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CHAPITRE V.

De la multiplication des Rosiers par les semis.

« Qu'il dut être heureux celui qui le premier, soit hasard, soit intention, ayant confié des semences à la terre, s'aperçut que la nature pouvait encore varier ses productions ou les améliorer (1)! »

Ce n'est que de l'époque où l'on s'est occupé à faire des semis de la graine des Rosiers qu'on a commencé à en obtenir de nouvelles variétés. Dès ce moment la culture de la Rose a marché à pas de géant, et elle a plus avancé en quarante années qu'elle ne l'avait fait en trente siècles. Mais par qui ont été faits les premiers semis? Plusieurs Roses ont été introduites dans nos jardins comme certains de nos arbres fruitiers dans un temps dont le souvenir ne nous a pas été conservé. Tout ce qu'on peut croire, c'est que la Rose blanc-roux, la Rose blanc-taché et la Rose couleur de chair, dont parle La Quintinye, sont probablement des variétés de la Rose blanche commune, de même que la Rose panachée tire son origine de la rose de Provins (Rosa gallica), et que ces quatre variétés sont nées à des époques qui

(1) Vibert, Essai sur les Roses, deuxième livraison, p. 42.

nous sont inconnues, des deux espèces primitives qui étaient cultivées dans nos jardins depuis un temps immémorial.

La Rose mousseuse, superbe variété de la Centfeuilles, parait être due à l'Angleterre, où elle était cultivée dès 1724, mais on ne sait rien d'ailleurs sur son origine. Madame de Genlis (1) l'a vue pour la première fois dans ce pays, lors d'un voyage qu'elle y fit quelques années avant la révolution française de 1789, et elle dit en avoir apporté avec elle le premier pied qu'on ait connu à Paris. Cette femme célèbre ajoute, au sujet de cette belle espèce, qu'en Allemagne et surtout à Berlin, ce Rosier est cultivé d'une manière toute particulière, et qu'on en fait des arbres ravissants, aussi hauts que des cerisiers.

Il est difficile de croire à ce que dit madame de Genlis, de la manière dont on forme à Berlin des arbres avec le Rosier mousseux, ou il y a au moins beaucoup d'exagération dans le fait qu'elle rapporte.

Ce furent, à ce qu'il parait, les Hollandais qui pensèrent les premiers à appliquer aux Roses le genre de culture qui leur avait si bien réussi pour les jacinthes, les tulipes et autres fleurs qui furent pendant si long-temps les plus recherchées des florimañes, c'est-à-dire à multiplier les Roses par le moyen des semis.

En effet ce ne fut que du moment où les Hollan

(1) Botanique historique, p. 166.

dais eurent pensé à faire des semis abondants de Rosiers, que les variétés de ces arbustes commencèrent à se multiplier comme par enchantement. L'espèce que ces habiles et patients horticulteurs soumirent le plus fréquemment à leurs expériences fut surtout la Rose de Provins, et c'est aussi la cause qui fait que nulle autre espèce n'a encore donné naissance à autant de variétés; mais depuis une quarantaine d'années, et principalement depuis trente, les cultivateurs français se sont, pour ainsi dire, exclusivement emparés de la culture des Roses, et ils ont laissé bien loin derrière eux tous les autres peuples de l'Europe qui, auparavant, s'étaient montrés leurs rivaux et même leurs maîtres en ce genre.

De 1805 à 1810, l'impératrice Joséphine, qui encouragea et protégea Dupont, l'un des premiers cultivateurs qui se soient occupés en France de la culture des Roses, avait elle-même réuni à la Malmaison tout ce que la Hollande, la Belgique et l'Allemagne possédaient de plus beau en ce genre. Ainsi l'on peut dire que Joséphine et Dupont furent, à cette époque, les deux personnes qui donnèrent à Paris une grande impulsion à ce genre de culture.

Toutefois, Dupont n'avait semé qu'un petit nombre de Rosiers, car selon les détails que me transmet M. Vibert à ce sujet, on ne trouvait encore, dans le dernier catalogue publié par cet horticulteur, que cent dix espèces ou variétés, et la plus grande partie de ces dernières appartenaient aux Provins. Vers le

même temps, Vilmorin père s'occupa aussi, d'une manière particulière, de l'horticulture des Roses.

Les deux premières personnes qui suivirent l'exemple de Dupont et de Vilmorin furent M. Hardy, jardinier en chef du Luxembourg, et M. Descemet à Saint-Denis.

Jusqu'en 1814 et 1815, on ne trouvait encore de Rosiers réunis en collection que chez Dupont et Vilmorin à Paris, que chez Descemet à Saint-Denis et que chez M. Godefroy à Ville-d'Avray. M. de Pronville qui, en 1814, a publié dans les Annales de l'agriculture française la nomenclature des espèces, variétés et sous-variétés remarquables du genre Rosier, cultivées dans les jardins des environs de Paris, ne porte encore à cette époque le nombre des principales qu'à cent deux, et à cent quatre-vingtdeux l'énumération totale de toutes les variétés confusément rassemblées.

Mais lorsque par suite de la seconde entrée de l'armée des alliés à Paris, en juillet 1815, les pépinières de Descemet se trouvèrent menacées d'être envahies par les troupes étrangères, M. Vibert, qui déjà consacrait tous ses soins à la culture des Roses depuis 1810, s'empressa de faire l'acquisition de la précieuse collection en ce genre que cultivait Descemet, et qui montait alors à trois cents espèces ou variétés, afin de la soustraire à la destruction dont-elle était menacée par les nouveaux vandales. Malgré le moment tout à fait défavorable de la saison où l'on

était alors, i la transporta tout entière à Chenevières-sur-Marne, où lui-même avait ses propres cultures, et il fut assez heureux pour en sauver la très-grande partie. Dans la collection de M. Descemet se trouvaient alors dix mille jeunes Rosiers de semis, ce qui était dans ce temps un nombre considérable et extraordinaire; mais, depuis cette époque, les premiers progrès que Dupont, Vilmorin père et Descemet avaient fait faire à la culture des Rosiers ont été bien surpassés par MM. Desprez, Hardy, Laffay, Prévost de Rouen, Vibert et beaucoup d'autres.

Cependant, dès-lors l'impulsion était donnée, et la paix générale de l'Europe, qui ne fut plus troublée depuis, permettant à beaucoup de propriétaires de se livrer à de plus douces occupations, il se forma de tous côtés de nouveaux amateurs.

L'horticulture des Roses, encore si pauvre il y a une quarantaine d'années, et qui ne faisait qu'une petite partie de celle des plantes en général, s'accrut en peu de temps d'une manière si extraordinaire qu'elle forme aujourd'hui une culture spéciale, qui occupe à elle seule un grand nombre de cultivateurs marchands, auxquels elle procure assez de bénéfices pour que plusieurs d'entre eux puissent consacrer tout le terrain qu'ils exploitent, ou au moins la plus grande partie, à ne planter que des Rosiers.

Il est assez difficile d'estimer à quelle somme peut se monter le commerce des Roses; j'ai interrogé

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