses collègues, assis près de lui au tribunal, Vigée les renie et déclare n'en connaitre aucun particulièrement *.

Interrogé sur ses doctrines, qu'il a défendues en commun avec les Girondins, Boileau se déclare franc Montagnard: « Je ne sortais pas, dit-il, j'ignorais ce qui se passait; j'étais placé entre deux écueils; je voulais, comme la Montagne, toute la liberté... j'avais, ainsi que la Montagne, voté la mort du tyran, et si j'ai quelquefois été opposé aux patriotes qui la composent, je suis maintenant désabusé sur son compte et à présent franc Montagnard'.

Cette odieuse et inutile lâcheté était écrite; Boileau la lut mot à mot, de crainte de ne pas s'abaisser assez en improvisant. Cependant Boileau ne connaissait pas toutes ses ressources en ce genre; car, à une audience suivante, Léonard Bourdon apporta une lettre dans laquelle Boileau, en le priant de le

1 Busetan du Tribunal reco’wizare, partie, n. 40. p. 161. * Ibid., 2a partie, n. 41, p. 164.

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défendre devant le tribunal, accusait ainsi ses collègues : « J'ai été un moment dans l'erreur, mais à présent que le bandeau est tombé de mes yeux et que je sais où siége la vérité, je déclare que je suis Montagnard.

<«< Il est clair à mes yeux qu'il a existé une conspiration contre l'unité de la république, comme il est clair que les Jacobins ont toujours servi la république. Pour finir, je reconnais que tant que le côté droit aurait été en force, il aurait paralysé les mesures les plus vigoureuses

-

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Après la lecture de cette honteuse lettre, le président Herman dit à Boileau: « Nommez, Boileau, ceux d'entre les accusés que vous avez entendu désigner dans votre lettre. Je n'ai entendu accuser personne, répondit Boileau, dominé par un reste de pudeur bientôt évanouie ; j'ai cherché la vérité, je l'ai trouvée parmi les Jacobins et je suis maintenant Jacobin. » Et pour mettre le comble à cette faiblesse, qui ne pouvait même pas le sauver, ce Girondin avoua que le monstre qui avait tranché les jours de Marat avait été vomi par le côté droit, et que c'était cet événement qui l'avait éclairé.

Interrogé sur ses relations avec Petion, son ancien collègue à l'Assemblée constituante et son collègue actuel à la Convention, Sillery répond qu'il n'était

1 Bulletin du Tribunal révolutionnaire, 2o partie, n. 60, p. 238. 2 Ibid., p. 239.

pas

intimement lié avec lui jusqu'à la fin de 1791, et qu'il ne l'a pas vu depuis la fin de 1792. Et comme Fouquier-Tinville lisait une lettre intime de Petion, dans laquelle il s'applaudissait du retour de madame de Genlis, qu'il avait accompagnée en Angleterre, Sillery, pris au piége de sa dissimulation, répondait: « Il est vrai que le citoyen Petion a accompagné mon épouse en Angleterre; mais à son arrivée à Londres, ils se sont séparés '. »

Interrogé sur ses relations avec Roland, dont il était l'intime ami, le commensal et le directeur, Brissot répond: « Je le regarde comme un homme pur, mais qui peut avoir erré dans son opinion. »

Interrogé sur ses relations avec Brissot et Gensonné, avec lesquels il avait, le 10 août, ajourné et combattu la déchéance de Louis XVI, Vergniaud se défend d'avoir eu des intimités avec Brissot et Gensonné. Il répond ainsi au reproche de s'être obstinément opposé à la déchéance, quand on pouvait la décréter *.

1 Bulletin du Tribunal révolutionnaire, 2° partie, n. 2 Ibid., 2o partie, n. 46, p. 182.

63,

p. 251.

3 Vergniaud était si bien opposé à la déchéance, qu'il répondit en ces termes aux pétitionnaires qui la demandaient : « Les représentants du peuple ont fait tout ce que leur permettaient de faire les pouvoirs qui leur ont été délégués, quand ils ont arrêté qu'il serait nommé une Convention nationale pour prononcer sur la question de la déchéance. En attendant, l'Assemblée vient de prononcer la suspension, et cette mesure doit suffire au peuple pour le rassurer contre les trahisons du chef du pouvoir exécutif. » (Moniteur du 12 août 1792.)

Bulletin du Tribunal révolutionnaire, 2e partie, n. 46, p. 184.

V

Voilà donc jusqu'ici les Girondins qui se renient mutuellement; les voici maintenant qui se dénoncent.

Chaumette, témoin à charge, rappelle qu'il avait paru précédemment un placard rouge, dans lequel on invitait le peuple à massacrer les Jacobins et les Cordeliers pour avoir du pain. Il ajoute que l'auteur de ce placard, resté longtemps inconnu, fut enfin reconnu pour être Valazé ou Valady. « Je répondis dans le temps, s'écrie Valazé, que je n'étais point l'auteur de l'affiche qu'on m'imputait. » Il a été reconnu depuis que Valady en était l'auteur 1.

Léonard Bourdon, autre témoin à charge, ayant imputé aux Girondins et notamment à Brissot le projet hautement exprimé, dès le 12 août, de renouveler la Commune de Paris, formée dans la nuit du 10, par voie insurrectionelle, Brissot répondit vivement: << La proposition de renouveler la Commune de Paris fut faite à l'Assemblée par Gensonné2. »

«

Gardien, l'un des accusés, répondant au témoin Dobsen, au sujet des opérations de la commission des Douze, prétendit l'avoir quittée, parce que Dobsen y avait été maltraité, et qu'on n'avait pas voulu le mettre en liberté. Là-dessus Vigée prit la parole et

1 Bulletin du Tribunal révolutionnaire, 2o partic, n. 49, 2 Ibid., n. 59, p. 236.

p. 195.

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