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Il le pousse; et Rustaut, qui n'a jamais menti,
Dit que le lièvre est reparti.

Le pauvre malheureux vint mourir à son gîte.
La perdrix le raille et lui dit :

Tu te vantais d'être si vite!

Qu'as-tu fait de tes pieds? Au moment qu'elle rit,
Son tour vient; on la trouve. Elle croit que ses ailes
La sauront garantir à toute extrémité.
Mais la pauvrette avait compté

Sans l'antour (1) aux serres cruelles.

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L'aigle et le chat-huant leurs querelles cessèrent,
Et firent tant qu'ils s'embrassèrent.
L'un jura foi de roi, l'autre foi de hibou,

Qu'ils ne se goberaient leurs petits peu ni prou (2).
Connaissez-vous les miens? dit l'oiseau de Minerve.
Non, dit l'aigle. Tant pis, reprit le triste oiseau;
Je crains en ce cas pour leur peau :
C'est hasard si je les conserve.

Autour, oiseau de proie.

Prou, beaucoup.

Comme vous êtes roi, vous ne considérez

Qui ni quoi: rois et dieux mettent, quoi qu'on leur die, Tout en même catégorie."

Adieu mes nourrissons, si vous les rencontrez.
Peignez-les-moi, dit l'aigle, ou bien me les montrez :
Je n'y toucherai de ma vie.

Le hibou repartit: Mes petits sont mignons,
Beaux, bien faits, et jolis sur tous leurs compagnons;
Vous les reconnaîtrez sans peine à cette marque:
N'allez pas l'oublier; retenez-la si bien,

Que chez moi la maudite Parque (1)
N'entre point par votre moyen.

Il avint qu'au hibou Dien donna géniture:
De façon qu'un beau soir qu'il était en pâture
Notre aigle aperçut d'aventure,
Dans le coin d'une roche dure,
Ou dans les trous d'une masure (2)
(Je ne sais plus lequel des deux),
De petits monstres fort hideux,

Rechignés, un air triste, une voix de mégère (3).
Ces enfants ne sont pas, dit l'aigle, à notre ami;
Croquons-les. Le galant n'en fit pas à demi:
Ses repas ne sont point repas à la légère.
Le hibou, de retour, ne trouve que les pieds
De ses chers nourrissons, hélas! pour toute chose.
Il se plaint; et les dieux sont par lui suppliés
De punir le brigand qui de son deuil est cause.
Quelqu'un lui dit alors: N'en accuse que toi,
Ou plutôt la commune loi

Qui veut qu'on trouve son semblable
Beau, bien fait, et sur tous aimable.

Tu fis de tes enfants à l'aigle ce portrait :
En avaient-ils le moindre trait?

Ce mot est pris ici pour la mort.

Cinq vers de suite qui riment! c'est une licence exces

sive, et qu'il ne faudrait pas imiter.

(3) Une des furies, divinités infernales.

XIX

Le Lion s'en allant en guerre.

Le lion dans sa tête avait une entreprise :
Il tint conseil de guerre, envoya ses prévôts (1),
Fit avertir les animaux.

Tous furent du dessein, chacun selon sa guise (2).
L'éléphant devait sur son dos
Porter l'attirail nécessaire,

Et combattre à son ordinaire;
L'ours s'apprêter pour les assauts;

Le renard ménager de secrètes pratiques,
Et le singe amuser l'ennemi par ses tours.
Renvoyez, dit quelqu'un, les ànes, qui sont lourds,
Et les lièvres, sujets à des terreurs paniques.
Point du tout, dit le roi; je les veux employer:
Notre troupe sans eux ne serait pas complète;
L'âne effraiera les gens, nous servant de trompette,
Et le lièvre pourra nous servir de courrier.

Le monarque prudent et sage

De ses moindres sujets sait tirer quelque usage,
Et connait les divers talents.

Il n'est rien d'inutile aux personnes de sens (3).

(3)

Officiers.

Son talent naturel, son aptitude.

Excellent apologue, affabulation très-bien exprimée. » (Ch. Nodier.)

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Deux compagnons pressés d'argent
A leur voisin fourreur vendirent
La peau d'un ours encor vivant,

Mais qu'ils tueraient bientôt,du moins à ce qu'ils dirent.
C'était le roi des ours, au compte de ces gens.
Le marchand à sa peau 1) devait faire fortune;
Elle garantirait des froids les plus cuisants,
On en pourrait tirer plutôt deux robes qu'une.
Dindenaut (2) prisait moins ses moutons qu'eux leur ours;
Leur à leur compte, et non à celui de la bête.
S'offrant de la livrer au plus tard dans deux jours,
Ils conviennent de prix et se mettent en quête,
Trouvent l'ours qui s'avance et vient vers eux au trot.
Voilà mes gens frappés comme d'un coup de foudre.

(1) Pour avec sa peau.

(2) Dindenaut, nom d'un marchand de moutons dans Rabelais. Panurge lui ayant acheté un de ses moutons, qu'il jeta à la mer, les autres suivirent; de là le proverbe : «Comme les moutons de Panurge. »

Le marché ne tint pas, il fallut le résoudre : D'intérêts (1) contre l'ours on n'en dit pas un mot. L'un des deux compagnons grimpe au faîte d'un arbre. L'autre, plus froid que n'est un marbre,

Se couche sur le nez, fait le mort, tient son vent (2), Ayant quelque part ouï dire

Que l'ours s'acharne peu souvent

Sur un corps qui ne vit, ne meut, ni ne respire.
Seigneur ours, comme un sot, donna dans ce panneau:
Il voit ce corps gisant, le croit privé de vie;
Et, de peur de supercherie,

Le tourne, le retourne, approche son museau,
Flaire au passage de l'haleine.

C'est, dit-il, un cadavre; ôtons-nous, car il sent.
A ces mots l'ours s'en va dans la forêt prochaine.
L'un de nos deux marchands de son arbre descend,
Court à son compagnon, lui dit que c'est merveille
Qu'il n'ait seulement eu que la peur pour tout mal.
Eh bien! ajouta-t-il, la peau de l'animal?
Mais que t'a-t-il dit à l'oreille?

Car il t'approchait de bien près,
Te retournant avec sa serre.

Il m'a dit qu'il ne faut jamais

Vendre la peau de l'ours qu'on ne l'ait mis par terre (3).

XXI

L'Ane vêtu de la peau du Lion.

De la peau du lion l'àne s'étant vètu,
Etait craint partout à la ronde;

(1) C'est-à-dire des dommages et intérêts.
(2) Retient son haleine, sa respiration.

(3) Moralité plaisamment amenée. Le sujet de cette fable est emprunté à Philippe de Commines, liv. IV, chap. II, de ses Mémoires.

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