que le Poëte, l'Orateur ne doivent pas prétendre de faire un chefd'œuvre d'éloquence ni dans la jeunesse, ni dans la vieillesse, mais dans un âge mûr, parce qu'alors leur imagination aura encore toute fa force; ils auront l'esprit orné de toutes les connoissances néceslaires; leur jugement aura eu tout le tems de se former & de se perfectionner. J'aurois pu embellir ces observations d'exemples d'Auteurs vivans, & par-là je les aurois rendues plus intéressantes: mais j'ai mieux aimé les priver de ces ornemens que de m'exposer à déplaire à des Auteurs délicats qui se feroient toujours offensez des traits les mieux ménagez. Voici, selon moi, ce qu'il faut rassembler pour faire un bon, un excellent livre. Dire qu'il faut unir l'utile & l'agréable, & choisir ce qui est très-utile, & y répandre beaucoup d'agrémens, de forte que leur dose égale l'utilité de l'ouvrage; tout cela est trop général, & n'est, par conféquent, gueres instructif. Entrons dans un plus grand détail. Il faut posseder parfaitement la matiere qu'on traite, connoître toutes les faces fous lesquelles elle peut être présentée; ce qu'elle a d'utile, de gracieux; 1 ل s'être familiarisé long-tems avec son fujet. Quand on est parvenu là, il le faut bien diftribuer, le diviser de forte que la methode qu'on observera le conduife avec la lumiere même dans l'esprit des Lecteurs. La clarté de l'expression est la principale chose à laquelle il faut s'étudier : il faut à cette clarté unir le nombre & l'harmonie, de sorte que l'expreffion foit nette, & ait en même-tems cette cadence propre à la profe, & differente de celle de la poesie; il faut sçavoir toutes les finesses de la langue, dans laquelle on écrit; connoître les exprefsions, qui étant dans leur place font un tableau d'un seul trait; répandre les ornemens avec une sobriété judicieuse; se défier d'une imagination qui nous meneroit trop loin; on peut s'y livrer d'abord, mais il faut ensuite confulter le jugement. Rien n'est plus commun à présent que de voir des ouvrages écrits avec aflez de pureté de style. Rien n'est plus rare que de voir des Auteurs qui ayent les talens de l'imagination necessaires pour écrire vivement & gracieusement tout ensemble. Aussi c'est la premiere chose que je regarde dans un ouvrage La Comédie un espece de qui n'est pas purement dogmatique, que l'imagination de l'Auteur. Encore l'imagination est-elle d'un grand secours, même dans un traité de certaines sciences abstraites. N'est-ce pas par la force de son imagination que le Pere Malle branche est si seduifant dans fon Traité de la recherche de la Vérité? Les bons mots clair - femés dans Italienne eft la plupart des Comédies, font pourtant Grotesque. les bijoux de ces fortes d'ouvrages: on en trouve dans les Italiennes qui font d'un genre propre à ce Théatre, dont le caractere est d'exagerer le ridicule. Arlequin en Mercure, dans la Comédie du Mercure-Galant, dit qu'il y a un Arrêt fous presse qui permet à un chacun de se démarier moyennant une somme qui sera liquidée suivant la méchanceté de la femme. Jupiter répond, Malepeste si l'on crée des Tresoriers de ces revenus-là, ces Charges rendrons plus que celles des Trésoriers de l'Epargne. Dans la Matrone d'Ephése, Arlequin dit qu'il veut époufer une borgneffe, parce qu'elle mourra plutôt qu'une autre, n'ayant qu'une fenêtre à fermer. Dans la même piéce, la Coquiniere, Procureur, demande à Grapignan qui veut acheter sa Charge, s'il aime l'ar gent avec âpreté, & s'il se sent d'humeur à tout faire pour en amasser. Grapignan répond, malepeste ! si j'aime l'argent: la Coquiniere lui replique, tant mieux, vous voilà déja à demi Procureur. Arlequin Grapignan, devenu Procureur, demande, a-t'on fait faifir les meubles de ce Maître à Danser ? un Clerc lui répond, que non; est-ce, ditil, qu'il prétend payer son loyer en gambades? Il dit que lorsqu'un Procureur devient Marguillier, il met un beau vernis sur sa réputation. Il demande si un Marchand de vin lui a envoyé les deux demi muids qu'il lui avoit promis; on lui répond, que non: hé bien, dit-il, son affaire ira comme je boirai. Il prend un castor d'un Chapelier qui a un procès, & il lui dit en mettant le castor sur sa tête, à présent que j'ai votre affaire en tête, je la gagnerai. Le Chapelier lui redemande le castor; il ne le veut point rendre, il lui dit, j'ai votre affaire en tête, elle n'en fortira point. C'est dans cette piéce qu'il dit, sans requête civile une affaire n'a point de goût, c'est la rocambole du procès. Cette piéce est un Tableau d'un Procureur fripon qui ne garde aucunes mefures, ce n'est pas là peindre d'après nature. Mais il y a pourtant de grands traits, que Moliere n'auroit pas désavoués. C'est une satyre outrée que de dire qu'un Procureur qui sçait son métier ne confent jamais ni arbitrage, ni transaction; que c'est aller directement contre les Statuts de la Communauté; que c'est tout ce que pourroit faire un Procureur des plus anciens, à l'agonie. Les traits de la Comédie Italienne ont été fort bien comparés aux grotesques de Calot, qui a gravé un petit homme avec un nez plus grand que fon visage, un autre avec une bosse prodigieusement énorme qui l'efface entiérement. Il donnoit à ses figures, où les proportions étoient si mal gardées, des expressions qui faisoient un grand effet. N'est-ce pas une figure grotesque dans ce genre, qu'Arlequin en nourrice? elle prétent avoir nourri un enfant de Pascarielle, que celui-ci desavoue. Desavouer, dit-il, fonenfant, c'est denner un camouflet à la nature: mon bayolet en palît d'horreur, mon lait s'enfuit & les oreilles de mon âne se dref |