Page images
PDF
EPUB

LES VIES

DES

HOMMES ILLUSTRES.

THÉSÉE (1).

1. Temps fabuleux distingués des temps historiques. — II. En quoi Thésée et Romulus se ressemblent. III. Origine et naissance de Thésée. — IV. Son éducation, et son voyage à Delphes. - v. Sa mère lui fait connaître son origine. VI. Émulation que lui inspirent les exploits d'Hercule. VII. Il tue Périphètes et Sinnis.-VIII. La laie de Crommyon. -IX. Mort de Sciron, et de plusieurs autres brigands.— x. Il tue Cercyon d'Arcadie et Damastes, aussi appelé Procrustes. -XI. Son arrivée à Athènes. — xu. Il défait les Pallantides. -XIII. Il va combattre le taureau de Marathon.-XIV. Tribut de jeunes enfants imposé par Minos aux Athéniens.-xv.Thésée s'offre pour être du nombre des jeunes gens qu'on envoie en Crète. -XVI. Il s'embarque.— xvII. Aidé par Ariadne, il tue le Minotaure.-XVIII. Différentes traditions sur la mort d'Ariadne.-XIX. Thésée se rend à Délos. Origine de la danse de la Grue. - xx. Son retour à Athènes. Mort de son père Égée.-XXI. Son vaisseau conservé à Athènes pendant plusieurs siècles.-XXII. Réunion de tous les bourgs de l'Attique en une seule ville. Institution des Panathénées. · XXIII. II divise les Athéniens en plusieurs classes.-xxiv. Il établit les

jeux Isthmiques.-xxv. Il s'embarque, et va au Pont-Euxin. Il a un fils de l'Amazone Antiope.-XXVI. Guerre des Amazones.-XXVII. Thésée épouse Phèdre. Hippolyte, fils d'Antiope.- xxvi. Différentes opinions sur le nombre des exploits de Thésée.-XXIX. Son amitié avec Pirithoūs. Combat des Lapithes et des Centaures.-xxx. Il enlève Hélène. Sa prison en Épire.-xxxI. Intrigues de Mnesthée contre lui. -XXXII. Castor et Pollux viennent à Athènes redemander Hélène leur sœur. Origine de l'Académie.-xxxIII. Ils sont reçus à Athènes par le conseil de Mnesthée.-XXXIV. Thésée retourne à Athènes, et trouve le peuple révolté contre lui. Il se retire à Scyros. XXXV. Lycomède l'y fait mourir par trahison.-XXXVI. Ses ossements rapportés longtemps après à Athènes. XXXVII. Sacrifices institués en son honneur.

-

Thésée, suivant M. Dacier, vivait vers l'an du monde 2720, environ 1228 ans avant J. C. 434 ans avant le commencement des olympiades, et 478 avant la fondation de Rome.

Les nouveaux éditeurs du Plutarque d'Amyot renferment l'espace de la vie de Thésée depuis l'an 2249 jusqu'à l'an 1199 avant J. C. 423 avant la première olympiade.

I. Les géographes (2), mon cher Sénécion (3), renvoient à l'extrémité de leurs cartes les pays qui leur sont inconnus, et marquent en quelques endroits que ce qui est au delà ne contient que des déserts arides, pleins de bêtes féroces; que des marais impraticables; que les frimas de la Scythie (4), ou des mers glacées. De même dans ces vies parallèles des hommes illustres, après avoir parcouru les temps où l'histoire, appuyée sur des faits connus, porte tous les caractères de la vraisemblance, nous pouvons dire des âges antérieurs : Au delà est le pays des fictions et des monstres, habité par les poëtes et les mythologistes, où rien n'est assuré| et ne mérite aucune confiance (5). Les Vies de Lycurgue le législateur, et du roi Numa, que j'ai déjà publiées, m'ayant rapproché du temps de Romulus, j'ai cru pouvoir remonter jusqu'à ce prince (6).

Mais en considérant

Qui d'entre les mortels on doit lui comparer; Quel guerrier avec lui pourra se mesurer,

comme le dit Eschyle', il m'a paru que le fondateur d'Athènes, cette ville si belle et si célèbre (7), pouvait très-bien être mis en parallèle avec le père de la glorieuse et invincible Rome. Je voudrais pouvoir épurer cette vie de tout ce qu'elle a de fabuleux, et, en l'appuyant sur des fondements raisonnables, lui donner l'air de l'histoire : mais dans les endroits où, se refusant à toute espèce de vraisemblance, elle ne pourra obtenir la confiance des lecteurs, j'aurai recours à leur indulgence, et je les prierai de recevoir favorablement des fables dont l'origine se perd dans l'antiquité la plus reculée (8).

II. Thésée et Romulus m'ont paru avoir entre eux plusieurs traits de ressemblance. Tous deux nés d'une union clandestine et d'un père incertain, ils ont passé l'un et l'autre pour enfants des dieux (9).

Trag. des Sept-Chefs devant Thèbes.

36

Reconnus tous les deux pour de vaillants guerriers ',

ils ont joint la prudence à la force; ils ont donné naissance aux deux plus célèbres villes du monde : l'un a bâti Rome; l'autre a fondé la cité d'Athènes, en réunissant tous ses bourgs dans une même enceinte. Ils ont tous deux enlevé des femmes; ils ont éprouvé l'un et l'autre des dissensions et des malheurs domestiques (10); sur la fin de leur vie, ils se sont attiré la haine de leurs citoyens, si toutefois on doit croire ce qu'on en rapporte de moins fabuleux et de plus vraisemblable.

III. Thésée remontait par son père à Érechthée, et à ces premiers habitants de l'Attique qu'on appelait Autochthones (11). Du côté de sa mère, il descendait de Pélops (12), le plus puissant des rois du Péloponèse, moins encore par ses richesses que par le nombre de ses enfants. Il maria plusieurs de ses filles aux plus grands princes du pays, et procura à ses fils des gouvernements considérables en divers endroits de la Grèce (13). Pitthéus, l'un d'eux, aïeul maternel de Thésée, fonda la petite ville de Trézène (14). Il passait pour l'homme le plus sage et le plus instruit de son temps (15). Le mérite de cette sagesse consistait en sentences de morale du genre de celles qui ont tant fait estimer le poëme d'Hésiode sur les Ouvrages et les Jours, où l'on trouve la maxime suivante, qu'on dit être de Pitthéus :

Tiens prêt pour ton ami le prix de son service 3 :
du moins le philosophe Aristote la lui attribue; et
Euripide, en appelant Hippolyte le disciple du saint
Pitthéus 4, nous montre la haute opinion qu'on
avait de ce prince. Égée, qui désirait d'avoir des
enfants, étant allé consulter Apollon, la Pythie lui
rendit cet oracle si connu, qui lui défendait d'a-
voir commerce avec aucune femme avant son re-
tour à Athènes. Mais comme la réponse n'était pas
claire, il passa par Trézène, et fit part à Pitthéus
de l'oracle, qui était conçu en ces termes :

Grand prince, dont la gloire égale la vertu,
Avant que dans ses murs Athènes t'ait reçu,
Tu ne délieras point le pied qui sort de l'outre.

On ne sait pas comment Pitthéus entendit cet ora-
cle; mais, soit persuasion, soit adresse, il fit si bien
qu'Éthra sa fille eut commerce avec Égée, qui
ayant su que c'était la fille de Pitthéus, et soup-
çonnant qu'elle était grosse, lui laissa en partant
une épée et des souliers qu'il cacha sous une grande
pierre, assez creuse pour contenir ce dépôt. Il ne

[blocks in formation]

communiqua son secret qu'à Éthra seule, et lui recommanda, si elle accouchait d'un fils qui, parvenu à l'âge viril, fût assez fort pour lever la pierre et prendre ce qu'il y avait déposé, de le lui envoyer avec ces signes de reconnaissance, sans en rien dire à personne, et le plus secrètement qu'il lui serait possible; car il craignait les Pallantides, qui, au nombre de cinquante frères, lui dressaient des embûches, et le méprisaient parce qu'il n'avait point d'enfants. Ces mesures prises, il s'en alla (16).

IV. Éthra mit au monde un fils (17) qui, selon les uns, fut nommé Thésée aussitôt après sa naissance, à cause des signes que son père avait posés sous la pierre; suivant d'autres, il ne reçut ce nom qu'à Athènes, après qu'Égée l'eut reconnu pour son fils (18). Pendant qu'il était élevé chez Pitthéus, il eut pour gouverneur un nommé Chonnidas, auquel les Athéniens sacrifient encore aujourd'hui un bélier la veille de la fête de Thésée (19); honorant ainsi sa mémoire avec bien plus de justice que celle de Parrhasius et de Silanion, qui n'ont fait que des statues et des portraits de ce prince (20). C'était encore alors l'usage d'aller à Delphes, au sortir de l'enfance, pour y consacrer à Apollon les prémices de sa chevelure. Thésée s'y rendit; et le lieu où il fit cette cérémonie s'appelle encore aujourd'hui, de son nom, Théséia. Mais il ne se rasa que le devant de la tête, comme faisaient les Abantes, au rapport d'Homère ; et cette manière de se couper les cheveux fut, pour cette raison, appelée Théséide. Les Abantes n'avaient pris cette coutume ni des Arabes, comme l'ont cru quelques auteurs, ni des Mysiens (21). C'étaient des peuples très-belliqueux, qui serraient de près l'ennemi, et avaient plus qu'aucune autre nation l'habitude de combattre corps à corps, selon qu'Archiloque leur en rend témoignage dans ces vers: De la fronde et de l'arc ils ignorent l'usage; Et lorsque dans leur camp le démon des combats Vient donner le signal à leur bouillant courage, Le fer étincelant dont ils arment leurs bras Fait éclater partout leur valeur indomptée : Sous leurs terribles coups tombent des rangs entiers. C'est là le seul combat connu de ces guerriers

Qui vivent sur les bords de la fertile Eubée. Ils ne voulaient donc pas que les ennemis pussent les saisir aux cheveux, et se les faisaient couper par-devant. Ce fut, dit-on, pour la même raison qu'Alexandre commanda à ses généraux de faire raser les Macédoniens; il croyait que la barbe donnait à l'ennemi la prise la plus facile.

V. Éthra cachait toujours avec soin la véritable origine de Thésée, et Pitthéus faisait courir le bruit qu'il était fils de Neptune. Les Trézéniens

Iliad. u. in catal. v. 49.

vu et entendu, et qui avaient été les témoins de ses exploits. On voyait alors sensiblement en lui ces vives impressions que Thémistocle éprouva plusieurs siècles après, et qui lui faisaient dire que les trophées de Miltiade l'empêchaient de dormir. De même Thésée, admirant le courage d'Hercule, rêvait la nuit aux exploits de ce héros; pendant le jour, il se sentait piqué d'une noble émulation, et brûlait du désir de les imiter. Il en avait un nouveau motif dans sa parenté avec lui; ils étaient fils de deux cousines germaines : Éthra était fille de Pittpéus; Alcmène avait pour mère Lysidice, sœur de Pitthéus, née comme lui de Pélops et d'Hippodamie. C'eût été donc pour lui un déshonneur insupportable si, pendant qu'Hercule cherchait partout les brigands pour en purger la terre et les mers, lui au contraire il eût évité les combats qui se présentaient; s'il eût fait honte, par cette fuite maritime, au dieu que l'opinion publique lui donnait pour père; et si, au lieu de faire reconnaître tout de suite par de grands exploits la noblesse de son origine, il n'eût porté à son véritable père d'autres signes de sa naissance que des souliers, et une épée qui n'aurait pas encore été rougie de sang. Plein de ces généreux sentiments, il part avec la ferme résolution de n'attaquer personne, mais de repousser vigoureusement ceux qui voudraient lui faire violence.

honorent singulièrement ce dieu, qu'ils regardent comme le protecteur de leur ville (22); ils lui consacrent les prémices de leurs fruits, et ont fait de son trident la marque de leur monnaie. Mais lorsque Thésée, parvenu à l'adolescence, eut montré qu'à la force du corps, au courage et à la grandeur d'âme, il joignait la sagesse et la prudence, Éthra, le menant au lieu où était la pierre, lui découvre le secret de sa naissance, lui ordonne de tirer les signes que son père y avait déposés, et de se rendre par mer auprès de lui à Athènes. Thésée leva facilement la pierre (23); mais, malgré les instances de sa mère et de son aïeul, il refusa de s'embarquer, quoique la route par mer fût la plus sûre. Il était dangereux d'aller par terre à Athènes; les chemins étaient infestés par des voleurs et des brigands. Ce siècle produisait des hommes infatigables dans les travaux, supérieurs à tous les autres par leur activité, leur vitesse et leur force (24) mais, au lieu d'employer ces qualités naturelles à des fins honnêtes et utiles, ils ne se plaisaient que dans les outrages et les violences; ils n'ambitionnaient d'autres fruits de cette supériorité que d'assouvir leur cruauté, que de tout soumettre, de forcer et de détruire tout ce qui tombait entre leurs mains. Persuadés que la plupart des hommes ne louent la pudeur, l'égalité, la justice et l'humanité, que parce qu'ils n'ont pas la hardiesse de commettre des injustices ou qu'ils craignent d'en éprouver, ils croyaient que toutes ces vertus n'étaient pas | faites pour ceux qui avaient la force en main. | ordinairement d'une massue, ce qui lui avait fait Hercule, dans ses courses, avait exterminé une partie de ces brigands; les autres, saisis d'épouvante à son approche, s'enfuyaient devant lui, et n'osaient paraître pendant qu'il était près d'eux. Ce héros, les voyant abattus, négligea de les pour sui-peau du lion de Némée. Cette dépouille faisait convre. Lorsqu'il eut eu le malheur de tuer Iphitus (25), il se retira en Lydie, où il fut long-temps esclave d'Omphale; servitude qu'il s'était imposée lui-même en punition de ce meurtre (26). Tant qu'elle dura, la Lydie fut dans une pleine sûreté, et jouit de la paix la plus profonde : mais dans les contrées de la Grèce on vit les brigandages renaître, et les scélérats se répandre de tous côtés; personne ne pouvait plus les réprimer ni s'opposer à leurs violences. Les chemins de terre du Péloponèse à Athènes étaient donc très-dangereux; et Pitthéus, pour persuader à Thésée de faire le voyage par mer, lui nommait chacun de ces brigands, et lui racontait les traitements cruels qu'ils faisaient souffrir aux étrangers.

VI. Mais depuis longtemps la gloire et la vertu d'Hercule avaient secrètement enflammé le cœur de Thésée plein d'estime pour ce héros, il écoutait avec le plus vif intérêt eeux qui lui en parlaient, qui le lui dépeignaient, surtout ceux qui l'avaient

VII. Comme il traversait le territoire d'Épidaure (27), un brigand nommé Périphètes, armé

donner le surnom de Corynètes (28), l'arrêta, et voulut l'empêcher de passer. Thésée le combattit et le tua; charmé d'avoir gagné sa massue, il la porta toujours depuis, comme Hercule portait la

naître quel énorme animal Hercule avait tué; et Thésée, en portant cette massue, faisait voir qu'il avait pu la prendre à un autre, mais qu'elle serait imprenable dans ses mains. De là étant passé à l'isthme de Corinthe, il fit périr Sinnis1, par le même supplice que ce brigand faisait souffrir aux passants (29); non que Thésée eût jamais appris ou exercé de pareilles cruautés, mais il voulait montrer que la vertu est toujours supérieure à l'art même le plus exercé. Sinnis avait une fille grande et belle, nommée Périgone, qui, voyant son père mort, avait pris la fuite. Thésée la cherchait de tous côtés, dans un bois épais, rempli d'épines et d'asperges sauvages, où elle s'était jetée. Elle adressait la parole à ces plantes, avec une simplicité d'enfant, comme si elles eussent pu l'entendre; et, les conjurant de la dérober à la vue de Thésée, elle leur promettait avec serment, si elles lui sau

Le grec ajoute, le ployeur de pins; nom tiré du supplice qu'il faisait souffrir aux passants.

vaient la vie, de ne jamais les couper ni les brû-, qui y commandait. Telles sont sur ce fait les con

ler. Cependant Thésée l'appelait à haute voix, et lui donnait sa parole qu'il ne lui ferait aucun mal, et qu'il la traiterait bien. Rassurée par ses promesses, elle sortit du bois et alla le trouver. Thésée eut d'elle un fils, qu'il nomma Ménalippe. Dans la suite, Thésée maria Périgone à Déionée, fils d'Eurytus, roi d'OEchalie (30). De Ménalippe naquit loxus, qui, avec Ornithus, alla fonder une colonie en Carie, et fut le chef des Ioxides (31), qui depuis ont conservé l'usage de ne point brûler les épines ni les asperges sauvages; ils les honorent même, et leur rendent une sorte de culte.

VIII. Il y avait à Crommyon une laie nommée Phéa (32), animal dangereux et plein de courage; elle n'était pas aisée à vaincre. Thésée, pour ne pas paraître ne rien faire que par nécessité, l'attendit, et la tua chemin faisant. Il croyait d'ailleurs qu'un homme de cœur ne doit combattre les méchants que pour repousser leurs attaques, mais qu'il doit provoquer les animaux courageux, et s'exposer pour les combattre. On a dit aussi que cette Phéa était une femme prostituée, qui vivait de brigandage, et habitait à Crommyon; qu'on lui avait donné le nom de laie à cause de ses mœurs et du genre de vie qu'elle menait, et que Thésée la fit mourir.

IX. Sur les confins de Mégare, il donna la mort à Sciron, en le précipitant du haut d'un rocher dans la mer. Suivant l'opinion la plus reçue, ce brigand pillait les étrangers; selon d'autres, il poussait l'orgueil et l'insolence jusqu'à les forcer à lui laver les pieds; et pendant qu'ils le faisaient, il les poussait d'un coup de pied dans les flots. Les historiens de Mégare s'élèvent contre cette tradition; et attaquant, selon l'expression de Simonide, la longue autorité des temps, ils disent que Sciron ne fut ni un brigand ni un scélérat; qu'il avait, au contraire, déclaré la guerre aux méchants, et se montrait le protecteur et l'ami des hommes justes et vertueux. Éacus, ajoutent-ils, passe pour l'homme le plus saint de la Grèce (33); Cychreus de Salamine reçoit à Athènes les honneurs divins (34); la vertu do Pélée et de Télamon n'est ignorée de personne : or, Sciron fut gendre de Cychreus, beau-père d'Éacus, et grand-père de Pélée et de Télamon, nés tous d'Endéïs, fille de Sciron et de Chariclo (35). Est-il vraisemblable que les personnages les plus vertueux se soient alliés au plus méchant des hommes; qu'ils aient voulu lui donner et recevoir de lui ce que les hommes ont de plus cher et de plus précieux? Ces mêmes historiens disent encore que Thésée ne tua pas Sciron à son premier voyage d'Athènes, mais longtemps après, lorsqu'il s'empara d'Eleusis, occupée alors par les Mégariens, et qu'il en chassa Dioclès

[ocr errors]

tradictions des historiens.

X. Arrivé à Éleusis, il vainquit à la lutte Cercyon d'Arcadie (36), et le tua. Passant de là à Hermione, qui en est peu éloignée (37), il fit mourir Damastes, qu'on appelait aussi Procrustes, en l'allongeant à la mesure de son lit, comme il y forçait lui-même ses hôtes (38). En cela il imitait Hercule, qui faisait souffrir à ses agresseurs le même supplice qu'ils lui avaient destiné. Ainsi il avait sacrifié Busiris, étouffé Antée à la lutte, tué Cycnus en combat singulier (39), et brisé la tête à Termérus, duquel est venu le proverbe, du mal Termérien. Ce Termérus cassait la tête aux passants en la leur heurtant de la sienne (40). De même Thésée, pour punir les méchants, employait contre eux le genre de violence dont ils usaient euxmêmes, et les condamnait avec justice au même supplice qu'ils faisaient injustement souffrir aux autres. Lorsqu'il fut sur les bords du Céphise, il rencontra la famille des Phytalides, qui venait par honneur au-devant de lui (41). Il les pria de le purifier; et ils le firent avec toutes les cérémonies usitées dans les expiations. Après avoir sacrifié aux dieux pour se les rendre propices, ils le reçurent dans leur maison, et lui firent le meilleur traitement (42). Personne encore dans son voyage ne lui avait fait accueil.

XI. Il arriva, dit-on, à Athènes, le huit du mois Cronius, appelé aujourd'hui Hécatombéon1 (43). Il trouva la ville pleine de troubles et de divisons; et le palais d'Égée, en particulier, était dans le plus grand désordre. Médée, qui s'était sauvée de Corinthe à Athènes, vivait avec ce prince qu'elle avait séduit, en lui promettant que par des remè des sûrs elle lui ferait avoir des enfants. Elle n'eut pas plutôt vu Thésée, que pénétrant ses desseins, elle voulut le prévenir avant qu'Égée eût le temps de le reconnaître. Comme les dissensions dont la ville était remplie faisaient tout craindre à un prince affaibli par les années, elle lui persuada d'empoisonner ce jeune homme dans un repas qu'il devait lui donner comme étranger. Thésée fut invité : en arrivant à table, il ne jugea pas à propos de se découvrir tout de suite; mais afin de donner à son père un premier moyen de le reconnaître, quand on eut servi il tira son couteau comme pour couper les viandes, et en même temps il laissa voir son épée (44). Égée, l'ayant aussitôt reconnue, renverse la coupe où était le poison, fait plusieurs questions à Thésée, et, sur ses réponses, il l'embrasse, convoque à l'heure même l'assemblée du peuple, et reconnaît son fils devant les Athéniens, qui, informés déjà de ses exploits, le reçurent avec plaisir. On dit que, lorsque Égée 'Partie de juillet et d'août.

renversa la coupe, le poison tomba dans cet endroit du quartier Delphinien qui est aujourd'hui enfermé de murailles, et où était alors le palais d'Égée (45). C'est de là que le Mercure qui est à la porte orientale du temple s'appelle encore à présent le Mercure de la porte d'Égée.

XII. Les Pallantides avaient toujours espéré qu'après la mort d'Égée, qu'ils voyaient sans enfants, ils lui succéderaient au trône d'Athènes. Mais lorsque Thésée en eut été déclaré l'héritier, ils ne purent souffrir qu'Égée, qui, simple fils adoptif de Pandion (46), ne tenait en rien à la famille des Érechthides, non content d'avoir possédé le royaume, voulût encore le faire passer à Thésée, qui n'était lui-même qu'un étranger et un inconnu. Ils résolurent donc de l'aller attaquer; et, se partageant en deux bandes afin de charger les ennemis de deux côtés différents, les uns, sous la conduite de leur père, viennent à découvert du bourg de Sphette, et les autres se mettent en embuscade dans le bourg de Gargette. Ils avaient avec eux un héraut du bourg d'Agnus, nommé Léos, qui découvrit à Thésée le dessein des Pallantides. Thésée, sans perdre un instant, tombe sur la troupe qui était en embuscade, et la taille en pièces. Le corps qui marchait avec Pallas n'en eut pas plutôt appris la nouvelle, qu'il se dispersa. Depuis ce temps-là, dit-on, les habitants de Pallène ne contractent aucun mariage avec ceux d'Agnus; et dans les annonces publiques on ne crie jamais ces mots qui sont d'usage dans les autres bourgs : « Acouete, Léos ; » tant ils ont en horreur ce nom de Léos, à cause de la trahison du héraut!

XIII. Thésée, pour exercer son courage et gagner en même temps l'affection du peuple, alla combattre le taureau de Marathon, qui nuisait beaucoup aux habitants de la Tétrapole (47). Il le dompta, le prit vivant, et, après l'avoir promené dans toute la ville, il le sacrifia à Apollon Delphinien (48). Le récit qu'on fait sur Hécalé, sur l'hospitalité et le repas qu'elle donna à Thésée, ne paraît pas entièrement dépourvu de vérité (49); car anciennement les bourgs des environs se rassemblaient pour faire à Jupiter Hécaléien un sacrifice qu'on appelait Hécalésien, dans lequel ils honoraient Hécalé, et lui donnaient le nom diminutif d'Hécalène, par imitation de ce qu'elle fit ellemême lorsqu'elle reçut Thésée, qui était encore fort jeune elle l'embrassa, et, suivant l'usage des vieilles gens, elle lui donna, en signe d'amitié, de ces noms diminutifs. Elle avait voué un sacrifice à Jupiter, si Thésée revenait vainqueur d'une expédition pour laquelle il partait; mais elle mourut avant son retour; et Thésée, revenu de son expé

:

1 Ecoutez, peuples.

[ocr errors]

dition, ordonna, dit l'historien Philochore (50), qu'on ferait le sacrifice, et qu'elle y serait honorée en reconnaissance de l'hospitalité qu'il en avait reçue.

XIV. Peu de temps après, les députés de Minos vinrent de Crète à Athènes, demander, pour la troisième fois, le tribut qu'on lui payait. Androgée son fils ayant été tué en trahison dans l'Attique (51), Minos déclara la guerre aux Athéniens, entra dans leurs terres, et mit tout à feu et à sang. Les dieux eux-mêmes frappèrent l'Attique de peste, de stérilité et de sécheresse, au point que les rivières tarirent. Les Athéniens consultèrent l'oracle d'Apollon, qui leur répondit que la colère des dieux ne s'apaiserait et qu'ils ne feraient cesser tous ces fléaux qu'après qu'on aurait satisfait Minos. Ils lui envoyèrent donc des ambassadeurs pour le supplier de leur accorder la paix. Il y consentit, à condition que, pendant neuf ans, les Athéniens lui payeraient un tribut de sept jeunes garçons et d'autant de jeunes filles (52). Voilà sur quoi la plupart des historiens sont d'accord. Pour rendre le fait plus tragique, la Fable ajoute que ces enfants étaient ou dévorés par le Minotaure dans le labyrinthe, ou condamnés à errer jusqu'à leur mort dans ce lieu, d'où ils ne pouvaient sortir. Pour le Minotaure,

C'était un monstre affreux dont la double nature
De l'homme et du taureau présentait la figure,

a dit Euripide (53). Mais, suivant Philochore, les Crétois ne conviennent pas de ce fait. Ils disent que le labyrinthe était une prison où l'on n'avait d'autre mal que d'être si bien gardé qu'il était impossible de s'en échapper. Minos, ajoutent-ils, avait institué, en l'honneur de son fils, des combats gymniques, où les vainqueurs recevaient pour prix les enfants qui étaient détenus dans ce labyrinthe. Le premier qui remporta le prix fut un des plus grands seigneurs de la cour, général des armées de Minos. Il se nommait Taurus; c'était un homme de mœurs dures et farouches, qui traitait avec beaucoup d'insolence et de cruauté ces jeunes Athéniens (54). Aristote, dans sa république des Bottiéiens (55), ne croit pas non plus que ces enfants fussent mis à mort par Minos; mais qu'ils vivaient en Crète du travail de leurs mains, et vieillissaient dans l'esclavage. Il raconte que, dans des siècles très-éloignés, les Crétois, pour acquitter un ancien væeu, envoyèrent à Delphes leurs premiers-nés; que les descendants des prisonniers athéniens, s'étant joints à cette troupe, sortirent de Crète avec eux, et n'ayant pas trouvé à Delphes de quoi subsister, ils passèrent en Italie et s'établirent dans la Pouille; qu'ensuite, retournant sur leurs pas,

Fragm. Eurip.

« PreviousContinue »