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et par suite l'irréligion rentrèrent dans la place; · chez Simon le vice est devenu une seconde nature qui revient toujours par la fenêtre quand on la chasse par la porte. Au reste, Deutz n'a ja mais caché sa passion dominante pour les femmes; loin de là, il en tirait vanité; ainsi, quand il expédiait un courrier à franc étrier au conseil des ministres, qui se réunissaient presque tous les soirs, attendant avec anxiété des nouvelles de Nantes (pamphlet, p. 52.), il mandait à LL. EE., dans sa dépêche : « La voix d'une femme a toujours eu beaucoup de pouvoir sur moi. (Ibid.)

Il faut convenir que le moment était bien choisi pour ces confidences sentimentales qui devaient beaucoup flatter le ministère français; qu'on imagine la trahison prenant des gants jaunes et se donnant des airs de fatuité, et l'on rirait, si l'on pouvait rire, quand l'horreur l'emporte sur le ridicule.

Avant d'aller plus loin, nous croyons devoir répondre à une objection qu'on ne manquera point de nous faire.

Peut-être quelques lecteurs trouveront-ils que nous recherchons avec trop de curiosité les circonstances d'une vie qui, si elle a brillé un moment d'une épouvantable lueur, n'avait rien d'ailleurs qui dût la faire sortir de l'obscurité à laquelle elle senible appartenir tout entière; mais

le goût du public n'a-t-il pas été toujours d'accueillir avec une indéfinissable avidité jusqu'aux moindres détails sur la vie de ces grands criminels qui, comme Fieschi, Lacenaire ou Deutz, ont épouvanté la société, sans doute pour saisir le moment ou l'homme vulgaire s'est effacé pour faire place au coupable; en un mot, afin de prendre, s'il est possible, comme disait Fontenelle, la nature sur le fait ?

De pareilles recherches ne sont pas indignes de l'observateur; elles appartiennent à la connaissance de l'homme qu'il faut étudier dans ses misères comme dans ses grandeurs ; c'est ainsi qu'il faut expliquer cette sympathie pour les details biographiques dont le philosophe ne se défend pas davantage que le public.

Cette courte digression me paraît nécessaire pour me justifier auprès de ceux des lecteurs qu'entraînerait un sentiment si naturel de dégoût et de répulsion pour Deutz; qu'ils veuillent donc bien comprendre que Plutarque avait choisi ses héros et qu'il faut au contraire du courage pour se poser le Plutarque de Simon Deutz.

J'ajouterai que, pour me conformer à la règle est modus in rebus, je n'ai point jetté sur le papier, à l'aventure, toutes les anecdotes que je possède sur le Judas moderne.

J'ai dû faire choix, dans le nombre, de celles seulement qui pouvaient servir à fixer cette si

nistre et coupable physionomie dont j'ai consenti à être le peintre.

Je reprends donc mes pinceaux.

Parvenu à l'âge où une certaine pudeur naturelle ne permet plus de faire le gamin dans les rues, Deutz perfectionna son éducation en dévorant les romans les plus orduriers. Les circonstances secondaient merveilleusement son goût, car c'était l'époque où des hommes sans foi et sans principes jetaient dans le public les productions les plus obscènes, pour pervertir les moeurs et arriverpar ce moyen au bouleversement de la société. Comme il ne pouvait lire commodément au logis, car la maison de son père était plus bruyante qu'un moulin, il s'établissait sur une borne de la rue. Là, absorbé dans sa lecture, il restait des journées entières, oubliant d'aller prendre ses repas. Il ne s'apercevait pas plus des heures qui s'écoulaient que des piétons et des voitures qui passaient. Cette rage ne se calmait qu'à la fin du roman ou quand la nuit avait jetté ses ombres sur les feuilles du livre.

Pour satisfaire les passions qui s'allumaient chez Simon, il fallait de l'argent; mais son père dormait et n'en donnait point. Que de fois déjà uniquement occupé des coupables jouissances qui avaient pour lui tant d'attrait, Simon nous disait: Je me creuse le cerveau, je ne songe qu'à trouver le moyen de jeter un filet qui m'a

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« mène au moins un million : avec 50,000 fr. de << rente, comme M. Lazare (16), je m'en donne«rais à cœur joie.

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Un million! un filet! serait-il donc vrai que chaque homme a des paroles prophétiques!

Deutz le père ne pouvant donner de l'argent à son fils pour le faire vivre à Paris, trouva plus facile de l'en éloigner; il l'envoya à Wintzensheim, village de l'Alsace, chez un Rabbin, sous prétexte de lui faire enseigner le Talmud; mais il ne put l'y fixer.

Après un essai tout aussi malheureux auprès de l'école juive de Metz, Deutz revint à Paris, où pour le sortir de sa dangereuse oisiveté, on voulut lui donner un métier; on le mit en apprentissage chez M. Sétier, imprimeur du consistoire central des Juifs; l'ouvrier chargé du jeune apprenti fut un certain Maison; cet homme qui rarement n'avait pas de la barbe (17), commençait ordinairement sa semaine le jeudi, voire même le vendredi; on juge ce que Deutz a pu acquérir sous un pareil maître; néanmoins, muni de son livret de compositeur, il entra dans les ateliers de M. Didot (18); mais il n'y resta pas long-temps. Vers ce temps-là, sa conduite fût si légère qu'il n'osa plus reparaître dans la maison paternelle.

Retiré, je ne sais où, Simon venait clandestinement prendre ses repas chez son beau-frère M. Drach, que dorénavant nous verrons devenirson refuge toutes les fois qu'il se placera.

par son inconduite dans une mauvaise position. Cependant la tendresse excessive de madame Deutz (20) ramena Simon au domicile de son père.

Ici commence une nouvelle période de l'histoire de notre héros. Il retourna à son ancienne vie fainéante et dérangée, mais en même temps il se donnait des airs, et renia son métier qu'il ne reprit, momentanément et selon toute apparence pour la dernière fois, qu'en 1827. On aurait été bien mal venu à lui rappeler dans les sociétés, bien entendu sociétés juives, où il commençait à se répandre, qu'il était ouvrier imprimeur.

Parmi les qualités de Deutz, il ne faut pas ou blier de signaler celle de parasite par excellence. Personne n'écornifle un dîner plus impudemment que lui: j'en atteste tous ceux qui ont été, tous ceux qui sont, tous ceux qui seront en rapport avec lui. Flânant par tout Paris, il s'invitait tantôt dans une maison, tantôt dans une autre. C'est surtout chez M. Drach qu'il portait sa parasite commensalité. Il avait pris pour celui-ci, son bienfaiteur, un vifattachement qui par la suite se changea en un sentiment bien contraire, comme nous le verrons en son lieu. M. Drach, au reste, a cela de commun avec tous les bienfaiteurs de ce monstre d'ingratitude. Le Vendredi-Saint, au soir, en 1823, Simon vint chez son beau-frère dans l'intention d'y dîner. M. Drach voulait, selon ce qui lui avait été recommandé,

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