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Au mont Hymette (1), et se gorger

Des trésors qu'en ce lieu les zéphyrs entretiennent.
Quand on eut des palais de ces filles du ciel
Enlevé l'ambroisie en leurs chambres enclose (2),
Ou, pour dire en français la chose,
Après que les ruches sans miel

N'eurent plus que la cire, on fit mainte bougie:
Maint cierge aussi fut façonné.

Un d'eux voyant la terre en brique au feu durcie
Vaincre l'effort des ans, il eut la mème envie;
Et, nouvel Empédocle (3), aux flammes condamné
Par sa propre et pure folie,

Il se lança dedans. Ce fut mal raisonné;
Ce cierge ne savait grain de philosophie.

Tout en tout est divers: ôtez-vous de l'esprit
Qu'aucun être ait été composé sur le vôtre.
L'Empedocle de cire au brasier se fondit :
Il n'était pas plus fou que l'autre (4).

XII

Jupiter et le Passager.

Oh! combien le péril enrichirait les dieux

Si nous nous souvenions des vœux qu'il nous fait faire!

(1) Montagne de l'Attique célèbre par le miel qu'on y recueillait.

(2) Vers charmants dans une fable d'ailleurs faible.

(3) « Empédocle était un philosophe ancien qui, ne pouvant comprendre les merveilles du mont Etna, se jeta dedans par une vanité ridicule; et, trouvant l'action belle, de peur d'en perdre le fruit et que la postérité ne l'ignorât, laissa ses pantoufles au pied du mont. » (Note de la Fontaine.) Le cierge qui devient un Empédocle est quelque chose de forcé.

(4) « En conscience, on ne peut guère exiger d'un cierge qu'il soit philosophe; les hommes ont assez de peine à l'être. » Gérusez.)

Mais, le péril passé, l'on ne se souvient guère
De ce qu'on a promis aux cieux;

On compte seulement ce qu'on doit à la terre.
Jupiter, dit l'impie, est un bon créancier;
Il ne se sert jamais d'huissier.

Eh! qu'est-ce donc que le tonnerre?
Comment appelez-vous ces avertissements?

Un passager pendant l'orage
Avait voué cent boeufs au vainqueur des Titans (1).
Il n'en avait pas un vouer cent éléphants
N'aurait pas coûté davantage.

Il brûla quelques os quand il fut au rivage!
Au nez de Jupiter la fumée en monta.

Sire Jupin, dit-il, prends mon vœu; le voilà :
C'est un parfum de bœuf que ta grandeur respire.
La fumée est ta part; je ne te dois plus rien.
Jupiter fit semblant de rire;

Mais après quelques jours, le dieu l'attrapa bien (2), Envoyant un songe lui dire

Qu'un tel trésor était en tel lieu. L'homme au vœu
Courut au trésor comme au feu.

Il trouva des voleurs; et, n'ayant dans sa bourse
Qu'un écu pour toute ressource,
Il leur promit cent talents d'or (3),
Bien comptés, et d'un tel trésor;

On l'avait enterré dedans telle bourgade.
L'endroit parut suspect aux voleurs; de façon
Qu'à notre prometteur l'un dit: Mon camarade,
Tu te moques de nous; meurs, et va chez Pluton
Porter tes cent talents en don.

(1) Géants, fils du Ciel et de la Terre. Ils voulurent détrôner Jupiter; mais celui-ci les foudroya.

(2) Oui, mais Jupiter est réduit à mentir. On sait que les dieux du paganisme avaient tous les vices des hommes. (3) Le talent d'or attique valait 55,609 fr.

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Le chat et le renard, comme beaux petits saints, S'en allaient en pèlerinage.

C'étaient deux vrais tartufs (1), deux archipatelins,
Deux francs patte-pelus (2), qui des frais du voyage,
Croquant mainte volaille, escroquant maint fromage,
S'indemnisaient à qui mieux mieux.

Le chemin était long, et partant ennuyeux;
Pour l'accourcir ils disputèrent.

La dispute est d'un grand secours :
Sans elle on dormirait toujours:

Nos pèlerins s'égosillèrent;

Ayant bien discuté, l'on parla du prochain (3).
Le renard au chat dit enfin :

(1) Licence poétique pour tartufes, c'est-à-dire de vrais hypocrites.

(2) Selon le Duchat, ce mot composé est formé par allusion à l'artifice de Jacob, qui se couvrit les mains de peaux de bêtes, et surprit la bénédiction d'Isaac à la place d'Esau. (3) On en médit.

Tu prétends ètre fort habile:

En sais-tu tant que moi? J'ai cent ruses au sac.
Non, dit l'autre je n'ai qu'un tour dans mon bissac;
Mais je soutiens qu'il en vaut mille.

Eux de recommencer la dispute à l'envi.
Sur le que si, que non, tous deux étant ainsi,
Une meute apaisa la noise.

Le chat dit au renard: Fouille en ton sac,
Cherche en ta cervelle matoise

ami;

Un stratagème sûr pour moi, voici le mien.
A ces mots, sur un arbre il grimpa bel et bien.
L'autre fit cent tours inutiles,

Entra dans cent terriers, mit cent fois en défaut
Tous les confrères de Brifaut.
Partout il tenta des asiles,

Et ce fut partout sans succès:

La fumée y pourvut (1), ainsi que les bassets.
Au sortir d'un terrier deux chiens aux pieds agiles
L'étranglèrent du premier bond.

Le trop d'expédients peut gâter une affaire:
On perd du temps au choix, on tente, on veut tout faire:
N'en ayons qu'un, mais qu'il soit bon.

XIV

Le Trésor et les deux Hommes.

Un homme n'ayant plus ni crédit ni ressource,
Et logeant le diable en sa bourse (2),
C'est-à-dire n'y logeant rien,
S'imagina qu'il ferait bien

(1) Quand le renard est dans son terrier, on l'en chasse en l'enfumant.

(2) Expression proverbiale dont on trouve l'origine dans un petit conte de Mellin de Saint-Gelais, poëte du XVIe siècle.

De se pendré, et finir lui-même sa misère,
Puisque aussi bien sans lui la faim le viendrait faire :
Genre de mort qui ne duit (1) pas

Aux gens peu curieux de goûter le trépas.
Dans cette intention une vieille masure
Fut la scène où devait se passer l'aventure:
Il y porte une corde, et veut avec un clou
Au haut d'un certain mur attacher le licou.
La muraille, vieille et peu forte,

S'ébranle aux premiers coups, tombe avec un trésor.
Notre désespéré le ramasse, et l'emporte,

Laisse là le licou, s'en retourne avec l'or
Sans compter: ronde ou non, la somme plut au sire.
Tandis que le galant à grands pas se retire,
L'homme au trésor arrive, et trouve son argent
Absent (2).

Quoi! dit-il, sans mourir je perdrai cette somme!
Je ne me pendrai pas! Eh! vraiment si ferai,
Ou de corde je manquerai.

Le lacs était tout prèt; il n'y manquait qu'un homme:
Celui-ci se l'attache, et se pend bien et beau.
Ce qui le consola peut-être,

Fut qu'un autre eût pour lui fait les frais du cordeau.

L'avare rarement finit ses jours sans pleurs;
Il a le moins de part aux trésors qu'il enserre,
Thésaurisant pour les voleurs,

Pour ses parents, ou pour la terre.

Aussi bien que l'argent le licou trouva maître.
Mais que dire du troc que la Fortune fit?
Ce sont là de ses traits, elle s'en divertit:
Plus le tour est bizarre, et plus elle est contente.
Cette déesse inconstante

Se mit alors en l'esprit

De voir un homme se pendre;
Et celui qui se pendit

S'y devait le moins attendre.

(1) Du vieux verbe duire, plaire, convenir.

(2)« Ce petit vers exprime très-bien le vide dont les yeux de l'homme au trésor sont frappés. » (Ch. Nodier.)

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