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Un manant (1) au miroir prenait des oisillons.
Le fantôme (2) brillant attire une alouette:
Aussitôt un autour planant sur les sillons,
Descend des airs, fond et se jette

Sur celle qui chantait quoique près du tombeau (3).
Elle avait évité la perfide machine,

Lorsque, se rencontrant sous la main de l'oiseau,
Elle sent son ongle maline (4).

Pendant qu'à la plumer l'autour est occupé,
Lui-même sous les rets demeure enveloppé :
Oiseleur, laisse-moi, dit-il en son langage:
Je ne t'ai jamais fait de mal.

L'oiseleur repartit: Ce petit animal
T'en avait-il fait davantage?

XVI

Le Cheval et l'Ane.

En ce monde il se faut l'un l'autre secourir;
Si ton voisin vient à mourir,

C'est sur toi que le fardeau tombe.

Un âne accompagnait un cheval peu courtois,
Celui-ce ne portant que son simple harnois,
Et le pauve baudet si chargé qu'il succombe.
Il pria le cheval de l'aider quelque peu;
Autrement il mourrait devant qu'être (5) à la ville.
La prière, dit-il, n'en est pas incivile:
Moitié de ce fardeau ne vous sera que jeu.

Paysan.

Apparence.

Voyez combien ce vers de sentiment jette d'intérêt sur le sort de cette pauvre alouette! » (Chamfort.)

(4) Ongle est du masculin. Maline pour maligne, par licence poétique.

(5) Devant pour avant. « Avant que ne peut s'employer sans la préposition de devant un infinitif. » (De Wailly.)

Le cheval refusa, fit une pétarade;

Tant qu'il vit sous le faix mourir son camarade,
Et reconnut qu'il avait tort:

Du baudet en cette aventure
On lui fit porter la voiture (1),
Et la peau par-dessus encor.

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Chacun se trompe ici-bas:
On voit courir après l'ombre

Tant de fous, qu'on n'en sait pas
La plupart du temps le nombre.

Au chien dont parle Esope il faut les renvoyer.
Ce chien, voyant sa proie en l'eau représentée,
La quitta pour l'image, et pensa se noyer.
La rivière devint tout d'un coup (2) agitée;

(1) « La voiture pour la charge.» (Ch. Nodier.) (2) Il faudrait tout à coup; tout d'un coup signifie tout d'une fois,

A toute peine il regagna les bords,
Et n'eut ni l'ombre ni le corps.

XVIII

Le Chartier embourbé.

Le Phaeton (1) d'une voiture à foin

Vit son char embourbé. Le pauvre homme était loin De tout humain secours : c'était à la campagne, Près d'un certain canton de la basse Bretagne (2) Appelé Quimper - Corentin.

On sait assez que le Destin

Adresse là les gens quand il veut qu'on enrage.
Dieu nous préserve du voyage!

Pour venir au chartier (3) embourbé dans ces lieux,
Le voilà qui déteste (4) et jure de son mieux,
Pestant, en sa fureur extrême,

Tantôt contre les trous, puis contre ses chevaux,
Contre son char, contre lui-même.

Il invoque à la fin le dieu dont les travaux
Sont si célèbres dans le monde :
Hercule, lui dit-il, aide-moi; si ton dos
A porté la machine ronde (5),
Ton bras peut me tirer d'ici.

Sa prière étant faite, il entend dans la nue
Une voix qui lui parle ainsi :
Hercule veut qu'on se remue,

(1) « Cette désignation ironique ennoblit le style; c'est que le poëte a dit :

ainsi

Un ânier, son sceptre à la main. » (Gérusez.) (2) Epigramme contre la basse Bretagne, dont les chemins

étaient alors en très-mauvais état.

(3) On écrit maintenant charretier.

(4) Ce verbe veut un régime; il est mis ici pour faire des imprécations.

(5) Suivant la mythologie, Hercule porta le monde sur

son dos.

Puis il aide les gens. Regarde d'où provient
L'achoppement (1) qui te retient;
Ote d'autour de chaque roue

Ce malheureux mortier, cette maudite boue
Qui jusqu'à l'essieu les enduit;

Prends ton pic, et me romps ce caillou qui te nuit;
Comble-mofcette ornière.As-tu fait?-Oui,dit l'homme.
Or bien je vas t'aider, dit la voix; prends ton fouet.
Je l'ai pris... Qu'est ceci? Mon char marche à souhait.
Hercule en soit loué! Lors la voix : Tu vois comme
Tes chevaux aisément se sont tirés de là.

Aide-toi, le Ciel t'aidera.

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Le monde n'a jamais manqué de charlatans;
Cette science, de tout temps,

Fut en professeurs très-fertile.
Tantôt l'un en théâtre affronte l'Acheron (2),

L'obstacle.

Fleuve des enfers.

Et l'autre affiche par la ville
Qu'il est un passe-Cicéron (1).
Un des derniers se vantait d'ètre
En éloquence si grand maître,
Qu'il rendrait disert un badaud,

Un manant, un rustre, un lourdaud.

Oui, Messieurs, un lourdaud, un animal, un âne (2)
Qué l'on m'amène un åne, un âne renforcé,
Je le rendrais maître passé,

Et veux qu'il porte la soutane (3).

Le prince sut la chose; il manda le rhéteur.
J'ai, dit-il, en mon écurie

Un fort beau roussin d'Arcadie (4);
J'en voudrais faire un orateur.

Sire, vous pouvez tout, reprit d'abord notre homme.
On lui donna certaine somme.

Il devait au bout de dix ans
Mettre son âne sur les bancs;

Sinon il consentait d'être en place publique
Guindé la hart au col, étranglé court et net,
Ayant au dos sa rhétorique,

Et les oreilles d'un baudet.

Quelqu'un des courtisans lui dit qu'à la potence
Il voulait l'aller voir, et que, pour un pendu,
Il aurait bonne grâce et beaucoup de prestance:
Surtout qu'il se souvînt de faire à l'assistance
Un discours où son art fût au long étendu;
Un discours pathétique, et dont le formulaire
Servit à certains Cicérons
Vulgairement nommés larrons.
L'autre reprit Avant l'affaire,

Le roi, l'âne ou moi, nous mourrons (5).

(1) C'est-à-dire qu'il est plus éloquent que Cicéron. (2) Remarquez cette transition au moyen de laquelle le poëte met son charlatan lui-même en scène; rien n'est plus dramatique; le discours qu'il lui attribue est frappant de vérité.» (Ch. Nodier.)

(3) C'est-à-dire la robe des bacheliers licenciés.

(4) Le roussin est proprement un cheval de moyenne taille. «Par plaisanterie, on a nommé l'âne roussin d'Arcadie, parce qu'on élevait beaucoup d'ânes dans cette province. » (Edit. Dezobry.)

(5) Vers devenu proverbe.

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