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CHAPITRE III.

Origine de la Rose, ses metamorphoses et les merveilles qui lui sont attribuées.

Parmi les poètes anciens, les uns ont consacré la Rose au fils de Vénus, les autres à la déesse ellemême, qui surpassait en beauté toutes les autres divinités, comme cette fleur l'emporte sur toutes les autres par l'élégance de ses formes, l'éclat de ses couleurs et le charme de son doux parfum.

Ce qui prouve que la Rose était consacrée à Vénus, et qu'on l'employait dans le culte rendu à cette déesse, c'est qu'on a trouvé plusieurs statues de ses prêtresses qui étaient couronnées de Roses. Telle est celle qu'on voit à Portici, tirée des cendres dont fut couvert Herculanum (1).

Chez les Grecs, la Rose fut encore consacrée à l'Aurore, aux Grâces, enfin à Harpocrate, le dieu du silence, comme pour faire entendre que les plaisirs de l'amour perdent de leurs charmes, s'ils ne sont ombragés des voiles du mystère.

De ce que la Rose fut consacrée à Harpocrate, cette fleur elle même fut considérée comme le sym

(1) D'Orbessan, Essai sur les Roses, pag. 328, dans les Mélanges historiques, critiques, etc., tom. III, de la pag. 297 à 337.

bole du silence. De là l'expression être sous la Rose signifie que tout ce qu'on disait devait rester secret; et de là aussi cette coutume qui s'était introduite dans quelques pays du Nord de suspendre une Rose au-dessus de la table dans les salles à manger, lorsqu'on voulait que les convives gardassent le silence sur tout ce qui pourrait se dire pendant le repas (1).

Mais ce ne fut pas assez pour les poètes de l'antiquité d'avoir consacré la Rose à Vénus, à l'Amour ou à telle autre divinité; leur fleur chérie ne put avoir une origine commune, et leur riante imagination se plut à la faire naître d'une façon extraordinaire et surnaturelle. La fable raconte de plusieurs manières soit sa naissance, soit comment elle prit la vive couleur qui la distingue.

Nous avons déjà vu, d'après Anacréon, quelle fut l'origine de la Rose. Bion la fait naître du sang d'Adonis, qui, selon la mythologie, périt victime de la fureur du sanglier suscité par Diane à la prière de Mars, jaloux de la préférence que la déesse de Cythère avait accordée à ce jeune prince.

<«< Malheur, malheur à Vénus! dit le poète, le charmant Adonis n'est plus, et la Déesse répand autant de larmes qu'Adonis a perdu de sang. En tombant sur la terre, l'un et l'autre se changent en fleurs; le sang donne naissance à la Rose, et les pleurs à l'Anémone (2). »

(1) Rosenberg, Rhodologia, édit. in-8°, 1630, pag. 14.

(2) Væ, væ Veneri! periit pulcher Adonis. Lacrymarum tan

Ovide (1), sans expliquer en quelle espèce de fleur eut lieu la métamorphose, fait simplement dire par Vénus à Adonis mourant : « Ton sang sera changé en fleur. >>

Théocrite, Apollodore et l'auteur des Géoponiques disent seulement que Vénus, pour soustraire Adonis à la férocité du sanglier, s'empressa de voler à son secours et que ses pieds furent déchirés par les épines de la Rose. Ce fut alors, et du sang de la Déesse, que cette fleur, qui auparavant était blanche, se colora d'un vif incarnat (2).

Cette dernière version a inspiré l'auteur de la belle statue grecque que l'on voit à Florence, et qui représente Vénus arrachant de son pied l'épine de Rose dont elle a été blessée.

Cette manière de voir sur le changement de couleur de la Rose a aussi été adoptée par plusieurs poètes latins du moyen âge, qui y ont fait allusion dans des vers cités par Rosenberg dans son ouvrage sur la Rose (3).

On trouve encore dans la mythologie que l'Amour conduisant dans l'Olympe un chœur de danse,

tùm Venus effundit, quantùm Adonis sanguis fundit; hæc verò in terrâ convertuntur in flores: sanguis Rosam gignit, sed lacrymæ anemonem. » Bion, Adonidis Epitaphium. Idyllum I.

(1) « At cruor in florem mutabitur! » (Metam., 1. X, v. 729.) (2) Théocrite, idylle XXX. Apollodore, Bibliotheca, in-8°, Paris 1805, tom. II.- Geoponiorum libri X, cap. 17.

(3) Rhodologia, pag. 173.

heurta et renversa un vase de nectar qui, tombant sur la terre, changea la couleur de la Rose qui auparavant était blanche.

On lit dans Ausone une autre fable, selon laquelle la Rose doit sa couleur vermeille au sang de Cupidon. «< Vénus, dit ce poète (1), aigrie par le souvenir de tous les maux que lui avait causes son fils, va cueillir une branche de Roses, et la déesse a le courage d'en frapper l'Amour. Les coups redoublés firent sortir le sang de son corps délicat, et la Rose, qui était déjà colorée, parut alors d'un rouge encore plus vif. »

Le marquis de Chesnel raconté, sur l'origine de la Rose, une historiette qui m'a paru assez intéressante pour mériter de trouver place ici : « Roselia (2) avait été consacrée, dès son berceau, au culte de Diane; mais sa mère, qui ne s'était imposé ce cruel sacrifice qu'afin de conserver les jours d'un enfant qui lui était cher et dont elle avait redouté la

(1) «Nec satis in verbis. Roseo Venus aurea serto,
Mærentem pulsat puerum, et graviora paventem.
Olim purpureum mulcato corpore rorem
Sutilis expressit crebro Rosa verbere; quæ jam
Tincta prius, traxit rutilum magis ignea facum.»>
(Ausonii Cupido cruci affixus. Idyll. VI,
vers 88.)

(2) Le marquis de Chesnel ne dit pas à quel auteur il a emprunté cette fiction, et je crois devoir faire observer d'ailleurs que le nom de Roselia qu'il donne à son héroïne n'appartient pas à la langue grecque, celui de la Rose dans cette langue étant Rhodon.

perte, fut bientôt aveuglée par la même tendresse, et résolut d'arracher sa fille du temple pour l'unic au beau Cymédore. Roselia, au pied de l'autel de l'hymen, prononça de coupables serments, dont son cœur innocent ne connaissait pas le danger; mais Cymédore, que la crainte de la Déesse poursuivait, se hâta d'entraîner sa jeune épouse. Déjà ils avaient franchi les derniers degrés du temple, lorsqu'ils furent aperçus de Diane. On ne se joue pas impunement du courroux des Dieux. Un trait fatal vint percer le cœur de Roselia. Cymédore, transporté de douleur et de tendresse, se jeta sur le corps de son épouse, il voulait la soutenir ! la ranimer!... mais... ô prodige! il n'embrassa qu'un arbrisseau couvert d'épines et inconnu jusqu'alors. Cet arbuste, në du remords de Diane et des larmes de l'Amour, se couvrit de fleurs odoriférantes qui reçurent le nom de la malheureuse Roselia, et conservèrent le souvenir de sa métamorphose (1). »

Ce ne furent pas seulement les poètes de l'antiquité qui se plurent à embellir d'agréables fictions la naissance de la Rose. Le père Rapin, jésuite, qui vivait au dix-septième siècle, sous Louis XIV, aussi donné une origine surnaturelle à cette fleur. Il suppose dans son poème des Jardins (2), qu'une reine de Corinthe, nommée Rodante, et d'une

II

a

(1) Histoire de la Rose, par le marquis de Chesnel, in-8°, 1820, pag. 18.

(2) Livre Ier.

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