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Un certain loup, dans la saison
Que les tièdes zéphyrs ont l'herbe rajeunie (1),
Et que les animaux quittent tous la maison
Pour s'en aller chercher leur vie;

Un loup, dis-je, au sortir des rigueurs de l'hiver,
Aperçut un cheval qu'on avait mis au vert.
Je laisse à penser quelle joie.

Bonne chasse, dit-il, qui l'aurait à son croc (2)!
Eh! que n'es-tu mouton! car tu me serais hoc (3);
Au lieu qu'il faut ruser pour avoir cette proie.
Rusons donc. Ainsi dit, il vient à pas comptés;

(1) Inversion fréquente en poésie au XVIIe siècle : nous l'avons expliquée plus haut.

(2) Qui l'aurait, c'est-à-dire pour qui l'aurait. Mais un loup ne met pas son gibier au croc.

(3) C'est-à-dire assuré. « Cette expression vient du hoc, jeu de cartes qu'on appelle ainsi parce qu'il y a six cartes, savoir: les quatre rois, la dame de pique et le valet de carreau, qui sont hoc, c'est-à-dire assurées à celui qui les joue, et qui coupent toutes les autres cartes.» (Auger.)

Se dit écolier d'Hippocrate (1);

Qu'il connaît les vertus et les propriétés
De tous les simples de ces prés;

Qu'il sait guérir, sans qu'il se flatte,

Toutes sortes de maux. Si dom (2) coursier voulait
Ne point celer sa maladie,

Lui, loup, gratis le guérirait :
Car le voir en cette prairie
Paître ainsi, sans être lié,

Témoignait quelque mal, selon la médecine.
J'ai, dit la bète chevaline,

Un apostume (3) sous le pied.

Mon fils (4), dit le docteur, il n'est point de partie Susceptible de tant de maux.

J'ai l'honneur de servir nos seigneurs les chevaux, Et fais aussi la chirurgie.

Mon galant ne son geait qu'à bien prendre son temps,
Afin de happer son malade.

L'autre, qui s'en doutait, lui lâche une ruade,
Qui vous lui met en marmelade

Les mandibules (5) et les dents.

C'est bien fait, dit le loup en soi-même, fort triste;
Chacun à son métier doit toujours s'attacher.
Tu veux faire ici l'herboriste,

gneur.

Et ne fus jamais que boucher.

Sur Hippocrate, voyez livre III, fable 8.

Titre honorifique; ce mot vient du latin dominus, sei

(3) Enflure.

Quelle tendresse ! mais qu'elle est hypocrite!
Mâchoires.

IX

Le Laboureur et ses Enfants.

Travaillez, prenez de la peine :

C'est le fonds qui manque le moins.

Un riche laboureur, sentant sa fin prochaine,
Fit venir ses enfants, leur parla sans témoins.
Gardez-vous, leur dit-il, de vendre l'héritage
Que nous ont laissé nos parents:

Un trésor est caché dedans.

Je ne sais pas l'endroit; mais un peu de courage
Vous le fera trouver : vous en viendrez à bout.
Remuez votre champ dès qu'on aura fait l'oût (1) :
Creusez, fouillez, béchez (2): ne laissez nulle place?
Où la main ne passe et repasse.

Le père mort, les fils vous retournent le champ,
Deçà, delà, partout; si bien qu'au bout de l'an
Il en rapporta davantage.

D'argent, point de caché (3). Mais le père fut sage
De leur montrer, avant sa mort,

Que le travail est un trésor.

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X

La Montagne qui accouche.

Une montagne en mal d'enfant
Jetait une clameur si haute,

(1) La moisson. V. liv. I, fab. 1

(2) Ces verbes répétés au même temps, ces phrases coupées marquent bien l'activité.

(3) Tour vif, pour : il n'y a pas d'argent.

Que chacun, au bruit accourant,
Crut qu'elle accoucherait sans faute
D'une cité plus grosse que Paris :
Elle accoucha d'une souris.

Quand je songe à cette fable,
Dont le récit est menteur,
Et le sens est véritable,

Je me figure un auteur
Qui dit: Je chanterai la guerre

Que firent les Titans au maître du tonnerre.
C'est promettre beaucoup; mais qu'en sort-il souvent?
Du vent (1).

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Sur le bord d'un puits très-profond
Dormait, étendu de son long,

(1) Ce vers de deux pieds est du plus heureux effet; c'est une imitation d'Horace :

Parturient montes, nascetur ridiculus mus.

(Art poét., v. 139.) Boileau, en exprimant la même idée, n'a pas conservé l'image: La montagne en travail enfante une souris.

Un enfant alors dans ses classes.
Tout est aux écoliers couchette et matelas.
Un honnête homme (1) en pareil cas
Aurait fait un saut de vingt brasses.
Près de là tout heureusement

La Fortune passa, l'éveilla doucement,
Lui disant: Mon mignon, je vous sauve la vie :
Soyez une autre fois plus sage, je vous prie.
Si vous fussiez tombé, l'on s'en fût pris à moi;
Cependant c'était votre faute.

Je vous demande, en bonne foi,
Si cette imprudence si haute

Provient de mon caprice. Elle part à ces mots.

Pour moi, j'approuve son propos.
Il n'arrive rien dans le monde
Qu'il ne faille qu'elle en réponde:
Nous la faisons de tous écots (2);
Elle est prise à garant de toutes aventures.
Est-on sot, étourdi, prend-on mal ses mesures,
On pense en étre quitte en accusant son sort:
Bref, la Fortune a toujours tort (3).

XII

Les Médecins.

Le médecin Tant-pis allait voir un malade
Que visitait aussi son confrère Tant-mieux.
Ce dernier espérait, quoique son camarade
Soutînt que le gisant irait voir ses aïeux.

(1) La pensée sous-entendue est facile à suppléer : l'enfant est opposé à l'honnête homme. La Fontaine n'aimait pas l'enfance.

(2) Nous lui faisons payer sa part en tout.

(3) Démosthènes exprime la même pensée dans un de ses discours contre Philippe. (Olynth. 1.)

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