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PRÉFACE

Le plus français de nos poëtes, celui qui berce notre enfance, et dont, pour lui emprunter son expression, nous suçons en quelque sorte les fables avec le lait, la Fontaine, est peut-être de tous les écrivains du XVIIe siècle le plus difficile à comprendre. La libre allure de son style, les tours vieillis qu'il rajeunit, les termes techniques qu'il emprunte aux différents arts et aux différentes professions, les allusions qu'il fait à l'histoire, à la mythologie, aux usages populaires, etc., nécessitent à chaque instant des explications. Nous avons essayé, dans les notes que nous joignons à cette édi

tion, de lever à cet égard toutes les difficultés qui pourraient arrêter les jeunes lecteurs.

Nous avons profité des travaux des principaux commentateurs, dont nous avons, pour ainsi dire, exprimé la fleur; nous y avons joint quelques observations destinées à compléter et quelquefois à réformer certains jugements. Nous ne nous dissimulons pas qu'il resterait encore à faire; mais nous osons croire que cette édition, telle qu'elle est, satisfait à toutes les exigences d'une édition classique, sans avoir aucun des inconvénients que l'on reproche justement à beaucoup d'autres qui ont eu cours jusqu'ici dans les écoles.

LE

A MONSEIGNEUR

DAUPHIN

MONSEIGNEUR,

S'il Y a quelque chose d'ingénieux dans la république des lettres, on peut dire que c'est la manière dont Ésope a débité sa morale. Il serait véritablement à souhaiter que d'autres mains que les miennes y eussent ajouté les ornements de la poésie, puisque le plus sage des anciens a jugé qu'ils n'y étaient pas inutiles. J'ose, Monseigneur, vous en présenter quelques essais. C'est un entretien convenable à vos premières années. Vous êtes en un âge où l'amusement

et les jeux sont permis aux princes; mais en même temps vous devez donner quelques-unes de vos pensées à des réflexions sérieuses. Tout cela se rencontre aux fables que nous devons à Ésope. L'apparence en est puérile, je le confesse; mais ces puérilités servent d'enveloppe à des vérités importantes.

Je ne doute point, Monseigneur, que vous ne regardiez favorablement des inventions si utiles et tout ensemble si agréables; car que peut-on souhaiter davantage que ces deux points? Ce sont eux qui ont introduit les sciences parmi les hommes. Ésope a trouvé un art singulier de les joindre l'un avec l'autre; la lecture de son ouvrage répand insensiblement dans une âme les semences de la vertu, et lui apprend à se connaître, sans qu'elle s'aperçoive de cette étude, et tandis qu'elle croit faire tout autre chose. C'est une adresse dont s'est servi trèsheureusement celui sur lequel Sa Majesté a jeté les yeux pour vous donner des instructions. Il fait en sorte que vous appreniez sans peine, ou, pour mieux parler, avec plaisir, tout ce qu'il est nécessaire qu'un prince sache. Nous espérons beaucoup de cette conduite. Mais,

A MONSEIGNEUR LE DAUPHIN

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à dire la vérité, il y a des choses dont nous espérons infiniment davantage : ce sont, Monseigneur, les qualités que notre invincible Monarque vous a données avec la naissance, c'est l'exemple que tous les jours il vous donne. Quand vous le voyez former de si grands desseins; quand vous le considérez qui regarde sans s'étonner l'agitation de l'Europe et les machines qu'elle remue pour le détourner de son entreprise; quand il pénètre dès sa première démarche jusque dans le cœur d'une province où l'on trouve à chaque pas des barrières insurmontables, et qu'il en subjugue une autre en huit jours, pendant la saison la plus ennemie de la guerre, lorsque le repos et les plaisirs règnent dans les cours des autres princes; quand, non content de dompter les hommes, il veut triompher aussi des éléments; et quand, au retour de cette expédition où il a vaincu comme un Alexandre, vous le voyez gouverner ses peuples comme un Auguste, avouez-le vrai, Monseigneur, vous soupirez pour la gloire aussi bien que lui, malgré l'impuissance de vos années; vous attendez avec impatience le temps où vous pourrez vous déclarer son rival dans

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