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Maître pendu croyait qu'il en irait de même
Que le jour qu'il tendit de semblables panneaux;
Mais le pauvret, ce coup, y laissa ses houseaux (1),
Tant il est vrai qu'il faut changer de stratagème!
Le chasseur, pour trouver sa propre sûreté,
N'aurait pas cependant un tel tour inventé :
Non point par peu d'esprit: est-il quelqu'un qui nie
Que tout Anglais n'en ait bonne provision?
Mais le peu d'amour pour la vie

Leur nuit en mainte occasion.

XXII

Le Soleil et les Grenouilles.

Les filles du limon (2) tiraient du roi des astres
Assistance et protection:

Guerre ni pauvreté, ni semblables désastres,
Ne pouvaient approcher de cette nation;
Elle faisait valoir en cent lieux son empire.
Les reines des étangs, grenouilles, veux-je dire
(Car que coûte-t-il d'appeler

Les choses par noms honorables?),

Contre leur bienfaiteur osèrent cabaler,
Et devinrent insupportables.

L'imprudence, l'orgueil, et l'oubli des bienfaits,
Enfants de la bonne fortune,

Firent bientôt crier cette troupe importune
On ne pouvait dormir en paix.
Si l'on eût cru leur murmure,
Elles auraient, par leurs cris,
Soulevé grands et petits
Contre l'œil de la nature (3).

Le soleil, à leur dire, allait tout consumer,
Il fallait promptement s'armer,

(1) Ses bottines, du vieux mot house, botte. Phrase proverbiale, pour dire : il y mourut.

(2) Les grenouilles.

(3) L'œil de la nature est le soleil.

Et lever des troupes puissantes.
Aussitôt qu'il faisait un pas,
Ambassades coassantes

Allaient dans tous les Etats:
A les ouir, tout le monde,
Toute la machine ronde,
Roulait sur les intérêts
De quatre méchants marais.
Cette plainte téméraire
Dure toujours; et pourtant
Grenouilles doivent se taire,
Et ne murmurer pas tant :
Car si le soleil se pique,
Il le leur fera sentir;
La république aquatique
Pourrait bien s'en repentir (1).

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Une souris craignait un chat

Qui dès longtemps la guettait au passage.

(1) Cette fable est une allégorie sous laquelle le poëte veut représenter les démêlés des Hollandais avec Louis XIV. Elle est d'ailleurs assez faible.

Que faire en cet état? Elle, prudente et sage,
Consulte son voisin : c'était un maître rat,
Dont la rateuse (1) seigneurie
S'était logée en bonne hôtellerie,
Et qui cent fois s'était vanté, dit-on,
De ne craindre ui chat, ni chatte,
Ni coup de dent, ni coup de patte.
Dame souris, lui dit ce fanfaron,
Ma foi! quoi que je fasse,

Seul je ne puis chasser le chat qui vous menace :
Mais assemblons tous les rats d'alentour,
Je lui pourrai jouer d'un mauvais tour.
La souris fait une humble révérence;
Et le rat court en diligence

A l'office, qu'on nomme autrement la dépense,
Où maints rats assemblés

Faisaient, aux frais de l'hôte, une entière bombance.
Il arrive les sens troublés,

Et tous les poumons essoufflés.
Qu'avez-vous done? fui dit un de ces rats; parlez.
En deux mots, répondit-il, ce qui fait mon voyage,
C'est qu'il faut promptement secourir la souris,
Car Raminagrobis

Fait en tous lieux un étrange carnage.
Ce chat, le plus diable des chats,

S'il manque de souris, voudra manger des rats.
Chacun dit: 11 est vrai. Sus! sus! courons aux armes !
Quelques rates, dit-on, répandirent des larmes.
N'importe, rien n'arrète un si noble projet :
Chacun se met en équipage,

Chacun met en son sac un morceau de fromage;
Chacun promet enfin de risquer le paquet.
Ils allaient tous comme à la fète,
L'esprit content, le cœur joyeux.
Cependant le chat, plus fin qu'eux,
Tenait déjà la souris par la tète.
Ils s'avancèrent à grands pas

Pour secourir leur bonne amie :
Mais le chat, qui n'en démord pas,

(1) Rateuse est un mot de la famille de rateusement qui se trouve dans Clément Marot. Rates se trouve aussi dans Marot.

Gronde et marche au-devant de la troupe ennemie. A ce bruit, nos très-prudents rats, Craignant mauvaise destinée,

Font, sans pousser plus loin leur prétendu fracas, Une retraite fortunée.

Chaque rat rentre dans son trou;

Et si quelqu'un en sort, gare encor le matou (1)!

XXIV

Le Juge arbitre, l'Hospitalier et le Solitaire.

Trois saints également jaloux de leur salut,
Portés d'un mème esprit, tendaient à même but.
Ils s'y prirent tous trois par des routes diverses:
Tous chemins vont à Rome (2); ainsi nos concurrents
Crurent pouvoir choisir des sentiers différents.
L'un, touché des soucis, des longueurs, des traverses
Qu'en apanage on voit aux procès attachés,
S'offrit de les juger sans récompense aucune,
Peu soigneux d'établir ici-bas sa fortune.
Depuis qu'il est des lois, l'homme, pour ses péchés,
Se condamne à plaider la moitié de sa vie.

La moitié! les trois quarts, et bien souvent le tout.
Le conciliateur (3) crut qu'il viendrait à bout
De guérir cette folle et détestable envie.
Le second de nos saints choisit les hôpitaux.
Je le loue; et le soin de soulager les maux
Est une charité que je préfère aux autres.
Les malades d'alors, étant tels que les nôtres,
Donnaient de l'exercice au pauvre hospitalier;
Chagrins, impatients, et se plaignant sans cesse :

(1) Encore une fable allégorique du même sens que la précédente, et qui ne vaut pas beaucoup mieux.

(2) Mot proverbial, qui a ici un sens particulier parce qu'il est appliqué à la canonisation.

(3) Celui qui accommode, qui décide les procès.

« Il a pour tels et tels un soin particulier.
« Ce sont ses amis; il nous laisse. »
Ces plaintes n'étaient rien au prix de l'embarras
Où se trouva réduit l'appointeur de débats:
Aucun n'était content; la sentence arbitrale
A nul des deux ne convenait :

Jamais le juge ne tenait

A leur gré la balance égale.

De semblables discours rebutaient l'appointeur :
Il court aux hôpitaux, va voir leur directeur.
Tous deux ne recueillant que plainte et que murmure,
Afligés et contraints de quitter ces emplois,
Vont confier leur peine au silence des bois.
Là, sous d'apres rochers, près d'une source pure,
Lieu respecté des vents, ignoré du soleil,

Ils trouvent l'autre saint, lui demandent conseil.
Il faut, dit leur ami, le prendre de soi-même.
Qui mieux que vous sait vos besoins?
Apprendre à se connaître (1) est le premier des soins
Qu'impose à tout mortel la Majesté supreme.
Vous êtes-vous connus dans le monde habité?
L'on ne le peut qu'aux lieux pleins de tranquillité :
Chercher ailleurs ce bien est une erreur extrème.
Troublez l'eau: vous y voyez-vous?

Agitez celle-ci. - Comment nous verrions-nous?
La vase est un épais nuage

Qu'aux effets du cristal nous venons d'opposer.
Mes frères, dit le saint, laissez-la reposer,
Vous verrez alors votre image.

Pour vous mieux contempler demeurez au désert.
Ainsi parla le solitaire.

Il fut cru; l'on suivit ce conseil salutaire.

Ce n'est pas qu'un emploi ne doive être souffert. Puisqu'on plaide et qu'on meurt, et qu'on devient maIl faut des médecins, il faut des avocats; [lade, Ces secours, grâce à Dieu, ne nous manqueront pas : Les honneurs et le gain, tout me le persuade. Cependant on s'oublie en ces communs besoins.

(1) C'est l'inscription que Socrate prétendait avoir lue sur le frontispice du temple de Delphes: «Connais-toi toi-même. >>

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