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Si tant de mères se sont tues,
Que ne vous taisez-vous aussi?
Moi, me taire! moi, malheureuse!

Ah! j'ai perdu mon fils! il me faudra traîner
Une vieillesse douloureuse!

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Dites-moi, qui vous force à vous y condamner? Hélas! c'est le Destin, qui me hait. - Ces paroles Ont été de tout temps dans la bouche de tous.

Misérables humains, ceci s'adresse à vous.

Je n'entends résonner que des plaintes frivoles (1). Quiconque en pareil cas se croit hai des cieux, Qu'il considère Hécube (2), il rendra grâce aux dieux.

XIII

Les deux Aventuriers et le Talisman.

Aucun chemin de fleurs ne conduit à la gloire (3). Je n'en veux pour témoins qu'Hercule et ses travaux. Ce dieu n'a guère de rivaux :

J'en vois peu dans la Fable, encor moins dans l'histoire.

verbe avoir, en perdant son sens possessif, pour prendre simplement le sens auxiliaire, a continué de se construire de même avec le substantif pour complément et le participe s'accordant avec le substantif; on en trouve plusieurs exemples dans Corneille. Mais aujourd'hui, même avec l'inversion, le participe demeure invariable, et régit le substantif au lieu de s'y rapporter.

(1) Pourquoi que des plaintes frivoles? n'y a-t-il donc pas des malheurs réels et des douleurs permises?

(2) Femme de Friam, roi de Troie; après avoir vu périr son époux et ses enfants, elle alla elle-même mourir en captivité; mais c'est là une consolation qui ne console pas. Ardua per præceps gloria vadit iter,

(3)

a dit Ovide; et Corneille :

Le ciel par les travaux veut qu'on monte à la gloire.

En voici pourtant un, que de vieux talismans
Firent chercher fortune au pays des romans.
Il voyageait de compagnie.

Son camarade et lui trouvèrent un poteau
Ayant au haut cet écriteau:

«Seigneur aventurier, s'il te prend quelque envie
« De voir ce que n'a vu nul chevalier errant,
« Tu n'as qu'à passer ce torrent;

<< Puis, prenant dans tes bras un éléphant de pierre «Que tu verras couché par terre,

« Le porter d'une haleine au sommet de ce mont
«Qui menace les cieux de son superbe front. »>
L'un des deux chevaliers saigna du nez (1). Si l'onde
Est rapide autant que profonde,
Dit-il..., et supposé qu'on la puisse passer,
Pourquoi de l'éléphant s'aller embarrasser?
Quelle ridicule entreprise!

Le sage l'aura fait par tel art et de guise (2)
Qu'on le pourra porter peut-être quatre pas:
Mais jusqu'au haut du mont, d'une haleine, il n'est pas
Au pouvoir d'un mortel; à moins que la figure
Ne soit d'un éléphant nain, pygmée, avorton,

Propre à mettre au bout d'un bâton:
Auquel cas, où l'honneur d'une telle aventure?
On nous veut attraper dedans cette écriture:
Ce sera quelque énigme à tromper un enfant;
C'est pourquoi je vous laisse avec votre éléphant.
Le raisonneur parti, l'aventureux se lance
Les yeux clos à travers cette eau.
Ni profondeur ni violence

Ne purent l'arrêter; et, selon l'écriteau,
Il vit son éléphant couché sur l'autre rive.
Il le prend, il l'emporte, au haut du mont arrive,
Rencontre une esplanade et puis une cité.
Un cri par l'éléphant est aussitôt jeté :

Le peuple aussitôt sort en armes.

Tout autre aventurier, au bruit de ces alarmes,
Aurait fui celui-ci, loin de tourner le dos,

(1) Au figuré: saigner du nez signifie avoir peur, reculer devant une difficulté.

(2) De manière.

Veut vendre au moins sa vie, et mourir en héros.
Il fut tout étonné d'ouïr cette cohorte

Le proclamer monarque au lieu de son roi mort.
Il ne se fit prier que de la bonne sorte (1),
Encor que le fardeau fût, dit-il, un peu fort.
Sixte (2) en disait autant quand on le fit saint-père :
(Serait-ce bien une misère

Que d'être pape ou d'ètre roi (3)?)
On reconnut bientôt son peu de bonne foi.

Fortune aveugle suit aveugle hardiesse.
Le sage quelquefois fait bien d'exécuter
Avant que de donner le temps à la sagesse
D'envisager le fait, et sans la consulter.

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DISCOURS A M. LE DUC DE LA ROCHEFOUCAULD (4)

Je me suis souvent dit, voyant de quelle sorte
L'homme agit, et qu'il se comporte

(1) De manière à ne pas refuser entièrement.
(2) Sixte-Quint, élu pape en 1585.

« Nul en ce monde, dit l'Imitation, fût-il roi ou pape, n'est exempt de souffrances. »>

(4) Ami et protecteur de la Fontaine, né en 1613, mort en 1680.

En mille occasions comme les animaux :

Le roi de ces gens-là n'a pas moins de défauts
Que ses sujets; et la Nature

A mis dans chaque créature

Quelque grain d'une masse où puisent les esprits :
J'entends les esprits corps, et pétris de matière.
Je vais prouver ce que je dis (1).

A l'heure de l'affût, soit lorsque la lumière
Précipite ses traits dans l'humide séjour,
Soit lorsque le soleil rentre dans sa carrière,
Et que, n'étant plus nuit, il n'est pas encor jour (2),
Au bord de quelque bois sur un arbre je grimpe,
Et, nouveau Jupiter, du haut de cet Olympe,
Je foudroie à discrétion

Un lapin qui n'y pensait guère.

Je vois fuir aussitôt toute la nation

Des lapins, qui, sur la bruyère,
L'œil éveillé, l'oreille au guet,

S'égayaient, et de thym parfumaient leur banquet.
Le bruit du coup fait que la bande
S'en va chercher sa sûreté

Dans la souterraine cité :

Mais le danger s'oublie, et cette peur si grande
S'évanouit bientôt; je revois les lapins,

Plus gais qu'auparavant, revenir sous mes mains.

Ne reconnaît-on pas en cela les humains?

Dispersés par quelque drage,

A peine ils touchent le port,
Qu'ils vont hasarder encor
Même vent, méme naufrage (3);
Vrais lapins, on les revoit

Sous les mains de la fortune.

Joignons à ces exemples une chose commune. Quand les chiens étrangers passent par quelque endroit

(1) Ce début nous reporte à la théorie développée dans la première fable du liv. X.

(2) Tableau charmant de grâce et de fraîcheur.

Mox reficit rates

Quassas, indocilis pauperiem pati. (Hor., Od. I, 1.)

Qui n'est pas de leur détroit (1),
Je laisse à penser quelle fète!
Les chiens du lieu, n'ayant en tête

Qu'un intérêt de gueule, à cris, à coups de dents Vous accompagnent ces passants Jusqu'aux confins du territoire.

Un intérêt de biens, de grandeur et de gloire,
Aux gouverneurs d'Etats, à certains courtisans,
A gens de tous métiers, en fait tout autant faire.
On nous voit tous, pour l'ordinaire,
Piller le survenant, nous jeter sur sa peau.
La coquette et l'auteur sont de ce caractère :
Malheur à l'écrivain nouveau!

Le moins de gens qu'on peut à l'entour du gâteau;
C'est le droit du jeu, c'est l'affaire.

Cent exemples pourraient appuyer mon discours. Mais les ouvrages les plus courts

Sont toujours les meilleurs. En cela j'ai pour guides (2)
Tous les maîtres de l'art, et tiens qu'il faut laisser
Dans les plus beaux sujets quelque chose à penser :
Ainsi ce discours doit cesser.

Vous qui m'avez donné ce qu'il a de solide,
Et dont la modestie égale la grandeur,
Qui ne pûtes jamais écouter sans pudeur
La louange la plus permise,

La plus juste et la mieux acquise;
Vous enfin dont peine ai-je encore obtenu
Que votre nom reçût ici quelques hommages;
Du temps et des censeurs défendant mes ouvrages,
Comme un nom qui, des ans et des peuples connu
Fait honneur à la France, en grands noms plus féconde
Qu'aucun climat de l'univers,

Permettez-moi du moins d'apprendre à tout le monde Que vous m'avez donné le sujet de ces vers.

Pour district, domaine.

Guides étant au pluriel ne peut rimer avec solide;

c'est une inadvertance.

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