Page images
PDF
EPUB

Venez voir à vos pieds tomber vos ennemis.

Celle dont la fureur poursuivit votre enfance

Vers ces lieux à grands pas pour vous perdre s'avance,
Mais ne la craignez point; songez qu'autour de vous
L'ange exterminateur est debout avec nous.

Montez sur votre trône, et... Mais la porte s'ouvre :
Permettez un moment que ce voile vous couvre.
(Il tire un rideau.)

Vous changez de couleur, princesse !

Jos.

Ah! sans pâlir,

Puis-je voir d'assassins le temple se remplir?

Quoi? ne voyez-vous pas quelle nombreuse escorte...
Joad. Je vois que du saint temple on referme la porte.
Tout est en sûreté.

SCÈNE V.

Athalie, Joas, Joad, Josabet, Abner, suite d'Athalie. Joas est caché derrière le rideau.

Ath., (à Joad.) Te voilà, séducteur,
De ligues, de complots, pernicieux auteur,
Qui dans le trouble seul as mis tes espérances,
Éternel ennemi des suprêmes puissances!
En l'appui de ton Dieu tu t'étais reposé :
De ton espoir frivole es-tu désabusé ?

Il laisse à mon pouvoir et son temple et ta vie.

Je devrais sur l'autel où tà main sacrifie

Te... Mais du prix qu'on m'offre il faut me contenter.

Ce que tu m'as promis, songe à l'exécuter:

Cet enfant, ce trésor qu'il faut qu'on me remette,
Où sont-ils ?

Joad. Sur-le-champ tu seras satisfaite;

Je te les vais montrer l'un et l'autre à la fois.

(Le rideau se tire. On voit Joas sur son trône: sa nourrice est à genoux à sa droite; Azarias, l'épée à la main, est debout à sa gauche; et près de lui Zacharie et Salomith sont à genoux sur les degrés du trône; plusieurs lévites, l'épée à la main, sont rangés sur les côtés.)

Paraissez, cher enfant, digne sang de nos rois.
Connais-tu l'héritier du plus saint des monarques,
Reine? De ton poignard connais du moins ces marques.
Voilà ton roi, ton fils, le fils d'Ochozias.

Peuples, et vous, Abner, reconnaissez Joas.

Abn. Ciel!

Ath., (à Joad.) Perfide!

Joad.
Vois-tu cette Juive fidèle
Dont tu sais bien qu'alors il suçait la mamelle ?
Il fut par Josabet à ta rage enlevé :

Ce temple le reçut, et Dieu l'a conservé.

Des trésors de David voilà ce qui me reste.

Ath. Ta fourbe à cet enfant, traître, sera funeste. D'un fantôme odieux, soldats, délivrez-moi!

Joad. Soldats du Dieu vivant, défendez votre roi! (Ici le fond du théâtre s'ouvre.

On voit le dedans du tem

ple, et les lévites armés entrent de tous côtés sur la scène.) Ath. Où suis-je ? Ô trahison! ô reine infortunée !

D'armes et d'ennemis je suis environnée!

Joad. Tes yeux cherchent en vain, tu ne peux échapper, Et Dieu de toutes parts a su t'envelopper.

Ce Dieu que tu bravais en nos mains t'a livrée :
Rends-lui compte du sang dont tu t'es enivrée.

Ath. Quoi la peur a glacé mes indignes soldats ?
Lâche Abner, dans quel piége as-tu conduit mes pas!
Abn. Reine, Dieu m'est témoin...
Ath.

Et venge-moi.

Laisse là ton Dieu, traître,

Abn., (se jetant aux pieds de Joas.)

Sur qui? Sur Joas! sur mon maître !

Ath. Lui Joas? Lui ton roi? Songcz, méchants, songez Que mes armes encor vous tiennent assiégés.

J'entends à haute voix tout mon camp qui m'appelle.
On vient à mon secours. Tremblez, troupe rebelle.

SCENE VI.

Ismaël, Joas, Joad, Athalie, et tous les acteurs de la scène

Ism., (à Joad.)

précédente.

Seigneur, le temple est libre et n'a plus d'ennemis :
L'étranger est en fuite, et le Juif est soumis.

Comme le vent dans l'air dissipe la fumée,

La voix du Tout-Puissant a chassé cette armée.
Nos lévites, du haut de nos sacrés parvis,
D'Ochozias au peuple ont annoncé le fils,
Ont conté son enfance au glaive dérobée,
Et la fille d'Achab dans le piége tombée.
Partout en même-temps la trompette a sonné:
Et ses sons et leurs cris dans son camp étonné

Ont répandu le trouble et la terreur subite
Dont Gédéon frappa le fier Madianite.
Les Tyriens, jetant armes et boucliers,
Ont, par divers chemins, disparu les premiers:
Quelques Juifs éperdus ont aussi pris la fuite:
Mais de Dieu sur Joas admirant la conduite,
Le reste à haute voix s'est pour lui déclaré.
Enfin, d'un même esprit tout le peuple inspiré,
Femmes, vieillards, enfants, s'embrassant avec joie,
Bénissent le Seigneur et celui qu'il envoie :
Tous chantent de David le fils ressuscité.
Baal est en horreur dans la sainte cité;
De son temple profane on a brisé les portes;
Mathan est égorgé.

Ath.

Dieu des Juifs, tu l'emportes!
Oui, c'est Joas: je cherche en vain à me tromper;
Je reconnais l'endroit où je le fis frapper;

Je vois d'Ochozias et le port et le geste;
Tout me retrace enfin un sang que je déteste.
David, David triomphe; Achab seul est détruit.
Impitoyable Dieu, toi seul as tout conduit!
C'est toi qui, me flattant d'une vengeance aisée,
M'as vingt fois en un jour à moi-même opposée;
Tantôt pour un enfant excitant mes remords,
Tantôt m'éblouissant de tes riches trésors
Que j'ai craint de livrer aux flammes, au pillage.
Qu'il règne donc ce fils, ton soin et ton ouvrage !
Et que pour signaler son empire nouveau,

On lui fasse en mon sein enfoncer le couteau !
Voici ce qu'en mourant lui souhaite sa mère:
Que dis-je souhaiter! je me flatte, j'espère
Qu'indocile à ton joug, fatigué de ta loi,
Fidèle au sang d'Achab qu'il a reçu de moi,
Conforme à son aïeul, à son père semblable,
On verra de David l'héritier détestable
Abolir tes honneurs, profaner ton autel,
Et venger Athalie, Achab et Jézabel.

(Athalie sort, les lévites la suivent.) Joad. Qu'à l'instant hors du temple elle soit emmenée,

Et que la sainteté n'en soit point profanée.
Allez, sacrés vengeurs de vos princes meurtris,
De leur sang par sa mort faire cesser les cris.
Si quelque audacieux embrasse sa querelle,
Qu'à la fureur du glaive on le livre avec elle.

SCÈNE VII.

Joas, Joad, Josabet, Abner, et tous les acteurs de la scène

précédente.

Joas, (descendu de son trône.)

Dieu, qui voyez mon trouble et mon affliction,
D'étournez loin de moi sa malédiction,

Et ne souffrez jamais qu'elle soit accomplie :
Faites que Joas meure avant qu'il vous oublie.
Joad, (aux lévites.)

Appelez tout le peuple, et montrons-lui son roi :
Qu'il lui vienne en ses mains renouveler sa foi.
Roi, prêtres, peuple, allons, pleins de reconnaissance,
De Jacob avec Dieu confirmer l'alliance,

Et, saintement confus de nos égarements,
Nous rengager à lui par de nouveaux serments.
Abner, auprès du roi reprenez votre place.

SCÈNE VIII.

Un Lévite, Joas, Joad, et tous les acteurs de la scène précédente.

Joad, (au lévite.)

Hé bien, de cette impie a-t-on puni l'audace?

Le Lévite. Le fer a de sa vie expié les horreurs.
Jérusalem, long-temps en proie à ses fureurs,

De son joug odieux à la fin soulagée,
Avec joie en son sang la regarde plongée.

Joad. Par cette fin terrible, et due à ses forfaits,
Apprenez, roi des Juifs, et n'oubliez jamais
Que les rois dans le ciel ont un juge sévère,
L'innocence un vengeur, et l'orphelin un père.

CINNA

OU

LA CLÉMENCE D'AUGUSTE,

TRAGÉDIE EN CINQ ACTES.

PAR CORNEILLE.

[PIERRE CORNEILLE, né à Rouen en 1606, est le père de la scène tragique en France.

Ce génie vigoureux et sublime est remarquable dans l'art d'imaginer des plans hardis, de les varier et d'y faire agir ces puissants ressorts qui attachent le cœur et l'esprit par la grandeur des images. Son style n'est pas toujours très pur, et se ressent parfois de la rudesse du temps où il vivait; mais quand il exprime une idée sublime, il ne manque jamais d'unir la force à la précision. C'est le Shakspeare des Français. Ses chefs-d'œuvre sont: le Cid, Cinna, Horace, Polyeucte, Rodogune, Pompée Il mourut à Paris en 1684.]

[blocks in formation]

Impatients désirs d'une illustre vengeance
Dont la mort de mon père a formé la naissance,
Enfants impétueux de mon ressentiment,

Que ma douleur séduite embrasse aveuglément,
Vous prenez sur mon âme un trop puissant empire;

« PreviousContinue »