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d'y faire enregistrer son invention, et voilà qu'un rival lui ravit le fruit de ses recherches en publiant les Ludibria ventis!...... Il lui est bien venu en pensée de substituer au frontispice de son volume une page blanche, mystérieux symbolisme du plus grand effet; mais, après mûres réflexions, il a reconnu qu'il y aurait témérité et inopportunité peut-être à tenter cette hardiesse qui resterait incomprise : le progrès littéraire n'est pas arrivé encore à un assez haut degré de perfection, pour qu'une innovation aussi révolutionnaire puisse être tentée avec succès. Enfin, en lisant à grand renfort de besicles aucuns livres vieils et peu connus, il a découvert qu'en 1548 un des plus graves apôtres de la réforme religieuse, Théodore de Bèze, avait produit au jour ses poésies juvéniles sous le titre benin et badin de JUVENILIA. Sans façon il se glorifie de cette découverte, car tout est pâture aujourd'hui pour l'invention: M. Lerminier n'a-t-il pas découvert les mythes; M. Michelet, l'histoire de France et les symboles; M. Eugène Sue, la littérature aquatique? M. Victor Cousin n'a-t-il pas inventé Platon? qu'on lui passe donc la découverte de son Théodore de Bèze. Or, le titre des poésies de Théodore de Bèze convient parfaitement aux siennes, inspirations spontanées et sans art d'une muse jeune et sans expérience aucune. C'est donc sous cette humble livrée qu'il lance parmi les orages de l'océan littéraire sa frêle embarcation poétique, et comme le bon vieux Claude Nouvellet il lui dira:

« Va, mon petit livret, je ne charge ton front
» D'un tiltre ambitieux, comme ores plusieurs font;
>> Je hay l'architecteur qui, privé de raison,

» Fait plus grand le portail que toute la maison »1.

Telles ont été les agitations d'esprit de l'auteur des JUVENILIA;

1 Les Divinailles, par CLAUDE NOUVELLET. Lyon, Jean de Tournes, in-4°,

1578.

et s'il s'est laissé aller à ces révélations intimes, c'était pour en adoucir l'amertume, car les chagrins épanchés perdent de leur violence et de leur âcreté. Il lui restait un dernier souci, celui de faire précéder ses vers d'une préface émanée d'une plume amie du public, et dont le suffrage lui eût concilié la bienveillance des lecteurs; mais il est comme le pauvre de l'Évangile, solus, pauper et nudus, et partant il a perdu l'espoir d'obtenir cet acte de munificence. Force lui a donc été de renoncer à ce moyen de parvenir, et pour que rien ne manquât à ses désenchantemens, il n'a à vous offrir, lecteur bénévole, que les lignes maussades que vous venez de parcourir.

DE L'ÉTAT ACTUEL

DES SCIENCES CHIMIQUES'.

MESSIEURS,

UNE mesure utile, féconde, a été adoptée par vous celle d'avoir invité ceux de vos membres qui font une étude particulière d'une branche quelconque des connaissances humaines, à vous en exposer sommairement l'état actuel et les principaux progrès. C'est mon tribut à cette mesure que je vous apporte aujourd'hui en venant vous entretenir de la science que je professe, la chimie. Puissé-je, dans le rapide travail que je vais vous soumettre, la caractériser convenablement à vos yeux, comme vous en faire apprécier toute l'importance. Sans doute, Messieurs, je n'apporterai point dans cette légère esquisse les qualités brillantes dont le collègue qui m'a précédé nous a offert l'exemple, en traçant devant vous le tableau de la marche de la jurisprudence, sa propre spécialité; mais s'il ne m'est pas permis d'y prétendre, au moins tâcherai-je d'être simple, clair, exact, afin de pouvoir être bien compris.

1 Ce discours a été lu à la séance du 2 mars 1838 de la Société des sciences et des arts de Grenoble.

La chimie est une science moins ancienne qu'on ne le croit généralement. Cette proposition vous étonnera peut-être, tant on a l'habitude de revendiquer pour l'antiquité toute espèce de connaissances, dans la pensée de leur donner un caractère plus imposant et plus vénérable. Eh bien! je dirai plus, la chimie est une science presque toute moderne. Entendons-nous, cependant. Je ne prétends pas que les anciens n'aient observé aucun des faits qu'elle revendique; qu'ils n'en aient tiré aucun parti; qu'ils soient par conséquent restés dans l'ignorance de toutes les choses qui rentrent dans son domaine : ce serait une grande erreur de le croire. Au contraire, une foule de phénomènes chimiques les avaient frappés. Le spectacle de la nature, en se déroulant à leurs regards comme aux nôtres, avait souvent produit sur leur esprit une impression profonde d'admiration et qui fut loin d'être toujours stérile. C'est ainsi que la manière dont beaucoup de corps se comportent les uns avec les autres ne leur était point inconnue, et qu'ils en firent des applications plus ou moins heureuses, puisque la plupart des arts leur doivent leur naissance. Sous ces divers rapports, il y aurait une grande injustice à affirmer que la chimie leur était tout-à-fait étrangère, et à méconnaître ainsi ce que nous pouvons leur devoir. Mais, je le demanderai, est-ce là la science réelle, la science assise et constituée? Non, Messieurs; ce ne sont que des connaissances isolées, des vérités éparses, recueillies d'après l'observation et non déterminées par des expériences suivies et variées. Si les hommes s'y livraient à des travaux chimiques, ceux-ci ne consistaient qu'en des essais informes tentés sans liens et plutôt entrepris sur les indications du hasard que d'après des vues raisonnées. La science véritable a bien un autre caractère; elle résulte, non pas d'observations fortuites ou de recherches simples, telles que chacun peut en faire de semblables, dirigé par le seul usage de ses sens ou par les plus faibles impulsions de l'esprit, mais bien d'un ensemble de faits divers, recueillis avec soin, observés dans leurs particularités les plus délicates, ainsi que d'un

ensemble de vérités déduites les unes des autres à l'aide d'une méditation aussi patiente que laborieuse, et qui sache s'élever de la contemplation de ces faits à la recherche de leurs causes, des lois qui les règlent, de leur nature intime, autant qu'il nous est donné d'y atteindre. Elle n'existe par conséquent que lorsque les faits qu'elle doit comprendre ont été saisis en assez grand nombre, examinés sous assez de faces, tournés d'assez de manières, pour pouvoir être systématisés et convertis en un corps de doctrine qui permette de les classer entre eux, comme de s'en rendre compte, de les approfondir, de les calculer et même de les prévoir. « En » effet, dit M. Dumas, si les sciences s'établissent sur des faits, » elles ne datent que du jour où ces faits, groupés par une con

ception sûre, prennent chacun leur place systématique et laissent » à découvert les vides à combler, tout en mettant en évidence » les idées et les prévisions qui ressortent de cet arrangement » méthodiqué. » Telle est donc la science dans son acception philosophique, prenant un rang honorable parmi les connaissances humaines, appelant les recherches du génie, digne, en un mot, de toute l'attention des esprits éclairés. Ai-je tort dès-lors de dirė que la chimie est toute moderne? Certainement les anciens l'ont préparée en nous en léguant les premiers matériaux; mais il à fallu des travaux bien autrement suivis, des recherches et des calculs bien autrement profonds et variés, des observations autrement fines et délicates, pour la faire ce que nous la trouvons aujourd'hui. Ainsi envisagée, elle ne date véritablement, à quelques exceptions près, que des Cavendish, des Priestley, des Bergman, des Scheele, des Lavoisier, et d'une foule d'hommes qui, de nos jours, sont les continuateurs de leur gloire.

Cette assertion, Messieurs, ressortira mieux des détails dans lesquels je ne tarderai pas d'entrer. Mais avant, arrêtons-nous un moment à définir la chimie, à indiquer son objet : c'est un point à établir d'abord, et dont quelques-uns d'entre vous me sauront peut-être d'autant plus de gré que leur genre d'études ne leur a

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