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A L'HOMME QUI A LIVRÉ UNE FEMME.

PAR VICTOR HUGO.

O honte! ce n'est pas seulement cette femme,
Sacrée alors pour tous, faible cœur, mais grande âme,
Mais c'est lui, c'est son nom dans l'avenir maudit,

Ce sont les cheveux blancs de son père interdit,
C'est la pudeur publique en face regardée
Tandis qu'il s'accouplait à son infâme idée,
C'est l'honneur, c'est la foi, la pitié, le serment,
Voilà ce que ce Juif a vendu lâchement !

Juif! les impurs traitans à qui l'on vend son âme
Attendront bien long temps avant qu'un plus infâme
Vienne réclamer d'eux, dans quelques jours d'effroi,
Le fond du sac plein d'or qu'on fit vomir sur toi !
Ce n'est
pas même un Juif ! c'est un païen immonde,
Un renégat, l'opprobre et le rebut du monde,
Un fétide apostat, un oblique étranger

Qui nous donne du moins le bonheur de songer
Qu'après tant de revers et de guerres civiles,
Il n'est pas un bandit écumé dans nos villes,
Pas un forçat hideux blanchi dans les prisons,
Qui veuille mordre en France au pain des trahisons!
Rien ne te disait donc dans l'âme, ô misérable!
Que la proscription est toujours vénérable,
Qu'on ne bat pas le sein qui nous donna son lait,
Qu'une fille des Rois dont on fut le valet

Ne se met point en vente au fond d'un antre infâme
Et que n'étant plus Reine, elle était encore femme!
Rentre dans l'ombre où sont tous les monstres flétris.
Qui, depuis quarante ans bavent sur nos débris!

Rentre dans le cloaque! et que jamais ta tête (* (9)
Dans un jour de malheur ou dans un jour de fête,
Ne songe à reparaître au soleil des vivans!
Qu'ainsi qu'une fumée abandonnée aux vents,
Infecte, et dont chacun se détourne au passage
Ta vie erre au hasard de rivage en rivage!

Et tais-toi! que veux-tu balbutier encor?

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Dis, n'as-tu pas vendu l'honneur, le vrai trésor ?
Garde tous les soufflets entassés sur ta joues.
Que fait l'excuse au crinie et le fard sur la boue!

Sans qu'un ami t'abrite à l'ombre de son toit,
Marche, autre Juif errant ! marche avec l'or qu'on voit
Luire à travers les doigts de tes mains mal fermées!
Tous les biens de ce monde en grappes parfumées
Pendent sur ton chemin, car le riche ici bas
A tout, hormis l'honneur qui ne s'achète pas!
Hâte-toi de jouir, maudit! et sans relâche
Marche! et qu'en te voyant on dise: c'est ce lâche!
Marche! et que le remords soit ton seul compagnon!
Marche! sans rien pouvoir arracher de ton nom !
Car le mépris public, ombre de la bassesse,
Croît d'année en année et repousse sans cesse,.
Et va s'épaississant sur les traîtres pervers

Comme la feuille au front des sapins toujours verts!
Et quand la tombe un jour, cette embûche profonde
Qui s'ouvre tout-à-coup sous les choses du monde
Te fera, d'épouvante et d'horreur agité,

Passer de cette vie à la réalité,

La réalité sombre, et cruelle, immobile!

;

Quand d'instant en instant plus seul et plus débile,
Tu te cramponneras envain à ton trésor
Quand la mort t'acostant couché sur des tas d'or,
Videra brusquement ta main crispée et pleine

Comme une main d'enfant qu'un homme ouvre sans peine,
Alors, dans cet abîme où tout traître descend,
L'un roulé dans la fange et l'autre teint de sang,
Tu tomberas, perdu sur la fatale grève,
Que Dante Aligheri vit avec l'œil du rêve!
Tu tomberas damné, désespéré, banni!

Afin que ton forfait ne soit pas impuni,

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Et que tón âme errante au milieu de ces âmes,
Y soit la plus abjecte entre les plus infâmes!

Et lorsqu'ils te verront paraître au milieu d'eux,
Ces fourbes dont l'histoire inscrit les noms hideux
Que l'or tenta jadis, mais à qui, d'âge en âge,
Chaque peuple en passant vient cracher au visage,
Tous ceux, les plus obscurs comme les plus fameux,
Qui portent sur leurs lèvres un baiser vénimeux,
Judas qui vend son Dieu, Leclere qui vend sa ville,
Groupe au louche regard, engeance ingrate et vile,
Tous en foule accourront joyeux sur ton chemin,
Et Louvel indigné repoussera ta main !

(a) Epigraphe du pamphlet de Deutz, tirée de l'Enéide IIX. 27. Jamais épigraphe ne fut choisie plus maladroitement, car le poète, pour compléter le sens, ajoute dans le vers suivant: mea frans omnis. Cela peut se traduire : « C'est moi, moi-même qui suis le coupable. Cette TRAHISON m'appartient toute entière. »

(b) Une dame a exprimé avec bonheur, dans les vers suivans, le jugement que le public porte de la dégoûtante publication de Deutz. Voici ce qu'on lisait dans plusieurs journaux :

« L'ignoble pamphlet de Deutz a inspiré à une femme les vers suivans:

«Il a donc reparu l'infâme

« A qui Judas légua son âme!

«Que veut-il? Ce pouvoir dont il fut le soutien.
« Croit en vain l'arracher à son ignominie.
« Son pays le rejette et son Dieu le renie:

« Il n'est ni Français ni chrétien. ››

(c) Les policiers mêmes, en parlant de Deutz à Nantes, disaient. « C'est tout de même une f...........e canaille ! » Les officiers indignés de sa lâche conduite, brûlaient de flanquer au traître un fière cravachade. Et qu'est-ce qui les en empêcha ? la crainte d'humilier leurs chevaux! C'est que rien ne répugne tant au caractère français que la trahison. Qu'on se figure maintenant l'impression que fit à Nantes même celle de Deutz, accompagnée de circonstances si odieuses, et lorsqu'elle était encore toute chaude!

On prétend que ce misérable, après le service qu'il dit avoir rendu au pays, c'est-à-dire à la France qui n'estpoint son pays, demanda à être présenté à Louis-Philippe et à sa famille. Ne dirait-on pas un maréchal de France, revenant d'une campagne glorieuse ? L'étiquette de la cour citoyenne n'est certes pas rigoureuse, toute fois son élasticité n'a pu aller jusqu'à faire paraître le méprisable Judas de vant une famille de Bourbons, devant des princes proches parens de son auguste victime. Celui qui pour une somme a vendu la Duchesse de Berry, étant à son service et rétribué comme tel, pour une autre somme vendrait Louis-Philippe à la république, et M. Thiers par-dessus le marché.

(d) Voyez son libelle, à la page 73.

(e) Ibid. p. 72, le traître ose dire : « Il est temps que la France connaisse Deutz, tel que l'on fait la nature, les événemens et ses passions.

(ƒ) Voyez la note précédente.

(g) Les originaux de ces lettres, ainsi que ceux des autres: pièces citées ou transcrites dans la présente brochure, resteront déposés pendant six mois au bureau du Moniteur de la Religion. Ils seront indiqués de la manière suivante : (voir pièces déposées no.....),

(h) M. Maurice-Duval essuie le même affront, ( voir le pamphlet là même ). Ce préfet n'a que ce qu'il mérite. Il a eu l'impertinence de ne pas se découvrir devant l'auguste' prisonnière, et voilà qu'après trois ans la Providence lui envoie l'humiliation d'être encensé des mains impures du traître qui lui avait livré la princesse.

U Rarò antecedentem scelestem

Deseruit pede pæna claudo.

Simon à peine arrivé à Paris, de son expédition de

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