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conferver fa gloire, fuppofé qu'elle eût d'abord reçu quelque atteinte, avec le tems, il l'auroit rétabli. Comprendrat'on qu'une gloire qu'on peut appeller faulle, l'emporte fur l'amour le plus violent qui ait jamais pris naiffance dans un cœur. L'Auteur femble avoir pris plaifir à dépeindre toute la violence de cette paffion, cependant cet Empereur qui aime éperdûment, immole fon amour à fa vaine gloire. Il dit lui-même :

Je viens percer un cœur qui m'adore, qui m'aime,

Et pourquoi le percer? qui l'ordonne? moi

même :

Car enfin Rome a-t'elle expliqué fes fouhaits?
L'entendons-nous crier autour de ce Palais?
Vois-je l'Etat penchant au bord du précipice?
Ne le puis-je fauver que par ce facrifice ?
Tout le tait, & moi feul trop prompt

troubler,

à me

J'avance des malheurs que je puis reculer:
Et qui fçait fi fenfible aux vertus de la Reine,
Rome ne voudra point l'avouer pour Ro-
maine?

Il a prévû l'objection, il ne la détruit pas; il auroit du moins fallu que Titus eût témoigné hautement qu'il vouloit époufer Berenice, que Rome fe fût révoltée contre l'Empereur. Alors ce Pere de la Patrie auroit pû facrifier fonamour;

mais fans qu'on voye aucune néceffité abfoluë de faire ce facrifice, le faire pourtant voilà ce qui eft furprenant. Berenice elle-même lui dit :

Hé bien, Seigneur, hé bien, qu'en peut-il arriver?

Voyez-vous les Romains prêts à fe foulever?

On ne peut s'empêcher de dire que Titus n'aime guéres, & qu'il pouffe la diffimulation bien loin, en fe représentant comme le plus amoureux de tous les hommes. La pierre de touche d'un amour violent, eft de la mettre à de grandes épreuves, & fes grandes épreuves font les dangers de la vie & de l'honneur; mais d'un honneur fondé fur la raifon, le fang & la nature: alors il peut dignement combattre contre fes pareils ennemis; mais le faire combattre contre le danger d'un honneur imaginaire; que dis-je, contre la crainte de ce danger qui n'eft point encore arrivé: en vérité c'eft donner à un amour violent un foible ennemi, & c'est bien s'écarter de la nature, que de faire emporter la victoire à un tel eunemi. Pour nous approcher de la nature, difons que Titus n'avoit qu'une paffion très-foible, un refte d'amour prêt à s'éteindre; s'il

n'avoit que cet amour-là; comment l'at'il conduit au defespoir ? car il dit :

Paulin, je fuis perdu, je n'y pourrai furvivre, La Reine veut mourir, allons, il faut la fui

vre.

Comment fe defefpere-t'il pendant qu'il peut prévenir fon defefpoir, en écoutant fa paffion, & qu'il n'a à combattre qu'un vain préjugé du peuple à qui il donne des loix? on appelle cela fe defefperer, parce qu'on veut fe defesperer à quelque prix que ce foit.

Il n'y a aucune vraisemblance dans cette piéce; on ne la trouvera point touchante dès qu'on penfera qu'elle n'est point naturelle, que Titus peint comme on nous le donne, eft le fruit d'une imagination fauffe qui a abandonné la nature. Quelque bien écrite que foit cette piéce, le style ne fçauroit en fauver la conftitution défectueufe. Cette Berenice qui fe préfente à tout moment fur le Théatre, & qui veut fe defefperer fi elle n'époufe pas Titus, rappella au grand Prince de Condé cette Chanfon triviale, Marion pleure, Marion crie¿ Marion veutqu'on la marie. Racine avoit pourtant une prédilection pour cette Tragédie; les peres font aveugles fur

leurs enfans: à travers fa modeftie, il s'applaudit dans fa Préface, d'avoir attaché durant cinq Actes l'attention des fpectateurs par une action fimple, foutenue de la violence des paffions, de la beauté des fentimens, & de l'élégance de l'expreffion: il eft vrai qu'il rejette cette louange qu'il s'eft donné ; mais c'eft afin qu'on la lui renvoye. Ce fujer quelque fimple qu'il foit, dès qu'il n'est pas vraisemblable, eft mal imaginé. Qui croiroit qu'un auffi grand Tragique que Racine, felon moi, fupérieur aux Anciens, & digne rival de Corneille, ait fait une pièce fi mal conftituée, qui n'eft, pour la bien définir, qu'un ciffu d'élegies.

Trait d'un

Un homme fort laid fut choifi par hommelaid. une belle Dame pour danfer dans un bal. Ce choix lui donna une grande opinion de fon mérite; fa vanité étoit peinte dans les yeux. Comme il vouloit prendre des libertés, & faire des larcins amoureux, comptant que l'amour lui avoit foumis cette belle, elle lui rabbatit la fierté, & fa témérité, en lui difant, tout beau, fi je vous ai choifi, c'est parce que j'ai un mari fort jaloux & que j'ai cru qu'un homme fait com me vous, ne lui donneroit aucun ombrage. E iij

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avoit bû le

Roi.

Suiffe qui On avoit envoyé au Roi François vin grec du I. du vin Grec de l'Ile de Chio: il lui en reftoit encore un bouteille, lorsqu'un Archer de fa Garde Ecoffoife entra dans la Sommellerie du Roi; la premiere bouteille à laquelle il s'attacha, fut celle-là: il la trouva fi bonne qu'il n'en laiffa pas une goute. Le Roi à fon fouper, demanda de fon vin Grec ; l'Echanfon, après avoir cherché la bouteille, la trouvant bien bouchée, bien fifcelée, fut furpris de n'y trouver rien dedans; il vint annoncer au Roice petit défaftre. On remarquoit que l'Ecoffois qui étoit au fouper du Roi, portoit fa Hallebarde de côté, & parloit fans fina d'abord on le foupçonna de ce tour. Le Roi qui vit que tout le monde regardoit cet Archer: dit celui qui a bû mon vin Grec, eft fans doute un bon compa gnon ; il peut l'avouer hardiment, je le lui pardonne: je n'aime pas trop d'ail leurs ces vins fi forts & fi fumeux. L'Ecoffois crut qu'il pouvoit fe, fier au Roi, il s'en approcha, fe mit à genoux, & lui confeffa qu'il avoit bû le vin Grec. Comment fçais-tu, lui dit le Roi en riant, que c'eft du vin Grec que tu as bû, puifqu'il étoit entre d'aures bouteilles de plufieurs vins de différens ter

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