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On crut que jusqu'au lendemain
Le maudit animal à la serre insolente
Nicherait là malgré le bruit,

Et sur le nez sacré voudrait passer la nuit.
Tâcher de l'en tirer irritait son caprice.
Il quitte enfin le roi, qui dit: Laissez aller
Ce milan, et celui qui m'a cru régaler.

Ils se sont acquittés tous deux de leur office,
L'un en milan, et l'autre en citoyen des bois :
Pour moi, qui sais comment doivent agir les rois,
Je les affranchis du supplice.

Et la cour d'admirer. Les courtisans, ravis,
Elèvent de tels faits, par eux si mal suivis
Bien peu, mème des rois, prendraient un tel modèle.
Et le veneur l'échappa belle;

Coupables seulement, tant lui que l'animal,
D'ignorer le danger d'approcher trop du maître :
Ils n'avaient appris à connaître

Que les hôtes des bois : était-ce un si grand mal?
Pilpay (1) fait près du Gange arriver l'aventure.
Là nulle humaine créature

Ne touche aux animaux pour leur sang épancher.
Le roi mème ferait scrupule d'y toucher.
Savons-nous, disent-ils, si cet oiseau de proie
N'était point au siége de Troie (2)?
Peut-être y tient-il lieu d'un prince ou d'un héros
Des plus huppés et des plus hauts:
Ce qu'il fut autrefois, il pourra l'ètre encore.
Nous croyons, après Pythagore (3),

Qu'avec les animaux de forme nous changeons :
Tantôt milans, tantôt pigeons,
Tantôt humains, puis volatilles,
Ayant dans les airs leurs familles.

Comme l'on conte en deux façons
L'accident du chasseur, voici l'autre manière :
Un certain fauconnier ayant pris, ce dit-on,

Fabuliste indien.

Allusion à la prétention de Pythagore, qui, pour accréditer son système de la métempsycose, disait qu'il se souvenait d'avoir été Euphorbe au siége de Troie.

(3) C'est, au contraire, Pythagore qui devait sa doctrine aux Indiens.

A la chasse un milan (ce qui n'arrive guère),
En voulut au roi faire un don,

Comme de chose singulière :

Ce cas n'arrive pas quelquefois en cent ans:
C'est le NON PLUS ULTRA (1) de la fauconnerie.
Ce chasseur perce donc un gros de courtisans,
Plein de zèle, échauffé, s'il le fut de sa vie.
Par ce parangon (2) des présents
Il croyait sa fortune faite:

Quand l'animal porte-sonnette (3),
Sauvage encore et tout grossier,
Avec ses ongles tout d'acier,

Prend le nez du chasseur, happe le pauvre sire.
Lui de crier; chacun de rire,

Monarque et courtisans. Qui n'eût ri? Quant à moi,
Je n'en eusse quitté ma part pour un empire.
Qu'un pape rie, en bonne foi

Je n'ose l'assurer: mais je tiendrais un roi
Bien malheureux s'il n'osait rire:

C'est le plaisir des dieux. Malgré son noir sourcil,
Jupiter et le peuple immortel rit aussi :

Il en fit des éclats, à ce que dit l'histoire,
Quand Vulcain, clopinant, lui vint donner à boire (4).
Que le peuple immortel se montrât sage ou non,
J'ai changé mon sujet avec juste raison;
Car, puisqu'il s'agit de morale,

Que nous eùt du chasseur l'aventure fatale
Enseigné de nouveau? L'on a vu de tout temps
Plus de sots fauconniers que de rois indulgents.

(1) Le cas le plus rare.

(2) Modèle.

(3) Le faucon, ainsi nommé parce qu'on lui attache des grelots aux pieds.

(4) Allusion au récit d'Homère. (Iliad. liv. Ier.)

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Aux traces de son sang un vieux hôte des bois,
Renard fin, subtil et matois,

Blessé par des chasseurs et tombé dans la fange,
Autrefois attira ce parasite ailé

Que nous avons mouche appelé.

Il accusait les dieux, et trouvait fort étrange
Que le sort à tel point le voulût affliger,
Et le fit aux mouches manger.

Quoi! se jeter sur moi, sur moi le plus habile
De tous les hôtes des forêts!

Depuis quand les renards sont-ils un si bon mets?
Et que me sert ma queue? est-ce un poids inutile?
Va, le ciel te confonde, animal importun!

Que ne vis-tu sur le commun!

Un hérisson du voisinage,

Dans mes vers nouveau personnage,

Voulut le délivrer de l'importunité

Du peuple plein d'avidité.

Je les vais de mes dards enfiler par centaines, Voisin renard, dit-il, et terminer tes peines. Garde-t'en bien, dit l'autre; ami, ne le fais pas : Laisse-les, je te prie, achever leur repas.

Ces animaux sont souls; une troupe nouvelle
Viendrait fondre sur moi, plus âpre et plus cruelle.

Nous ne trouvons que trop de mangeurs ici-bas:
Ceux-ci sont courtisans, ceux-là sont magistrats.
Aristote appliquait cet apologue aux hommes.
Les exemples en sont communs,
Surtout au pays où nous sommes.

Plus telles gens sont pleins(1),moins ils sont importuns.

XIV

Le Corbeau, la Gazelle, la Tortue
et le Rat.

A MADAME DE LA SABLIÈRE

La gazelle, le rat, le corbeau, la tortue,
Vivaient ensemble unis: douce société.

Le choix d'une demeure aux humains inconnue
Assurait leur félicité.

Mais quoi, l'homme découvre enfin toutes retraites.
Soyez au milieu des déserts,

Au fond des eaux, au haut des airs, Vous n'éviterez point ses embûches secrètes (2). La gazelle s'allait ébattre innocemment,

Quand un chien, maudit instrument

(1) Plus telles gens sont pleins. Cet hémistiche est une application remarquable de la règle qui dit que gens veut au féminin les adjectifs qui le précèdent, et au masculin ceux qui le suivent.

(2) La Fontaine semble se souvenir ici d'un chœur de l'Antigone de Sophocle.

Du plaisir barbare des hommes,

Vint sur l'herbe éventer les traces de ses pas.
Elle fuit, et le rat, à l'heure du repas,

Dit aux amis restants: D'où vient que nous ne sommes
Aujourd'hui que trois conviés?

La gazelle déjà nous a-t-elle oubliés?
A ces paroles la tortue
S'écrie, et dit : Ah! si j'étais

Comme un corbeau d'ailes pourvue,
Tout de ce pas je m'en irais
Apprendre au moins quelle contrée,
Quel accident tient arrétée

Notre compagne au pied léger;

Car, à l'égard du cœur, il en faut mieux juger (1).
Le corbeau part à tire-d'aile;
Il aperçoit de loin l'imprudente gazelle

Prise au piége, et se tourmentant.

Il retourne avertir les autres à l'instant.

Car, de lui demander quand, pourquoi ni comment
Ce malheur est tombé sur elle,

Et perdre en vains discours cet utile moment,
Comme eût fait un maître d'école (2),
Il avait trop de jugement.

Le corbeau donc vole et revole.
Sur son rapport, les trois amis
Tiennent conseil. Deux sont d'avis
De se transporter sans remise

Aux lieux où la gazelle est prise.
L'autre, dit le corbeau, gardera le logis:
Avec son marcher lent, quand arriverait-elle?
Après la mort de la gazelle.

Ces mots à peine dits, il s'en vont secourir
Leur chère et fidèle compagne,
Pauvre chevrette (3) de montagne.
La tortue y voulut courir :

La voilà comme eux en campagne,
Maudissant ses pieds courts avec juste raison,

(1) C'est-à-dire, il ne faut pas le croire léger, ni attribuer son éloignement à son inconstance.

(2) Allusion au maître d'école de la fable, liv. Ier.

(3)« Qu'il est gracieux ce diminutif! Pourquoi? c'est qu'il est à la fois un sentiment et une image. » (Guillon.)

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