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Vous plaît-il de l'avoir?-Eh bien! gageons nous deux,
Dit Phébus, sans tant de paroles,

A qui plus tôt aura dégarni les épaules
Du cavalier que nous voyons.

Commencez je vous laisse obscurcir mes rayons.
Il n'en fallut pas plus. Notre souffleur à gage (1)
Se gorge de vapeurs, s'enfle comme un ballon,
Fait un vacarme de démon,

Siffle, souffle, tempête et brise en son passage
Maint toit qui n'en peut mais, fait périr maint bateau(2),
Le tout au sujet d'un manteau.

Le cavalier eut soin d'empêcher que l'orage
Ne se pût engouffrer dedans.

Cela le préserva. Le Vent perdit son temps;
Plus il se tourmentait, plus l'autre tenait ferme.
Il eut beau faire agir le collet et les plis.
Sitôt qu'il fut au bout du terme

Qu'à la gageure on avait mis,
Le Soleil dissipe la nue,

Récrée et puis pénètre enfin le cavalier,
Sous son balandras (3) fait qu'il sue,
Le contraint de s'en dépouiller :
Encore n'usa-t-il pas de toute sa puissance.

Plus fuit douceur que violence (4).

IV

Jupiter et le Métayer.

Jupiter eut jadis une ferme à donner.
Mercure en fit l'annonce, et gens se présentèrent,

(1) A gage, qui a gagé, et qui se croit sûr de son fait. (2) Il est permis de croire que la poésie imitative n'est jamais allée plus loin. » (Ch. Nodier.)

(3) Balandras et plus communément balandran, espèce de manteau.

(4) Vers devenu proverbe.

Firent des offres, écoutèrent:

Ce ne ne fut pas sans bien tourner;
L'un alléguait que l'héritage

Était frayant (1) et rude, et l'autre un autre si.
Pendant qu'ils marchandaient ainsi,

Un d'eux, le plus hardi, mais non pas le plus sage,
Promit d'en rendre tant, pourvu que Jupiter
Le laissat disposer de l'air,
Lui donnât saison à sa guise,

Qu'il eût du chaud, du froid, du beau temps, de la bise,
Enfin du sec et du mouillé,

Aussitôt qu'il aurait bayé.

Jupiter y consent. Contrat passé, notre homme
Tranche du roi des airs, pleut, vente (2), et fait en somme
Un climat pour lui seul: ses plus proches voisins
Ne s'en sentaient non plus que les Américains.
Ce fut leur avantage : ils aurent bonne année,
Pleine moisson, pleine vinée (3).
Monsieur le receveur fut très-mal partagé.
L'an suivant, voilà tout changé
11 ajuste d'une autre sorte

La température des cieux.

Son champ ne s'en trouve pas mieux;

Celui de ses voisins fructifie et rapporte.
Que fait-il? Il recourt au monarque des dieux :
Il confesse son imprudence.

Jupiter en usa comme un maître fort doux.

Concluons que la Providence

Sait ce qu'il nous faut mieux que nous.

(1) Frayant, coûteux. « Inusité partout ailleurs qu'en Champagne et en Picardie. » (Ch. Nodier.)

(2) La Fontaine fait ces verbes actifs. « Ce sont de ces fautes qui ne réussissent qu'aux maîtres.» (Chamfort.) (3) Vinée, vendange.

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Le Cochet (1), le Chat et le Souriceau.

Un souriceau tout jeune, et qui n'avait rien vu,
Fut presque pris au dépourvu.

Voici comme il conta l'aventure à sa mère :
J'avais franchi les monts qui bornent cet Etat,
Et trottais comme un jeune rat
Qui cherche à se donner carrière,
Lorsque deux animaux m'ont arrêté les yeux :
L'un doux, benin et gracieux,
Et l'autre turbulent, et plein d'inquiétude;
Il a la voix percante et rude,

Sur la tête un morceau de chair,
Une sorte de bras (2) dont il s'élève en l'air
Comme pour prendre sa volée,

La queue en panache étalée.

(1) Petit coq.

(2) Un morceau de chair..., une sorte de bras, désignent la crête et les ailes, mais d'une manière vague, qui montre l'inexpérience du souriceau.

Or c'était un cochet, dont notre souriceau
Fit à sa mère le tableau,

Comme d'un animal venu de l'Amérique.
Il se battait, dit-il, les flancs avec ses bras,
Faisant tel bruit et tel fracas,

Que moi, qui, grâce aux dieux, de courage me pique,
En ai pris la fuite de peur,

Le maudissant de très-bon cœur.
Sans lui j'aurais fait connaissance

Avec cet animal qui m'a semblé si doux :
Il est velouté comme nous,

Marqueté, longue queue, une humble contenance,
Un modeste regard, et pourtant l'œil luisant.
Je le crois fort sympathisant

Avec messieurs les rats; car il a des oreilles
En figure aux nôtres pareilles.

Je l'allais aborder, quand d'un son plein d'éclat
L'autre m'a fait prendre la fuite.

Mon fils, dit la souris, ce doucet est un chat,
Qui, sous son minois hypocrite,
Contre toute ta parenté

D'un malin vouloir est porté.
L'autre animal, tout au contraire,

Bien éloigné de nous mal faire,

Servira quelque jour peut-être à nos repas.
Quant au chat, c'est sur nous qu'il fonde sa cuisine.
Garde-toi, tant que tu vivras,
De juger les gens sur la mine (1).

VI

Le Renard, le Singe et les Animaux.

Les animaux, au décès d'un lion
En son vivant prince de la contrée,

(1) « Cette fable est un chef-d'œuvre; la narration et la morale se trouvent dans le dialogue des personnages, et l'auteur s'y montre à peine. » (Chamfort.)

Pour faire un roi s'assemblèrent, dit-on.
De son étui la couronne est tirée :

Dans une chartre (1) un dragon la gardait.
Il se trouva que, sur tous essayée,
A pas un d'eux elle ne convenait :
Plusieurs avaient la tète trop menue,
Aucuns trop grosse, aucuns même cornue.
Le singe aussi fit l'épreuve en riant;
Et, par plaisir la tiare (2) essayant,
Il fit autour force grimaceries (3),
Tours de souplesse, et mille singeries,
Passa dedans ainsi qu'en un cerceau.
Aux animaux cela sembla si beau,
Qu'il fut élu chacun lui fit hommage.
Le renard seul regretta son suffrage,
Sans toutefois montrer son sentiment.
Quand il eut fait son petit compliment,
Il dit au roi: Je sais, Ŝire, une cache,
Et ne crois pas qu'autre que moi la sache.
Or tout trésor, par droit de royauté,
Appartient, Sire, à Votre Majesté.
Le nouveau roi bâille après la finance;
Lui-même y court pour n'ètre pas trompé.
C'était un piége; il y fut attrapé.

:

Le renard dit, au nom de l'assistance :
Prétendrais - tu nous gouverner encor,
Ne sachant pas te conduire toi-même?
Il fut démis, et l'on tomba d'accord
Qu'à peu de gens couvient le diadème (4).

(1) Un lieu de réserve, une prison. Ce mot vient du latin

carcer.

(2) Tiare, couronne; il ne se dit ordinairement que de la couronne pontificale.

(3) Grimaceries, mot inventé par la Fontaine.

« Cela est vrai; mais cet apologue ne finit point, et l'on ne sait si la couronne fut remise dans la chartre, ou si on la donna au renard. » (Ch. Nodier.)

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