Marché fait, les oiseaux forgent une machine Pour transporter la pèlerine. Dans la gueule, en travers, on lui passe un bâton. Serrez bien, dirent-ils, gardez de lâcher prise. Puis chaque canard prend ce bâton par un bout. La tortue enlevée, on s'étonne partout De voir aller en cette guise L'animal lent et sa maison, Justement au milieu de l'un et de l'autre oison (1). Miracle! criait-on: venez voir dans les nues Passer la reine des tortues. Et vaine curiosité, (1) Oison est impropre. Ce mot ne se dit que du petit d'une oie. (2) Elle tombe, fait image et peint la chose aux yeux. Il n'était point d'étang dans tout le voisinage Eut glacé le pauvre animal, La mème cuisine alla mal. Tout cormoran se sert de pourvoyeur lui-même. Lenôtre, un peu trop vieux pour voir au fond des eaux, N'ayant ni filets ni réseaux, Souffrait une disette extrême. Cormoran vit une écrevisse. Porter un avis important (1) Oiseau aquatique qui se nourrit ordinairement de pois son. Le maitre de ce lieu dans huit jours péchera. L'écrevisse en håte s'en va A l'oiseau : Seigneur Cormoran, Etes-vous sûr de cette affaire ? N'y savez-vous remède ? Et qu'est-il bon de faire? Changer de lieu , dit-il. - Comment le ferons-nous ? N'en soyez point en soin (2) : je vous porterai tous, L'un après l'autre, en ma retraite. Il n'est demeure plus secrète. Inconnu des traîtres humains, Transparent, peu creux, fort étroit, Il leur apprit à leurs dépens En ceux qui sont mangeurs de gens. Me parait une à cet égard : (1). Emute pour émeute, licence poétique; nous l'avons vu précédemment. (2) "N'en soyez pas en peine. V L'Enfouisseur et son Compère. Un pince-maille (1) avait tant amassé Qu'il ne savait où loger sa finance. L'avarice, compagne et sæur de l'ignorance, Le rendait fort embarrassé Dans le choix d'un dépositaire; Si je le laisse à la maison (2): Apprends de moi cette leçon : Le bien n'est bien qu'en tant que l'on s'en peut défaire; Sans cela c'est un mal. Veux-tu le réserver Pour un âge et des temps qui n'en ont plus que faire ? La peine d'acquérir, le soin de conserver, Otent le prix à l'or, qu'on croit si nécessaire. Pour se décharger d'un tel soin, Notre homme eût pu trouver des gens sûrs au besoin. Il aima inieux la terre; et prenant son compère, Celui-ci l'aide. Ils vont enfouir le trésor. Au bout de quelque temps l'homme va voir son or; (1) On appelait maille une petite monnaie de moindre valeur que le denier. De là l'expression : « N'avoir ni sou ni maille. » Un pince-maille est un avare. (2) Nous retrouvons encore ici les idées de la première satire d'Horace : Quod si comminuas , vilem redigatur ad assem. Nescis quo valeat nummus ? quem prebeat usum ? et la Fontaine lui-même a dit au liv. IV (l'Avare qui a perdu son trésor): L'usage seulement fait la possession. Il ne retrouva que le gite. Soupçonnant à bon droit le compère, il va vite Lui dire: Apprètez-vous; car il me reste encor Quelques deniers : je veux les joindre à l'autre masse. Le compère aussitôt va remeitre en sa place L'argent volé, prétendant bien Tout reprendre à la fois sans qu'il y manquât rien. Mais pour ce coup l'autre fut sage: Il retint tout chez lui, résolu de jouir, Plus n'entasser, plus n'enfouir, Et le pauvre voleur, ne trouvant plus son gage, Pensa tomber de sa hauteur. Il n'est pas malaisé de tromper un trompeur (1). VI Le Loup et les Bergers. Un loup rempli d'humanité Fit un jour sur sa cruauté, Une réflexion profonde. Le loup est l'ennemi commun: On y mit notre tête à prix. (1) Cette conclusion est au moins contestable. (2) « Edgard, roi d'Angleterre, qui régnait vers le milieu du xe siècle, fit faire tous les ans de grandes chasses pour la destruction des loups, et convertit le tribut en argent que son prédécesseur Athelstane avait imposé aux souverains de la principauté de Galles, en un tribut annuel de trois cents têtes de loups. Par ces moyens, Edgard détruisit les loups dans toute l'Angleterre. » (Walckenaer.) |