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Tertullien (1) a fait un livre contre les couronnes et les guirlandes. Clément d'Alexandrie (2) ne veut pas que les chrétiens se couronnent de Roses tandis que Jésus-Christ a été couronné d'épines. Mais un peu plus tard les fidèles se relâchèrent de cette sévérité outrée, et le poète chrétien Prudence ne craint pas d'inviter scs frères à couvrir de violettes et de verdure, et à inonder de parfums ces ossements que la voix du Tout-Puissant doit un jour rendre à la vie (3).

Plus tard encore, au treizième et au quatorzième siècle, l'opinion s'était tellement modifiée au sujet des couronnes de fleurs, que c'était alors l'usage chez les personnes très-pieuses de porter de ces couronnes en souvenance de la couronne d'épines qui avait été mise sur la tête de Jésus-Christ pendant sa passion. Ainsi, Saint-Louis faisait porter tous les vendredis un chapeau de Roses ou autres fleurs aux princesses, ses filles, en remembrance de la sainte couronne d'épines, dit Guillaume de Nangis (4).

Aujourd'hui, la religion chrétienne ne bannit

(1) Tertullianus, De corond, cap. XIV, pag. 130, ex edit. Rigattio, Parisiis, 1641, in-fo.

(2) Clem. Alexand. Pædag. lib. II, cap. 8, pag. 214. « Nos tecta fovebimus ossa

(3)

Violis et fronde frequenti,
Titulumque et frigida saxa
Liquido spargemus odore. »

(Hymn. in exequiis defunct. vers. 170.)

(4) Marchangy, France au XIVe siècle, tom. IV, pag. 205.

plus les fleurs de ses temples et de ses pompes; les jours de fêtes, elle orne ses autels de bouquets et de guirlandes; dans la plus grande même, comme la plus imposante de ses solennités, le jour de la Fête Dieu, ce sont des corolles de Roses effeuillées qui, pendant la procession, se mêlent dans l'air aux parfums des encensoirs dirigés vers le Saint-Sacrement; et dans beaucoup de villes, principalement dans celles du midi de la France et de l'Europe, les rues par lesquelles les processions doivent passer sont entièrement jonchées d'herbes odoriférantes et de fleurs de toute sorte.

Depuis l'extinction du paganisme, l'usage de se couronner dans un festin est entièrement passé de mode. Les femmes seules se font un objet de parure des Roses, soit pour en orner leurs cheveux, soit pour les employer aux différentes parties de leur toilette. Mais ces fleurs ne vont bien qu'à la jeunesse; elles sont toujours déplacées sur le front de la vieillesse. Du reste, l'art est parvenu de nos jours à imiter si parfaitement les Roses, que, pour tous les objets de parure, les femmes ne font plus guère d'usage aujourd'hui que de celles qui sont artificielles.

CHAPITRE VIII.

La Rose dans le moyen-âge : fêtes, cérémonies et usages auxquels elle a donné lieu.

Dans les temps de chevalerie, les Roses furent souvent un emblème que les preux aimèrent à placer sur leurs armes. Une Rose dans l'écu d'un chevalier annonçait que la douceur doit être la compagne du courage, et que la beauté est le seul prix digne de la valeur. Mais cette aimable fleur ne fut pas toujours prise pour de tels emblèmes, et pourquoi faut-il que, lorsqu'elle ne devait rappeler que des images riantes et agréables, elle soit devenue le signe de deux factions rivales qui désolèrent l'Angleterre pendant plus de trente ans! Ces factions de la Rose blanche et de la Rose rouge commencèrent en 1452, sous Henri VI, entre les maisons de Lancastre et d'York. Un duc de ce dernier nom, descendant d'Édouard III, fondait ses droits à la couronne sur ce qu'il se trouvait plus près d'un degré de la tige primitive que la branche régnante. Il portait dans son écu une Rose blanche, et le roi régnant Henri VI, de la maison de Lancastre, portait une Rose rouge dans le sien. Après plusieurs guerres civiles des plus acharnées, après avoir inondé de sang tout le

royaume, après la fin tragique de trois rois, Henri VII, de la maison de Lancastre, réunit en 1486 les deux partis et les deux branches en épousant Élisabeth, héritière de l'autre maison.

Voici d'ailleurs l'origine de la Rose rouge dans les armes de la maison de Lancastre. Vers 1277, le comte d'Egmond, fils du roi d'Angleterre, et qui avait pris le titre de comte de Champagne, fut envoyé par le roi de France à Provins avec des troupes pour venger le meurtre de Guillaume Pentecôte, maire de la ville, qui avait été assassiné dans une émeute, ce qui lui donna lieu de faire quelque séjour à Provins. Lorsque ce prince retourna en Angleterre, il prit pour devise la Rose rouge que Thibaut, comte de Brie et de Champagne, avait rapportée de Syrie, en revenant de la croisade, quelques années auparavant. Ce comte d'Egmont fut le chef de la famille des Lancastre, qui conserva cette Rose rouge dans ses armes (1), tandis que la maison d'York avait au contraire pris une Rose blanche pour devise.

« Le prince de Béarn (depuis Henri IV) n'avait pas quinze ans lorsque Charles IX vint à Nérac, en 1566, pour y visiter la cour de Navarre. Les quinze jours qu'il y passa furent marqués par des jeux et des fêtes dont le jeune Henri était déjà le plus bel

ornement.

(1) Voyez l'Ancien Provins, par Opoix, pag. 217 et 452.

>> Charles IX aimait à tirer de l'arc; on voulut lui en donner le divertissement, et l'on pense bien qu'aucun de ses courtisans, pas même le duc de Guise, qui excellait à cet exercice, n'eut la maladresse de se montrer plus adroit que le monarque. Henri, que l'on appelait encore Henriot, s'avance, et du premier coup enlève avec sa flèche l'orange qui servait de but. Suivant la règle du jeu, il veut recommencer et tirer le premier; Charles s'y oppose et le repousse avec humeur, Henri recule quelques pas, arme son arc et dirige sa flèche sur la poitrine de son adversaire : celui-ci se met bien vite à l'abri derrière le plus gros de ses courtisans, et ordonne qu'on éloigne de sa personne ce dangereux petit cousin.

» La paix se fit : le même jeu recommença le lendemain; Charles trouva un prétexte pour n'y pas venir. Cette fois le duc de Guise enleva l'orange, qu'il fendit en deux ; il ne s'en trouvait pas d'autres. Le jeune prince voit une Rose sur le sein d'une jeune fille qui se trouvait au nombre des spectateurs, il s'en saisit et court la placer au but. Le duc tire le premier, n'atteint pas; Henri, qui lui succède, met sa flèche au milieu de la fleur, et va la rendre à la jolie villageoise sans la détacher de la flèche victorieuse qui lui sert de tige (1). »

La Rose est à Salency, village à une lieue de

(1) Mercure de France, novembre 1817, pag. 222; et Œuvres complètes d'Étienne Jouy, tom. VIII, pag. 310,

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