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UN publiciste, connu par d'importans travaux sur notre droit criminel, a été appelé à porter son attention sur les statistiques civiles du ministère de la justice. Par suite des recherches nouvelles qu'il a faites à ce sujet, il a cru découvrir qu'on pourrait simplifier notre procédure et nos lois, de manière à diminuer les frais de justice et le nombre des procès. Ainsi que lui, nous ne sommes point ennemi de ce salutaire esprit de réforme qui veut allier la modération et la réserve à l'amour du progrès; mais nous craignons qu'en émondant un arbre d'une végétation luxuriante, on ne courre le risque de retrancher des branches utiles en même temps que des branches parasites.

Et d'abord n'y a-t-il pas quelque chose de trop absolu et de trop exclusif dans un principe ainsi posé : « Le but d'une bonne légis»lation doit être de simplifier l'administration de la justice, afin » de hâter l'expédition des procès, et, s'il se peut, d'en diminuer » le nombre. »

4 Revue du Dauphiné, tome III, page 265.

TOME III.

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Un but non moins important à atteindre dans la législation est celui d'empêcher l'honnête homme d'être victime de quelque surprise de la part d'un adversaire de mauvaise foi, et le plaideur ignorant de succomber aux artifices d'un juriste qui mettrait sa science au service de l'improbité.

Enfin, les lois, même civiles, ont quelquefois une portée politique qu'il importe d'apprécier.

Dans notre état de civilisation, toutes les questions d'économie sociale sont complexes : ne les envisager que sous une seule face, c'est s'exposer à ne leur donner qu'une solution incomplète ou fausse.

Dominé par le point de vue que nous avons signalé, M. Bérenger demande qu'on simplifie 1o la forme des procédures, 2o la législation générale, et 3o le mode d'administration de la justice.

A l'égard de la forme des procédures, il est à remarquer que dans les gouvernemens populaires ou libres elles ont toujours été trèscompliquées, tandis qu'elles sont d'une effrayante simplicité dans les gouvernemens despotiques. A Constantinople et à Maroc, le cadi expédie avec une incroyable promptitude les difficultés soumises à sa décision. A Athènes et à Rome, la procédure, perfectionnée par les sophistes et les jurisconsultes, s'embarrassait de formules énigmatiques et d'inextricables subtilités.

« Si vous examinez les formalités de la justice, dit Montesquieu, » par rapport à la peine qu'a un citoyen à se faire rendre son bien » ou à obtenir satisfaction de quelque outrage, vous en trouverez » sans doute trop. Si vous les regardez dans le rapport qu'elles » ont avec la liberté et la sûreté des citoyens, vous en trouverez >> souvent trop peu, et vous verrez que les peines, les dépenses, » les longueurs, les dangers même de la justice, sont le prix que chaque citoyen donne pour sa liberté1. »

>>

Il faut donc se garder, en simplifiant trop la législation civile et

1 Esprit des Lois, chap. II, liv. VI.

criminelle, d'ôter aux citoyens de précieuses et nécessaires garanties. Sans doute, il ne faut pas, non plus, en élevant trop ce prix que chacun donne pour sa liberté, rendre la justice difficile ou impossible à obtenir pour le plus grand nombre, mais on doit se tenir à une égale distance de ces deux écueils.

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On a pu, sans aucun inconvénient, réduire considérablement cette multitude d'actions que les Romains avaient léguées à notre ancien droit civil; mais y aurait-il quelque avantage à pousser cette réforme plus loin encore, et à supprimer l'action possessoire pour ne laisser subsister que l'action pétitoire? On conteste l'utilité de cette double action; on se demande s'il ne serait pas plus simple de laisser la possession à celui qui jouit, et de plaider sur-le-champ au principal. Précisément, la question est de savoir quel est celui qui jouit la possession ne peut pas rester en suspens pendant le litige, toujours plus ou moins long, sur le droit de propriété. On confierait, dit-on, au juge du pétitoire le soin de pourvoir aux mesures conservatoires de l'objet litigieux. Mais ce serait conserver le possessoire sous un autre nom, en ne faisant autre chose que transporter les attributions du juge de paix aux tribunaux. Or, le plaideur aurait tout à perdre à ce déplacement d'attributions judiciaires car un juge de la localité peut rendre facilement, et dans des délais très-courts, une décision au possessoire; tandis qu'un tribunal, placé à une grande distance du lieu de la contestation, ne pourrait la juger qu'après de longues et interminables formalités. Loin de pouvoir rendre une sentence sommaire dans une matière qui est presque toujours urgente par sa nature, le tribunal se verrait le plus souvent obligé d'avoir recours d'abord à un jugement interlocutoire, de nommer un juge-commissaire, et peut-être des experts, pour aller faire une enquête sur les lieux, puis d'entendre discuter l'enquête; et ce ne serait qu'après toutes ces procédures coûteuses et multipliées que pourrait enfin intervenir un jugement définitif.

Que l'on nous permette ici d'éclairer par un exemple cette importante question.

Un propriétaire qui possède un droit de passage sur la terre de son voisin pour arriver à un fonds enclavé, se voit tout-à-coup dénier ce droit de passage on lui ôte, par une voie de fait, la jouissance du chemin dont il se servait pour l'exploitation de son fonds. Que fera-t-il si le temps des travaux agricoles est venu, et s'il faut qu'il aille faire le voyage du chef-lieu de son arrondissement pour réclamer la cessation de la voie de fait qui l'empêche d'arriver à son champ? Il est évident qu'il perdra la récolte de l'année, et que, pendant ce temps, son champ infécondé n'aura de produit pour personne, s'il ne peut pas obtenir une décision immédiate qui lui en rouvre l'accès. Plus tard, il est vrai, le tribunal pourra lui reconnaître des droits à une indemnité, mais cette indemnité sera pour son adversaire une augmentation de frais judiciaires; de sorte que la compétence du juge de paix aurait prévenu la perte irréparable d'une moisson, et évité à l'un des plaideurs un énorme surcroît de dépenses frustratoires.

Que l'on applique maintenant nos observations générales à cette hypothèse particulière qui se reproduit souvent dans les prétoires des juges de paix, et l'on reconnaîtra que la suppression du premier degré pour le possessoire ne rendrait la marche du procès ni plus expéditive, ni moins dispendieuse, et qu'en diminuant les garanties de la justice, elle ne ferait qu'embarrasser son action.

Au surplus, la possession, dont nous venons de prouver l'importance dans la vie pratique des affaires, n'en a pas une moins grande aux yeux même de la théorie. Elle a été, sous le nom d'occupation, la première origine de la propriété; depuis elle a mérité, sous le nom de prescription, le beau titre de patronne dụ genre humain. Les Romains l'ont appelée possessio aurea. Dans les temps primitifs de la république romaine, deux ans de possession suppléaient à toute autre preuve de propriété. Aujourd'hui, en France, quand il y a absence de titre de la part de chacune des deux parties, la présomption est en faveur de celui qui possède. On ne conçoit donc pas pourquoi l'on rayerait de nos codes l'action qui

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