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S'efforcer, mais en vain, de regagner la rive.
La colombe aussitôt usa de charité :

Un brin d'herbe dans l'eau par elle étant jeté,
Ce fut un promontoire où la fourmis arrive.
Elle se sauve. Et là-dessus

Passe un certain croquant(1)qui marchait les piedsnus;
Ce croquant, par hasard, avait une arbalète.
Dès qu'il vit l'oiseau de Vénus,
Il le croit en son pot, et déjà lui fait fèté.
Tandis qu'à le tuer mon villageois s'apprête,
La fourmis le pique au talon.

Le vilain retourne la tête :
La colombe l'entend, part et tire de long.
Le souper du croquant avec elle s'envole (2):
Point de pigeon pour une obole.

XII

L'Astrologue qui se laisse tomber
dans un puits (3).

Un astrologue un jour se laissa choir
Au fond, d'un puits. On lui dit : Pauvre bête,
Tandis qu'à peine à tes pieds tu peux voir,
Penses-tu lire au-dessus de ta téte?

Cette aventure en soi, sans aller plus avant,
Peut servir de leçon à la plupart des hommes.
Parmi ce que de gens sur la terre nous sommes
Il en est peu qui fort souvent
Ne se plaisent d'entendre dire
Qu'au livre du destin les mortels peuvent lire.

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(1) Paysan. Nom donné aux paysans de la Guienne qui, s'étant révoltés sous Henri IV et Louis XIII, étaient armés de crocs.

(2) « Ce vers est à la fois une réflexion et une image. »> (Ch. Nodier.)

(3) L'astrologie est une science chimérique qui prétend connaître la destinée des hommes par l'observation des astres.

Mais ce livre, qu'Homère (1) et les siens ont chanté,
Qu'est-ce, que le Hasard parmi l'antiquité,
Et parmi nous la Providence?

Or, du hasard il n'est point de science:
S'il en était, on aurait tort

De l'appeler hasard, ni fortune, ni sort,
Toutes choses très-incertaines.

Quant aux volontés souveraines

De Celui qui fait tout, et rien qu'avec dessein,
Qui les sait, que lui seul? comment lire en son sein?
Aurait-il imprimé sur le front des étoiles

Ce que la nuit des temps enferme dans ses voiles (2)?
A quelle utilité? Pour exercer l'esprit

De ceux qui de la sphère et du globe ont écrit?
Pour nous faire éviter des maux inévitables?
Nous rendre, dans les biens, de plaisirs incapables?
Et, causant du dégoût pour ces biens prévenus,
Les convertir en maux devant qu'ils soient venus?
C'est erreur, ou plutôt c'est crime de le croire.
Le firmament se meut, les astres font leur cours,
Le soleil nous luit tous les jours,
Tous les jours sa clarté succède à l'ombre noire,
Sans que nous en puissions autre chose inférer
Que la nécessité de luire et d'éclairer,

D'amener les saisons, de mùrir les semences,
De verser sur les corps certaines influences.
Du reste, en quoi répond au sort toujours divers
Ce train toujours égal dont marche l'univers?
Charlatans, faiseurs d'horoscope (3),

Quittez les cours des princes de l'Europe:
Emmenez avec vous les souffleurs (4) tout d'un temps;
Vous ne méritez pas plus de foi que ces gens.
Je m'emporte un peu trop : revenons à l'histoire
De ce speculateur (5) qui fut contraint de boire.

(1) Le prince des poëtes grecs, auteur de l'I'iade et de l'Odyssée.

(2) Vers de la plus noble et de la plus riche poésie. (3) Horoscope, observation astrologique de l'heure natale. (4) Les souffleurs, c'est-à-dire les alchimistes, qui passaient leur vie à souffler sur leurs fourneaux. Leur science est aussi chimérique que celle des astrologues; ils prétendaient découvrir le secret de faire de l'or.

(5) Spéculateur, observateur.

Outre la vanité de son art mensonger,

C'est l'image de ceux qui bâillent (1) aux chimères
Cependant qu'ils (2) sont en danger,
Soit pour eux, soit pour leurs affaires.

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Un lièvre en son gîte songeait,

(Car que faire en un gîte, à moins que l'on ne songe?)
Dans un profond ennui se lièvre se plongeait :
Cet animal est triste, et la crainte le ronge.
Les gens d'un naturel peureux

Sont, disait-il, bien malheureux!

Ils ne sauraient manger morceau qui leur profite!
Jamais un plaisir pur; toujours assauts divers.
Voilà comme je vis; cette crainte maudite
M'empêche de dormir sinon les yeux ouverts.

(1) Baillent, du vieux verbe baailler, qu'on écrit maintenant bayer, comme dans cette locution: bayer aux corneilles. Bayer signifie regarder d'une manière avide et envieuse.

(2) Cependant qu'ils. V. la dernière fable du Livre 1.

.

Corrigez-vous, dira quelque sage cervelle.
Eh! la peur se corrige-t-elle (1)?
Je crois même qu'en bonne foi
Les hommes ont peur comme moi.
Ainsi raisonnait notre lièvre,

Et cependant faisait (2) le guet.
Il était douteux (3), inquiet :

Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre. Le mélancolique animal,

En revant à cette matière,

Entend un léger bruit: ce lui fut un signal
Pour s'enfuir devers (4) sa tanière.
Il s'en alla passer sur le bord d'un étang:
Grenouilles aussitôt de sauter dans les ondes,
Grenouilles de rentrer en leurs grottes profondes.
Oh! dit-il, j'en fait faire autant
Qu'on m'en fait faire! Ma présence

Effraie aussi les gens! je mets l'alarme au camp!
Et d'où me vient cette vaillance?
Comment! des animaux qui tremblent devant moi!
Je suis donc un foudre de guerre !

Il n'est, je le vois bien, si poltron sur la terre
Qui ne puisse trouver un plus poltron que soi.

(1) C'est une vérité que l'expérience prouve tous les jours. (2) La correction gramaticale exige il faisait.

(3) Ce mot ne s'applique ordinairement qu'aux choses. Ici il signifie craintif.

(4) Devers, on dirait maintenant vers.

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Sur la branche d'un arbre était en sentinelle
Un vieux coq adroit et matois (1).
Frère, dit un renard, adoucissant sa voix,
Nous ne sommes plus en querelle:
Paix générale cette fois.

Je viens te l'annoncer; descends, que je t'embrasse :
Ne me retarde point, de grâce;

Je dois faire aujourd'hui vingt postes sans manquer.
Les tiens et toi pouvez vaquer

Sans nulle crainte à vos affaires;
Nous vous y servirons en frères.
Faites-en les feux (2) dès ce soir;
Et cependant viens recevoir

Le baiser d'amour fraternelle (3)!

- Ami, reprit le coq, je ne pouvais jamais Apprendre une plus douce et meilleure nouvelle Que celle

De cette paix;

Matois, fin, rusé.

(2) C'est-à-dire des feux de joie.

(3) Amour est souvent féminia en poésie.

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