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per sur ce sujet. Voilà la vraie cause de ce dépit secret qui arme nos sophistes modernes contre un philosophe estimable, à qui ils ne pardonnent pas ses sentiments religieux. Un nouveau grief contre lui, c'est qu'après avoir vivement combattu la superstition, il a encore moins ménagé l'athéisme. De son temps, la Grèce était inondée d'un déluge de sophistes qui, sous le nom fastueux de philosophes, étaient les ennemis de la véritable sagesse, et faisaient gloire de leur impiété; ils s'efforçaient d'anéantir toute idée de la Divinité, pour détruire avec elle toute morale et toute justice. Plutarque osa les attaquer avec courage, et opposer à ce torrent dévastateur la fermeté et la sagesse de ses principes: il compara les athées avec les superstitieux, et fit voir que l'athéisme n'est pas un moindre mal que la superstition; qu'il est même plus dangereux dans ses suites, plus funeste par son influence sur les corps politiques, à qui le frein de la religion est si nécessaire pour contenir la multitude, qui ne trouve dans les lois qu'une faible barrière à ses passions, quand la pensée de la Divinité ne vient pas la frapper d'une crainte salutaire, et commander à sa conscience. S'étonnera-ton, après cela, que nos sophistes traitent Plutarque d'esprit faible et superstitieux ?

XXVI. J'ai dit que ce philosophe avait eu sur la Divinité des idées plus pures qu'aucun des autres philosophes les plus éclairés. C'est, ce me semble, une partie intégrante de sa vie, que de faire connaître ses sentiments sur un point si important. « Dieu, dit-il, est nécessairement, et son exis<«<tence est hors du temps. Il est immuable dans << son éternité; il ne connaît pas la succession des <«< temps... seul il EST; son existence est l'éternité; « et, par la raison qu'il est, il EST véritablement. « On ne peut pas dire de lui qu'il a été, qu'il sera, qu'il a eu un commencement, et qu'il aura une « fin... il n'y a pas plusieurs dieux; il n'y en a << qu'un seul; et ce Dieu n'est pas, comme chacun <«< de nous, un composé de mille passions différen« tes... ce qui EST par essence ne peut être qu'un; <«<et ce qui est un ne peut pas ne point exister. <«< S'il y avait plusieurs dieux, l'existence en serait a différente, et cette diversité produirait ce qui « n'a pas une véritable existence.... Afin de nous « former ici-bas, comme dans la plus belle des a visions, une juste idée de ce Dieu, donnons « l'essor à nos esprits, et élevons nos pensées au<< dessus de tout ce que la nature renferme.... Quant « aux émanations de ce Dieu hors de lui-même, « à ces changements par lesquels il devient feu... « terre, mer, animal ou plante... c'est une im« piété que de l'entendre. » Ce passage, et quelques autres qui se trouvent dans Plutarque et dans plusieurs anciens philosophes, me paraissent faits

| pour décider la question qui a divisé et qui divise encore les savants sur l'idée précise que les sages du paganisme avaient de la Divinité. Les uns font de tous ces philosophes autant d'athées qui ne connaissaient d'autre Dieu que la nature, que la matière éternelle, qui, s'étant organisée par sa propre force, avait formé les êtres divers qui composent le monde. D'autres sont persuadés que la plupart des philosophes admettaient un Dieu intelligent, distingué essentiellement de la matière; qu'à la vérité ils reconnaissaient comme principe des êtres des substances matérielles, telles que l'eau, l'air et le feu; mais que par là ils n'entendaient que le principe passif et secondaire, que la cause matérielle dont les êtres ont été formés par la cause intelligente et spirituelle, principe unique et universel de tout ce qui existe. Il me semble que ce dernier sentiment est le seul admissible; et je ne vois pas comment on pourrait expliquer autrement, soit le passage de Plutarque qu'on vient de lire, soit ceux qu'on trouve dans plusieurs autres philosophes. Enfin ce qui me paraît devoir trancher la question, c'est l'autorité même de saint Paul, qui reproche à ces philosophes qu'ayant connu par les ouvrages visibles de Dieu ses perfections invisibles, son éternelle puissance et sa divinité, ils ne l'ont pas glorifié comme Dieu, et ont retenu la vérité dans l'injustice, en sorte qu'ils sont inexcusables'.

XXVII. Mais, dira-t-on peut-être, si Plutarque avait eu des idées si justes et si grandes de la Divinité, serait-il resté toujours attaché aux erreurs de la philosophie païenne? n'aurait-il pas renoncé au culte absurde du polythéisme, pour faire ouvertement profession du dogme de l'unité d'un Dieu? Il est sans doute étonnant qu'après la connaissance qu'il manifeste de la vraie nature de Dieu dans le passage que nous avons cité, il ait persévéré jusqu'à la fin de sa vie dans l'attachement à un culte aussi déraisonnable que celui de l'idolâtrie; car, quoiqu'on ignore le genre de sa mort, il paraît, par le récit d'Artémidore, qu'il n'avait pas renoncé au paganisme. Cet auteur, qui florissait peu de temps après Plutarque, raconte que co philosophe crut voir Mercure qui le conduisait au ciel; et que le lendemain, pendant son sommeil, quelqu'un lui interpréta ce songe, et lui dit qu'il serait très-heureux; que monter au ciel, c'était le signe d'une grande félicité. Il tomba bientôt dans une maladie grave, et mourut peu de jours après. La manière dont il parle des Juifs; les interprétations absurdes qu'il donne de plusieurs rites judaïques, qu'il confond avec le culte que les païens rendaient à Bacchus; les calomnies qu'il répète, Épit. aux Rom. 1, 18-21.

2 Onirocr. liv. IV.

après d'autres auteurs, contre un peuple dont l'origine, la religion et les usages leur étaient si peu connus, prouvent que les idées exactes qu'il avait sur la Divinité n'avaient pas influé sur ses autres opinions, et qu'il était toujours resté païen, au moins dans la pratique. Cette contradiction entre les principes et la conduite n'est pas rare, même dans des philosophes. D'ailleurs il faut, pour faire profession de la vérité, lors même qu'on la connaît, d'autres secours que ceux de la raison; mais on ne peut trop regretter l'aveuglement d'un philosophe qui, par sa gravité, ses connaissances et ses mœurs, est peut-être celui qui a le plus approché de la morale chrétienne. De là les vers célèbres d'un évêque grec, cités par Corsini, lequel demandait à Dieu que s'il avait résolu de retirer des enfers quelques-uns des infidèles qui y étaient retenus, il accordât à ses prières le salut de Platon et de Plutarque, comme étant ceux qui avaient le plus approché de ses lois divines. Socrate et Cicéron ont été l'objet de semblables

vœux.

XXIX. Quoique tous les écrits de cette première classe aient un mérite réel, il y en a plusieurs qui doivent être distingués, et qui réunissent à un degré éminent les qualités que je viens de 'marquer. De ce nombre est le Traité sur l'éducation, où, dans un court espace, il a rassemblé tout ce qu'on peut dire de plus sensé, de plus judicieux sur cette importante matière. Celui où il donne des règles pour lire avec fruit les poëtes semblerait d'abord devoir appartenir à la littérature : mais il a envisagé son sujet du côté de la morale; et, outre qu'il fait connaître la grande érudition de son auteur, il montre surtout comment il rapportait tout à la science des mœurs, et comment il savait y ramener les objets qui en paraissaient le plus éloignés. On pourrait regarder comme inutile de donner des préceptes sur la manière dont on doit écouter ce sujet, qui paraît stérile au premir coup d'œil, devient, sous la main de Plutarque, un champ fécond des conseils les plus utiles à la jeunesse, et exprimés de la manière la plus agréable. Le Traité sur le discernement entre le flatteur et l'ami est admirable par la sagacité avec laquelle ce philosophe démêle les artifices du premier, et par les sages préservatifs qu'il donne pour se garantir des dangers de la flatterie, cette peste des mœurs. Mais celui qui a pour objet de juger des progrès qu'on a faits dans la vertu est le plus étonnant de tous par la sublimité et l'excellence de sa morale, par les règles sévères qu'il établit pour se connaître soi-même et pour juger ses actions. Il a aussi le mérite d'être un des mieux écrits, d'abonder en belles pensées, en riches comparaisons, en métaphores hardies, en images agréables. Sa Consolation à Apollonius sur la mort d'un fils moissonné à la fleur de son âge est un modèle de sensibilité, de douceur et de grâce; de cette manière délicate avec laquelle on doit toucher à des blessures qui s'aigrissent ordinairement par les remèdes mêmes qu'on y applique. J'ai déjà fait connaître la lettre de Consolation à sa femme sur la mort de sa fille.

XXVIII. Plutarque, en s'attachant de préférence à la morale, n'avait pas négligé les autres branches de la philosophie. On voit, par ses ouvrages, qu'il avait embrassé et même approfondi toutes les parties de cette science si étendue et si utile. La grande variété des objets qu'il a traités en forme naturellement des classes différentes. On peut les diviser, 1o en ouvrages purement moraux; 2o en ouvrages de politique; 3° en ouvrages de physique et de métaphysique; 4° en traités de mythologie; 5o en sujets de littérature; 6° d'autres roulent sur les mœurs et les usages des anciens; 7o il y en a qui traitent de toutes sortes d'objets, et que j'appelle des mélanges; 8° quelques-uns sont purement historiques; 9° il y en a qui sont en partie historiques, en partie moraux; 10° d'autres enfin sont des recueils d'anecdotes et de bons mots. On voit, par cette division, que rien n'était étranger à Plutarque; que son étonnante érudition avait tout embrassé, et qu'il possédait l'universalité des connaissances qu'on pouvait acquérir de son temps. Les traités de pure morale sont en gé-les devoirs de cet état sous des emblèmes et des néral d'une lecture facile; ce sont aussi les plus intéressants, les plus agréablement écrits, ceux où la beauté de son âme se montre tout entière: ils annoncent un grande connaissance du cœur humain, dont ils développent jusqu'aux moindres replis; ils abondent en réflexions judicieuses, en pensées profondes, qui, comme il le dit lui-même d'un autre, sont trempées dans le bon sens. C'est peut-être le plus beau monument que la raison ait

clevé à la vertu.

In vit. Plut.

XXX. Dans les Préceptes de mariage, il a tracé

images ingénieux, et dans un style plein de douceur et d'aménité, qualités qu'il conseille aux époux, s'ils veulent que cette union fasse leur bonheur mutuel. Ses Préceptes de santé pourraient être regardés comme un ouvrage de médecine; mais, par la manière dont il a envisagé son sujet, il appartient principalement à la morale : il est d'ailleurs intéressant sous l'un et l'autre rapport. J'ai déjà dit avec quelle force de pinceau il avait tracé les caractères et les effets de la superstition son Banquet des sept Sages est une idée heureuse; mais il ne l'a pas remplie avec l'inté

rêt que semblait promettre la réputation des convives. Les matières qu'ils traitent n'ont pas toute l'importance qu'ils y attachent; et celles qui seraient plus intéressantes n'y sont qu'effleurées il contient cependant des maximes très-sages de politique et de morale. Un de ses meilleurs traités est celui de la Tranquillité de l'âme; il respire ce calme, cette paix d'une âme toujours ferme, toujours égale, toujours invincible, dans la prospérité comme dans les revers de la fortune. Sénèque a traité le même sujet; mais quelle froideur, quelle sécheresse, au lieu de cette douceur, de cette aimable sensibilité qui règne dans celui de Plutarque! Parmi les ouvrages de cette classe, la plus nombreuse de toutes, il n'est pas de sujet plus important, ni qui soit mieux traité sous tous les rapports, que celui où il entreprend de justifier les délais que la justice divine apporte à la punition des coupables. Il est plein d'une excellente philosophie, puisée dans les meilleures sources. La variété qu'y répandent les traits d'histoire dont il l'a semé, les exemples dont il est enrichi, les images et les ornements du style, qui couvrent de fleurs une discussion épineuse et délicate, et qui prêtent une nouvelle force à des raisonnements sans réplique, en font incontestablement un des plus beaux écrits de Plutarque. Il est suivi d'un fragment précieux sur l'Immortalité de l'âme, que Stobée nous a conservé, et qui paraît appartenir aux Traités sur l'âme que Plutarque avait composés, et qui sont perdus. Les deux Discours contre l'usage des viandes sentent un peu la déclamation: il examine cette question non en physiologiste qui aurait cherché dans la conformation du corps humain, dans les effets physiques de cet usage, des motifs pour en détourner les hommes; mais en moraliste qui n'y considère que ce qu'a de barbare cette coutume, et qui emploie des idées énergiques, des expressions fortes pour en inspirer l'horreur. Ses Traités sur l'enseignement de la Vertu, sur la Vertu morale dont il fait connaître les divers caractères, sur la Colère, sur la Démangeaison de parler, l'Amour fraternel, la Curiosité, l'Amour des pères et des mères pour leurs enfants; sur les Malheurs du vice, sur l'Utilité qu'on peut retirer de ses ennemis, sur les Inconvénients des amitiés trop multipliées; sur l'Avarice, la fausse Honte, l'Envie et la Haine; sur la Manière de se louer soi-même sans exciter l'envie, sur l'Exil et l'Usure, contiennent tous des préceptes pleins de sagesse, toujours ramenés à la pratique de nos devoirs, le seul but que la morale doive se proposer, et dont Plutarque ne s'écarte jamais.

XXXI. Les divers Traités de politique forment une des classes les plus intéressantes. Le premier

a pour objet d'établir qu'un philosophe doit surtout converser avec les prínces. Il entend par philosophes des hommes aussi modestes qu'éclairés, qui n'auraient d'autre ambition que celle d'aider les rois de leurs conseils, et de contribuer par leurs lumières au bonheur des peuples. Il leur trace la conduite qu'ils doivent tenir pour être utiles aux princes sans se nuire à eux-mêmes, et sans se laisser corrompre par l'air contagieux qu'on respire dans les cours. Dans le second, il fait voir qu'un prince doit être instruit on n'exige pas de lui sans doute qu'il soit versé dans les sciences et dans les arts, il suffit qu'il en ait une légère teinture pour pouvoir en parler, et s'en occuper même quelquefois agréablement; mais la grande science qu'il lui importe d'acquérir, l'art sublime auquel il doit se former, c'est celui de gouverner sagement ses peuples et de tout rapporter à cette fin unique. La justice est la première vertu et le premier devoir des rois c'est par elle qu'ils font luire aux yeux des mortels les rayons de la Divinité, dont ils sont sur la terre les images vivantes. Il examine dans le troisième si un vieillard doit s'occuper d'administration publique : il paraît, par ce qu'il y dit de lui-même, qu'il le composa dans sa vieillesse; et c'est une preuve qu'il conservait encore, à ce dernier âge, une raison saine, une justesse de vues et une vigueur d'esprit qui confirment la décision affirmative qu'il a donnée sur cette question. A la vérité ce n'est pas quand on est vieux qu'il faut entrer dans l'administration; mais un vieillard peut et doit même en continuer l'exercice il y est plus propre que les jeunes gens, parce qu'il inspire plus de confiance, et que, dans des temps difficiles, il est plus capable de rassurer par sa sagesse les esprits alarmés. D'ailleurs, à un âge où ils ne peuvent plus goûter que les jouissances pures qui naissent des occupations honnêtes, est-il rien qui leur procure plus sûrement ces plaisirs que les soins importants d'une administration publique, où ils ont sans cesse des occasions d'éprouver les sentiments délicieux que la vertu fait goûter ?

XXXII. Le but de Plutarque, dans ses Préceptes politiques, n'est pas de tracer, comme l'ont fait Platon, Aristote et Cicéron, un plan de république, ou un recueil de lois : il donne seulement des conseils à un jeune homme de la ville de Sardes, pour se conduire sagement et avec fruit dans l'administration où l'avait engagé le désir d'être utile à sa patrie. Il lui apprend d'abord dans quelle disposition il doit y entrer, les vues qu'ik doit s'y proposer, les qualités nécessaires pour y gagner la confiance des peuples, les écueils dont il a à se préserver, les moyens ou de prévenir l'envie ou de la désarmer. A ces qualités, qui tien

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ges qui roulent sur ces deux sciences, et en particulier sur la seconde, outre les défauts qui tiennent au siècle de Plutarque, où elles n'avaient pas fait encore de grands progrès, sont en général mal digérés, écrits sans intérêt, et avec peu de méthode et de clarté : c'est un chemin hérissé d'épines, et dont la fatigue n'est pas compensée par l'avantage de trouver de temps en temps quelques fleurs à cueillir. Ils ont cependant le mérite de nous faire connaître, sur un grand nombre de matières, les opinions des anciens, que nous ignorerions sans les ouvrages de Plutarque. Son Traité sur le Destin, cette question si longtemps agitée par les anciens philosophes, et toujours indécise, est d'autant plus obscur qu'il nous est parvenu très-incomplet. Celui où il expose les Opinions des philosophes sur les principales questions de la physique est une compilation si mal faite, si sèche et si aride de ce que les anciens ont pensé sur chaque matière, que je ne crois pas qu'elle soit de Plutarque, comme je l'ai montré dans les observations qui précèdent cet ouvrage. Ses Questions naturelles, ses Recherches sur la cause du froid, contiennent des erreurs qu'il faut imputer à la science même, qui était encore fort peu avan

nent au talent de l'administrateur, il joint le tableau des vertus qui doivent le caractériser : c'est un désintéressement à toute épreuve, un esprit calme qui ne se laisse jamais entraîner par une ambition funeste; une sage modération qui, loin d'aspirer à de trop grands honneurs, préfère des distinctions et des récompenses moins brillantes, mais plus solides. Les préceptes pleins de sagesse que ce traité contient sont continuellement appuyés d'exemples qui leur donnent plus de poids, et qui soutiennent l'attention, qu'une longue suite de préceptes, dans un sujet sérieux, aurait pu fatiguer. Le dernier de ces traités est un très-court opuscule sur les trois principales sortes de gouvernement, la monarchie, l'oligarchie, c'est-à-dire le gouvernement d'un petit nombre de nobles ou de riches, et la démocratie. Ce n'est qu'un fragment d'un ouvrage plus étendu; ce qui nous en reste ne contient que la définition du mot gouvernement, avec ses diverses acceptions, et sa division en trois espèces. Il admet la bonté des deux dernières; mais, d'après Platon, il donne la préférence au gouvernement monarchique, comme à celui qui peut seul porter la vertu à sa plus grande perfection, sans jamais sacrifier l'intérêt public à la force ou à la faveur.cée. Cependant quelques-unes de ces questions Tel est en effet le sentiment de Platon'; et Aristote, malgré son penchant à le contredire, est ici de son avis. Cette opinion doit paraître extraordinaire dans des hommes qui étaient nés ou qui vivaient sous des gouvernements républicains. Le Fragment sur la noblesse mérite, par son étendue, que j'en fasse mention. Le traité était divisé en deux parties, dont la première contient les témoignages opposés de divers écrivains sur les avantages et les inconvénients de cet établissement. La seconde entrait dans l'examen des raisons pour et contre l'institution de la noblesse: cette seconde partie est perdue; et c'était la plus intéressante, puisqu'elle traitait le fond de la question. Mais dans ce qui nous en reste, Plutarque a laissé assez entrevoir son opinion, pour nous faire juger qu'il croyait la noblesse utile aux sociétés politiques. Il s'élève contre l'injustice de certains sophistes qui, fermant les yeux à l'évidence, prétendent que la noblesse des ancêtres ne contribue en rien au mérite de leurs descendants; il leur oppose les témoignages d'une foule d'écrivains, poëtes, historiens et philosophes, qui tous ont fait le plus grand cassées avec beaucoup de justesse et de netteté les de cette institution politique, et lui ont attribué les plus heureux effets.

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sont intéressantes par leur objet, et offrent des solutions satisfaisantes. L'opuscule où il examine Quel est le plus utile du feu ou de l'eau n'est qu'une déclamation assez froide, dans laquelle il se livre à son imagination, et se perd dans des idées générales qui n'ont aucun appui solide. D'ailleurs cette manière de soutenir le pour et le contre sur un même sujet, comme il le fait dans cet ouvrage, où il plaide d'abord pour l'eau et ensuite pour le feu, est, ce me semble, moins propre à former, comme on le croit, l'esprit et le raisonnement, qu'à leur donner du faux et du travers, à leur faire contracter l'habitude d'une dialectique pointilleuse qui obscurcit plutôt la vérité qu'elle ne sert à la faire connaître.

XXXIV. Le Traité de la face qui paraît sur la lune renferme quelques questions d'astronomie; mais dans sa plus grande partie, il roule sur la physique. C'est un des plus curieux de Plutarque; il est plein d'érudition: il contient une foule de bonnes observations sur la nature et la substance du globe lunaire; et l'on y voit expo

vraies causes des taches obscures que la lune présente, et qui forment cette espèce de face humaine qui paraît sur le disque de cette planète. Son ouvrage sur l'Industrie des animaux aurait été plus utile et plus intéressant, s'il y eût recherché en physicien la nature du principe qui fait agir les animaux, et qu'il l'eût comparé avec les effets que

produit cette cause intérieure et inconnue de leurs actions mais, après avoir dit peu de chose sur ce sujet, il se borne à examiner quels animaux sont les plus industrieux, de ceux qui vivent sur la terre, ou de ceux qui peuplent les eaux. La cause des uns et des autres est plaidée contradictoirement, et l'arbitre choisi pour prononcer laisse le procès indécis. Les preuves apportées par les deux défenseurs ne sont guère que des observations sur la finesse et les ruses des animaux, avec une foule de petits contes, dont quelques-uns doivent passer pour apocryphes. Dans le Traité suivant, qui roule sur la même matière, il veut prouver que les bêtes ont l'usage de la raison. Il a donné à celui-ci une forme plus piquante, quoique un peu exagérée; il a mis en scène, d'un côté Ulysse, le plus prudent des héros grecs; et de l'autre un de ses compagnons que les poisons de Circé avaient changés en bêtes. Il a choisi celui qui avait été métamorphosé en pourceau, pour rendre le contraste plus frappant; et il lui fait faire des raisonnements très-philosophiques sur la nature des passions qui déshonorent l'espèce humaine, et qui sont la plupart inconnues aux animaux. Il en conclut, que les bêtes sont, aussi bien que les hommes, douées d'intelligence et de raison. Ce rapprochement des animaux et des hommes peut bien fournir aux philosophes quelques considérations utiles pour faire rougir ces derniers de l'abus qu'ils font de leur raison; mais on ne peut en prendre un prétexte de dégrader le plus beau don que le Créateur ait fait à l'homme, et qui met un intervalle immense entre celui-ci et les animaux, même en admettant l'immatérialité du principe qui fait agir

ces derniers.

XXXV. Ses Questions platoniques ont pour objet d'expliquer certains termes métaphysiques employés par Platon, et quelques effets physiques que ce philosophe rapporte sans en assigner les causes. Les Questions métaphysiques sont toujours obscures, par la dialectique serrée qui les accompagne; et celles qui roulent sur la physique se sentent du peu de progrès que cette science avait fait du temps de Plutarque. De tous les ouvrages de cette troisième classe, et même de tous ceux qui nous restent de lui, le plus difficile, sans contredit, est son Traité sur la création de l'âme d'après le Timée de Platon; son objet est de développer les principes par lesquels ce philosophe a voulu expliquer la formation de ce qu'il appelait

l'âme du monde. La doctrine des nombres harmo

niques de Pythagore, sur laquelle est fondé le système de Platon, jette dans son ouvrage une telle obscurité, qu'il est souvent inintelligible. Les anciens eux-mêmes en ont jugé ainsi. « Cela est plus obscur que les nombres de Platon, » écrivait Cicéron

à Atticus1. Le commentaire de Plutarque n'est ni moins obscur, ni moins hérissé d'épines que l'ouvrage qu'il se propose d'éclaircir. Je ne répéterai pas ici ce que j'ai dit de ses Traités contre les stoïciens et contre les disciples d'Epicure. J'ajouterai seulement que ces derniers écrits tiennent en partie à la morale, puisqu'il y fait voir qu'on ne peut vivre agréablement quand on suit la doctrine d'Épicure; mais la plus grande partie est employée à discuter les principes physiques des épicuriens. Dans le second, où il attaque en particulier un épicurien nommé Colotes, qui avait parlé avec beaucoup de mépris des philosophes les plus respectables et censuré vivement leur doctrine, Plutarque prend leur défense, et en justifie les principes et la morale. Il a mis dans cette discussion un peu trop d'emportement et d'aigreur; mais il compense ce défaut par l'exactitude de ses raisonnements, par une morale pure, par un grand amour pour la vertu, par le désir le plus vrai du bonheur des hommes, par tous les sentiments honnêtes qui éclatent dans ces deux ouvrages. Ils sont suivis d'un opuscule où il examine si les épicuriens ont raison de dire qu'il faut cacher sa vie, c'est-à-dire vivre dans l'obscurité. Il soutient le contraire; et, par des considérations morales, prises de l'intérêt particulier de l'homme et du bien commun de la société, il montre qu'il est utile d'être connu, et de servir la patrie par ses talents. Je ne parle point du Traité des fleuves et des montagnes, la plus misérable de toutes les compilations, qui n'est qu'un tissu des récits les plus absurdes et les plus incroyables, rapportés sur le témoignage des auteurs les plus suspects, dont plusieurs peut-être n'ont jamais existé. Cet ouvrage est absolument indigne de Plutarque, et on ne saurait sans injustice le lui attribuer.

XXXVI. Les ouvrages mythologiques ne sont pas la classe la moins intéressante de cette collection. Les Recherches sur l'inscription Ei du temple de Delphes paraissent au premier coup d'œil un sujet peu important; mais Plutarque y a mis beaucoup d'intérêt, par le grand nombre d'objets qu'il y a fait entrer. Il y discute des points d'histoire, de mythologie, de physique, de géométrie et de métaphysique. J'ai cité plus haut2 l'interprétation qu'il donne de ce mot Ei, qu'il explique par ceux-ci, Vous êtes un; explication qui contient la métaphysique la plus pure et la plus lumineuse. Il examine, dans le second traité, Pourquoi la Pythie ne rendait plus ses oracles en vers; mais cette question en occupe à peine la moitié ; le reste

1 Epist. lib. VII, ep. 13. 2 Paragraphe XXVI, p. 25.

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