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Le monarque des dieux s'avisa, pour bien faire,
De transporter le temps où l'aigle fait l'amour
En une autre saison, quand la race escarbote
Est en quartier d'hiver, et, comme la marmotte (1),
Se cache et ne voit point le jour.

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Va-t'en, chétif insecte, excrément de la terre!
C'est en ces mots que le lion
Parlait un jour au moucheron.
L'autre lui déclara la guerre.

Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de roi
Me fasse peur ni me soucie (2)?

Un bœuf est plus puissant que toi (3);
Je le mène à ma fantaisie.

A peine il achevait ces mots,

Que lui-même il sonna la charge,
Fut le trompette et le héros.

Dans l'abord il se met au large,

(1) On sait que la marmotte tombe en léthargie pendant l'hiver.

(2) Ce verbe ne s'emploie plus que comme réfléchi.

(3) Puissant. Ce mot ne marque ici que la taille de l'animal.

Puis prend son temps, fond sur le cou
Du lion, qu'il rend presque fou.

Le quadrupède écume, et son œil étincelle (1):
Il rugit. On se cache, on tremble à l'environ (2):
Et cette alarme universelle

Est l'ouvrage d'un moucheron.

Un avorton de mouche en cent lieux le harcelle;
Tantôt pique l'échine, et tantôt le museau,
Tantôt entre au fond du naseau.

La rage alors se trouve à son faite montée.
L'invisible ennemi triomphe, et rit de voir
Qu'il n'est griffe ni dent en la bète irritée
Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.
Le malheureux lion se déchire lui-même,
Fait résonner sa queue à l'entour de ses flancs,
Bat l'air, qui n'en peut mais (3); et sa fureur extrême
Le fatigue, l'abat: le voilà sur les dents.
L'insecte du combat se retire avec gloire:
Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,
Va partout l'annoncer, et rencontre en chemin
L'embuscade d'une araignée :

Il y rencontre aussi sa fin.

Quelle chose par là nous peut être enseignée?
J'en vois deux, dont l'une est qu'entre nos ennemis
Les plus à craindre sont souvent les plus petits;
L'autre, qu'aux grands périls tel a pu se soustraire,
Qui périt pour la moindre affaire.

(1)« Tableau admirable qui ne le cède peut-être qu'à ceux qui suivent. Quel combat, quelle victoire, quel triomphe! et tout cela finit à l'embuscade d'une araignée! » (Ch. Nodier.) (2) Il faudrait aux environs.

(3) Qui n'en peut mais, c'est-à-dire qui n'en est pas cause.

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L'Ane chargé d'éponges et l'Ane
chargé de sel.

Un ânier, son sceptre (1) à la main,
Menait en empereur romain
Deux coursiers à longues oreilles.

L'un, d'éponges chargé, marchait comme un courrier;
Et l'autre, se faisant prier,

Portait, comme on dit, les bouteilles (2):

Sa charge était de sel. Nos gaillards pèlerins,
Par monts, par vaux (3) et par chemins,
Au gué d'une rivière à la fin arrivèrent,
Et fort empêchés se trouvèrent.

L'ânier, qui tous les jours traversait ce gué-fà,
Sur l'âne à l'éponge monta,

Chassant devant lui l'autre bête,

Qui, voulant en faire à sa tête,

(1) Ce sceptre n'est autre chose qu'un fouet ou un bâton; mais c'est le signe de l'autorité de l'ânier.

(2) C'est-à-dire, marcher lentement; car les bouteilles sont fragiles et exigent de la précaution.

(3) Pluriel du mot val, vallée. Il n'est plus usité que dans cet exemple.

Dans un trou se précipita,
Revint sur l'eau, puis échappa;
Car, au bout de quelques nagées (1),
Tout son sel se fondit si bien,
Que le baudet ne sentit rien
Sur ses épaules soulagées.

Camarade épongier (2) prit exemple sur lui,
Comme un mouton qui va dessus la foi d'autrui.
Voilà mon âne à l'eau; jusqu'au col il se plonge,
Lui, le conducteur et l'éponge.

Tous trois burent d'autant : l'ânier et le grison
Firent à l'éponge raison (3).
Celle-ci devint si pesante,

Et de tant d'eau s'emplit d'abord,

Que l'âne, succombant, ne put gagner le bord.
L'ânier l'embrassait, dans l'attente

D'une prompte et certaine mort.
Quelqu'un vint au secours : qui ce fut, il n'importe;
C'est assez qu'on ait vu par là qu'il ne faut point
Agir chacun de même sorte.
J'en voulais venir à ce point.

X

Le Lion et le Rat.

Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde ;
On a souvent besoin d'un plus petit que soi.
De cette vérité deux fables feront foi,
Tant la chose en preuves abonde.

Entre les pattes d'un lion,

Un rat sortit de terre assez à l'étourdie.
Le roi des animaux, en cette occasion,
Montra ce qu'il était (4), et lui donna la vie.

(1) Nagée, élan de celui qui nage.

(2) Mot créé par la Fontaine, comme celui de besacier. (Livre I, fable 7.)

(3) C'est-à-dire burent autant que l'éponge.

(4) C'est-à-dire se montra généreux.

Ce bienfait ne fut pas perdu.
Quelqu'un aurait-il jamais cru
Qu'un lion d'un rat eût affaire?
Cependant il avint qu'au sortir des forêts
Ce lion fut pris dans des rets (1)
Dont ses rugissements ne le purent défaire.
Sire rat accourut, et fit tant par ses dents
Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage.
Patience et longueur de temps

Font plus que force ni que rage.

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L'autre exemple est tiré d'animaux plus petits.
Le long d'un clair ruisseau buvait une colombe,
Quand sur l'eau se penchant une fourmis.(2) y tombe;
Et dans cet océan (3) l'on eût vu la fourmis

(1) Rets, filets.

Fourmis, vieille orthographe pour fourmi, quoique cette dernière eût déjà prévalu du temps de la Fontaine.

(3) Les termes d'océan et de promontoire, pris dans le rapport d'une fourmi avec un ruisseau et un brin de paille, sont des hyperboles pleines de goût. » (Ch. Nodier.)

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