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dans les prés de ce pays on trouvait presque autant de narcisses à bouquets (Narcissus tazetta, L. ) dont les fleurs fussent doubles, qu'on en voyait à fleurs simples, et, comme une preuve de ce qu'il me disait à ce sujet, il m'a donné pour mon herbier plusieurs échantillons des premiers. D'après cela il est permis de croire que les premières Roses doubles et les plus anciennement cultivées furent trouvées spontanées dans les campagnes, et telles furent celles à cent feuilles qui, selon Théophraste et Pline croissaient naturellement sur le mont Pangée, et, plus anciennement encore celles qui, d'après Hérodote, venaient sans culture dans la Macédoine près des anciens jardins de Midas.

CHAPITRE II.

Culture des Roses chez les Maures d'Espagne,

Après avoir traité de la culture des Rosiers chez les anciens, et principalement chez les Romains, je crois devoir dire quelques mots de cette culture chez un peuple qui fut en quelque sorte intermédiaire entre les Romains et nous; peuple chez lequel les arts, les sciences et l'agriculture furent aussi trèsflorissants pendant plusieurs siècles: je veux parler des Maures d'Espagne. J'emprunte à M. Hardy, jardinier en chef du Luxembourg, bien connu par les nombreuses et belles variétés de Roses qui lui sont dues, quelques observations intéressantes qu'il a déjà publiées sur ce sujet (1) et qu'il a extraites d'un travail de M. de La Neuville. Celui-ci ayant été employé en Espagne lors de la dernière guerre de 1823, en qualité d'intendant militaire, traduisit alors, sur la version espagnole, quelques parties d'un ouvrage arabe sur la culture en général, dans lequel celle du Rosier lui parut présenter quelques particularités intéressantes. Ainsi les Maures con

(1) Journal des jardins, mai 1828, p. 159.

quérants de l'Espagne attachaient le plus grand prix à la plus belle des fleurs, et ils la cultivaient avec autant de soin que nous.

<< Selon Abu-el-Jaïr, dit M. de La Neuville dans sa traduction, il y a des Rosiers de plusieurs couleurs incarnats, blancs, fauves ou jaunes, de couleur lapis-lazuli ou bleu céleste. Il y en a qui ont cette dernière couleur en dehors et qui sont jaunes en dedans. Dans l'Orient, on connaît des Roses panachées de jaune et bleu céleste; l'une à l'intérieur, l'autre à l'extérieur du calice (la corolle). Celle à cœur jaune est très-commune à Tripoli de Syrie, celle à cœur bleu se rencontre du côté d'Alexandrie. >>

Il serait fort singulier que les Maures eussent eu des variétés de Roses bleues, ce qui n'existe pas chez nous, malgré l'innombrable quantité de ces fleurs que nous possédons aujourd'hui. Ce fait pourrait d'ailleurs avoir été hasardé par Abu-cl-Jaïr, car, selon M. de La Neuville, un autre auteur presque contemporain, Abu-Abdalah-ebn-el-Fasel, fait une assez nombreuse énumération de plusieurs sortes de Roses sans parler des bleues. « Il y a, dit ce dernier auteur, quatre espèces de Roses: l'une, connue sous le nom de double-blanche, d'une odeur exquise, dont le calice réunit plus de cent pétales; la jaune, qui a la couleur de l'or, éclatante comme la jonquille; la brune, qui tient de la teinte violette; enfin l'incarnate, qui est la plus commune

de toutes... Dans un autre passage le même auteur ajoute On compte un grand nombre d'espèces de Rosiers, ceux des montagnes ou sauvages, les doubles dans les nuances rouges et blanches, et ceux de la Chine (1). Le Rosier double des jardins est l'espèce par excellence; sa fleur blanche, nuancée de couleur de chair, se compose de quarante à cinquante pétales au moins.»

Les Maures multipliaient les Rosiers par tous les moyens que nous employons encore maintenant; par les graines, qu'ils semaient en août, septembre et octobre; par l'éclat des pieds et par la séparation des drageons, qu'ils pratiquaient en janvier; par boutures faites avec des branches et des racines; par marcottes et enfin par la greffe sur églantier. Ils les soumettaient aussi à la taille, afin de leur faire prendre des formes régulières.

Ce qu'on vient de lire, et que M. Hardy n'avait donné que comme un extrait d'un plus long travail fait par M. de La Neuville, avait vivement piqué ma curiosité, et je désirais beaucoup avoir la possibilité de voir ce dernier lui-même, afin de savoir si ce qu'il avait traduit de l'ouvrage arabe, sur la version espagnole, ne contiendrait pas, sur la culture des Rosiers, d'autres renseignements qu'il pourrait être utile de faire connaître. Ayant donc appris que M. de

(1) Les Roses de Chine, dont il est ici question, appartiennent à l'Hibiscus Rosa sinensis.

La Neuville vivait retiré à Paris, où il se livrait à la culture des plantes et principalement à celle des Rosiers, je me suis empressé d'aller le voir, en lui faisant part du projet que j'avais de publier un ouvrage sur les Roses; il ne l'eut pas plutôt appris qu'il mit obligeamment à ma disposition son manuscrit tout entier, en me faisant connaître qu'il était extrait du Livre de l'Agriculture par Ebn-el-Awam (1) auteur arabe qui vivait au XII° siècle, et qui rattache très-souvent ses propres expériences à un autre ouvrage, beaucoup plus ancien, intitulé l' Arcuture nabathéenne, qui primitivement avait été écrit en chaldéen, d'où il avait été traduit en arabe.

D'après cela, voici ce que je crois devoir publier encore de l'extrait fait par M. de La Neuville. « Les Maures semaient les graines de Rosier de deux manières. Premièrement en terrines, ainsi que cela se fait pour les plantes délicates, en arrosant tout de suite, et après cela deux fois par semaine jusqu'en automne, où ce soin devient superflu. Secondement, ils semaient à la volée, comme on le fait pour les céréales, en recouvrant le semis de l'épaisseur d'un doigt de crottin finement criblé, ou de terreau bien consommé, et en pratiquant d'ailleurs les arrosements nécessaires. Que les semis eussent été faits en place ou repiqués dans des carrés ou planches, ils ne donnaient

(1) Livre de l Agriculture, par Ebn-el-Awam; traduit en espagnol par don Joseph Antonio Banqueri, 2 vol. in-fo, Madrid,

1802.

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