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beauté extraordinaire, avait inspiré de l'amour à plusieurs princes, et qu'ayant dédaigné leurs hommages, trois de ses amants, furieux de se voir méprisés, vinrent l'assiéger dans le temple d'Apollon et de Diane, où elle s'était réfugiée, suivie de tout le peuple, qui, ébloui de son extrême beauté, lui fit prendre sur l'autel la place même de la statue de la Déesse; mais Apollon, courroucé de l'injure faite à sa sœur, change Rodante en l'arbrisseau qui porte la Rose. Sous cette nouvelle forme, Rodante est toujours reine, car elle devient la plus belle des fleurs, et ses sujets, pressés autour d'elle, semblent encore la défendre, métamorphosés qu'ils sont en épines aiguës. Les trois princes sont changés l'un en papillon, et les deux autres en insectes ailés, qui, constants dans leurs amours, voltigent sans cesse autour de leur fleur chérie.

Gessner, poète suisse, dans une de ses idylles, fait encore raconter ainsi qu'il suit, par Bacchus, comment la Rose prit naissance : « Je poursuivais, dit ce dieu, une jeune nymphe; la belle fugitive volait d'un pied léger sur les fleurs, et regardait en arrière; elle riait malignement en me voyant chanceler et la poursuivre d'un pas mal assuré. Par le Styx! je n'aurais jamais atteint cette belle nymphe, si un buisson d'épines ne s'était embarrassé dans un pan voltigeant de sa robe. Enchanté, je m'approchai d'elle et lui dis: Ne t'effarouche pas tant, je suis Bacchus, dieu du vin, dieu de la joie, éternellement

jeune. Alors, saisie de respect, elle baissa les yeux et rougit. Pour marquer ma reconnaissance au buisson d'épines, je le touchai de ma baguette et j'ordonnai qu'il se couvrît de fleurs dont l'aimable rougeur imiterait les nuances que la pudeur étendait sur les joues de la nymphe. J'ordonnai, et la Rose naquit (1). »

Les Orientaux, comme nous le verrons plus loin, ont célébré la Rose dans leurs ouvrages, et, selon le Boun-Dehesch ou cosmogonie des sectateurs de Zoroastre, la tige de cette fleur n'avait point d'épines avant l'entrée d'Ahrimane (principe du mal) dans le monde (2).

Il est dit, dans le même traité (3), que chaque fleur est affectée à un amschaspand (4) particulier, et la Rose à cent feuilles est consacrée à Din appelé amschaspand dans ce passage (5).

Saint Basile, qui a dit aussi qu'à la naissance du monde les Roses étaient dépourvues d'épines, et qu'elles n'en prirent qu'à mesure que les hommes devinrent plus corrompus, avait peut-être puisé cette idée dans les ouvrages des Orientaux.

Les Turcs mêmes ont aussi voulu voir quelque

(1) Histoire de la Rose, par le marquis de Chesnel, pag. 19. (2) Voyez le Zend-avesta d'Anquetil, tom. II, pag. 405. (3) L. c., pag. 407.

si l'on peut

(4) L'amshaspand est plus qu'un archange pour nous. (5) Din est bien plutôt un simple ized ou ange, comparer les deux systèmes théologiques.

chose de merveilleux dans les vives couleurs dont est teinte la corolle de la Rose; mais leur imagination, moins riante que celle des Grecs, leur a fourni une idée plus singulière que gracieuse, ils supposent que cette fleur ne doit sa naissance qu'à la sueur de Mahomet. Cette croyance fait que ces peuples ont la Rose en honneur, et qu'ils ne souffrent qu'avce peine d'en voir les fleurs répandues par terre. C'est pourquoi, lorsqu'ils en trouvent ainsi, ils les ramassent soigneusement et, après les avoir approchées de leur bouche avec respect, ils les serrent dans quelque fente de la muraille, comme pour préserver une fleur si précieuse de toute espèce de profanation (1).

Les prêtres chrétiens enfin, malgré leur austérité, ont aussi empreint les Roses de quelque chose de céleste, puisqu'ils en ont placé dans le paradis. Un auteur de la Vie des Saints raconte l'histoire d'une jeune vierge nommée Dorothée, qui souffrit le martyre à Césarée, et qui convertit à la religion chrétienne un écrivain païen, appelé Théophile, en lui envoyant des Roses du paradis au milieu de l'hiver (2).

Après la mort de saint Louis, évêque de Toulouse et fils de Charles II, roi de Naples, on vit, diton, une Rose sortir de sa bouche.

On voyait autrefois à Poitiers, dans l'abbaye de

(1) Busbecq, Voyage à Constantinople; et Rosenbergi Rhodologia, pag. 15.

(2) Rosenberg, 1. c., pag. 16.

Sainte-Croix, une colonne qu'on avait élevée sur la tombe d'un jeune homme en mémoire d'un miracle. On raconte que, le lendemain de son enterrement, on avait vu paraître tout à coup, sur le lieu de sa sépulture, un Rosier couvert de Roses épanouies (1).

C'est ici le lieu, ce me semble, de placer le miracle des Roses, attribué par les légendes à SainteElisabeth de Hongrie. Voici comme M. de Montalembert le raconte dans l'Histoire de cette reine : « Élisabeth aimait à porter elle-même aux pauvres, à la dérobée, non-seulement l'argent, mais encore les vivres et les autres objets qu'elle leur destinait. Elle cheminait ainsi chargée par les sentiers escarpés et détournés qui conduisaient de son château à la ville et aux chaumières des vallées voisines. Un jour qu'elle descendait accompagnée d'une de ses suivantes favorites, par un chemin très-rude, que l'on montre encore, portant dans les pans de son manteau du pain, de la viande, des œufs et autres mets, pour les distribuer aux pauvres, elle se trouva tout à coup en face de son mari qui revenait de la chasse. Étonné de la voir ainsi ployant sous le poids de son fardeau, il lui dit : « Voyons ce que vous portez. » Et en même temps il ouvrit malgré elle le manteau qu'elle serrait tout effrayée contre sa poitrine; mais il n'y avait plus que des Roses blanches et rouges, les plus belles qu'il eût vues de sa vie. >>

(1) Histoire de la Rose, par le marquis de Chesnel, pag. 34.

CHAPITRE IV.

Poésies dont la Rose a été le sujet.

J'ai déjà dit qu'il y aurait de quoi former plusieurs volumes si l'on voulait rassembler tous les vers gracieux, toutes les idées riantes, toutes les comparaisons agréables et pleines de charmes dont la Rose a été le motif. Je me contenterai maintenant, pour ne point trop interrompre ce que j'ai à dire sur l'histoire de cette charmante fleur, de citer seulement quelques passages des auteurs qui m'ont paru les plus intéressants, les plus touchants, ou avoir le plus de rapports avec les qualités qui lui ont été généralement attribuées, et je renverrai à la fin de l'ouvrage, sous le nom de Guirlande de Roses, un choix des autres morceaux qui m'ont paru mériter d'être reproduits de nouveau.

Les anciens et les modernes ont célébré la Rose dans leurs ouvrages; tous à l'envi lui ont prodigué les épithètes les plus aimables, et elle a toujours été pour eux l'objet des plus agréables allusions. Les poètes surtout n'ont pas manqué de comparer la charmante couleur et le délicieux parfum de cette fleur au doux incarnat répandu sur le teint d'une

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