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Quel louvre! un vrai charnier, dont l'odeur se porta
D'abord au nez des gens. L'ours boucha sa narine :
Il se fût bien passé de faire cette mine,
Sa grimace déplut. Le monarque, irrité,
L'envoya chez Pluton faire le dégoûté.
Le singe approuva fort cette sévérité;
Et, flatteur excessif, il loua la colère
Et la griffe du prince, et l'antre, et cette odeur:
Il n'était ambre, il n'était fleur,
Qui ne fût ail au prix. Sa sotte flatterie
Eut un mauvais succès, et fut encor punie:
Ce monseigneur du lion-là

Fut parent de Caligula (1).

Le renard étant proche: Or çà, lui dit le sire,
Que sens-tu? dis-le-moi parle sans déguiser.
L'autre aussitôt de s'excuser,

Alléguant un grand rhume: il ne pouvait que dire
Sans odorat. Bref, il s'en tire.

Ceci vous sert d'enseignement :

Ne soyez à la cour, si vous voulez y plaire,
Ni fade adulateur, ni parleur trop sincère,
Et tachez quelquefois de répondre en Normand (2).

(1) Empereur romain, connu par ses extravagances et ses cruautés. Sa sœur Drusille étant morte, il la fit mettre au nombre des divinités, et punit également de mort ceux qui la pleuraient et ceux qui ne la pleuraient point : les premiers comme insultant à son apothéose, les seconds comme se montrant insensibles à sa perte.

(2) Sans dire ni oui ni non.

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Mars autrefois mit tout l'air en émute (1).
Certain sujet fit naître la dispute

Chez les oiseaux, non ceux que le Printemps
Mène à sa cour, et qui, sous la feuillée,
Par leur exemple et leurs sons éclatants,
Font que Vénus est en nous réveillée;
Ni ceux encor que la mère d'Amour
Met à son char: mais le peuple vautour,
Au bec retors, à la tranchante serre,
Pour un chien mort se fit, dit-on, la guerre.
Il plut du sang (2) je n'exagère point.
Si je voulais compter de point en point
Tout le détail, je manquerais d'haleine.
Maint chef périt, maint héros expira;

:

(1) Emute pour émeute, licence poétique.

« Belle hyperbole que le complément du vers rend

encore plus vive et plus énergique. » (Ch. Nodier.)

Et sur son roc Prométhée (1) espéra
De voir bientôt une fin à sa peine.
C'était plaisir d'observer leurs efforts;
C'était pitié de voir tomber les morts.
Valeur, adresse, et ruses, et surprises,
Tout s'employa. Les deux troupes, éprises
D'ardent courroux, n'épargnaient nuls moyens
De peupler l'air que respirent les ombres :
Tout élément remplit de citoyens

Le vaste enclos qu'ont les royaumes sombres.
Cette fureur mit la compassion

Dans les esprits d'une autre nation

Au cou changeant, au cœur tendre et fidèle.
Elle employa sa médiation

Pour accorder une telle querelle.
Ambassadeurs par le peuple pigeon
Furent choisis et si bien travaillèrent,
Que les vautours plus ne se chamaillèrent.
Ils firent trève, et la paix s'ensuivit.
Hélas! ce fut aux dépens de la race
A qui la leur aurait dû rendre grâce.
La gent maudite aussitôt poursuivit
Tous les pigeons, en fit ample carnage,
En dépeupla les bourgades, les champs.
Peu de prudence eurent les pauvres gens
D'accommoder un peuple si sauvage.

Tenez toujours divisés les méchants :
La sûreté du reste de la terre
Dépend de là. Semez entre eux la
guerre,
Ou vous n'aurez avec eux nulle paix.
Ceci soit dit en passant : je me tais.

(1) Prométhée, ayant dérobé le feu du ciel, fut enchaîné sur une montagne, où un vautour devait dévorer son foie toujours renaissant. Il espère, dit ici le poëte, une fin à ses maux, par la raison que le dernier vautour aurait péri dans cette guerre.

VII

Le Coche et la Mouche.

Dans un chemin montant, sablonneux, malaisé, Et de tous les côtés au soleil exposé,

Six forts chevaux tiraient un coche (1). Femmes, moines, vieillards, tout était descendu : L'attelage suait, soufflait, était rendu.

Une mouche survient, et des chevaux s'approche,
Prétend les animer par son bourdonnement,
Pique l'un, pique l'autre, et pense à tout moment
Qu'elle fait aller la machine.

S'assied sur le timon, sur le nez du cocher.
Aussitôt que le char chemine,

Et qu'elle voit les gens marcher,
Elle s'en attribue uniquement la gloire,

Va, vient, fait l'empressée : il semble que ce soit
Un sergent de bataille allant en chaque endroit
Faire avancer ses gens et håter la victoire (2).
La mouche, en ce commun besoin,
Se plaint qu'elle agit seule, et qu'elle a tout le soin;
Qu'aucun n'aide aux chevaux à se tirer d'affaire.
Le moine disait son bréviaire :

Il prenait bien son temps! une femme chantait :
C'était bien de chansons qu'alors il s'agissait!
Dame mouche s'en va chanter à leurs oreilles,
Et fait cent sottises pareilles.

Après bien du travail, le coche arrive au haut (3).
Respirons maintenant, dit la mouche aussitôt :'
J'ai tant fait que nos gens sont enfin dans la plaine.
Çà, messieurs les chevaux, payez-moi de mà peine.

Vers admirables d'harmonie imitative.

Va, vient, etc. « Quel mouvement, quelle vérité dans tout ce tableau! Il serait difficile de rien trouver de plus parfait, même dans la Fontaine. » (Ch. Nodier.)

(3) Arrive au haut fait image et peint les efforts.

Ainsi certaines gens, faisant les empressés,
S'introduisent dans les affaires :
Ils font partout les nécessaires,

Et, partout importuns, devraient étre chassés (1).

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Perrette, sur sa tête ayant un pot au lait,
Bien posé sur un coussinet,

Prétendait arriver sans encombre (2) à la ville.
Légère et court vètue, elle allait à grands pas,
Ayant mis ce jour-là, pour ètre plus agile,
Cotillon simple et souliers plats.
Notre laitière, ainsi troussée,

Comptait déjà dans sa pensée

Tout le prix de son lait; en employait l'argent;
Achetait un cent d'œufs, faisait triple couvée :
La chose allait à bien par son soin diligent.

(1) Excellent apologue. La mouche du coche est passée en proverbe.

(2) Sans fâcheux accident. Mais le verbe encombrer ne s'emploie pas au figuré.

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