Que ferez-vous de moi? Je ne saurais fournir Au plus qu'une demi-bouchée (1). Je serai par vous repèchée; Au lieu qu'il vous en faut chercher Peut-être encor cent de ma taille Pour faire un plat:quel plat! croyez-moi, rien qui vaille. Rien qui vaille! eh bien, soit, repartit le pècheur; Poisson, mon bel ami, qui faites le prêcheur, Vous irez dans la poèle, et vous avez beau dire, Dès ce soir on vous fera frire. Un Tiens vuut, ce dit-on, mieux que deux Tu l'auras : L'un'est sûr, l'autre ne l'est pas. Un animal cornu blessa de quelques coups Le lion, qui, plein de courroux, (1) Dans un conte du moyen âge intitulé le Lai de l'oiselet, l'oiseau se défend de même : Je suis trop petit vraiment. (2) « Partisan, se disait autrefois de celui qui avait fait un traité avec le roi pour des affaires de finance. » (Acad.) Pour ne plus toinber en la peine, Bannit des lieux de son domaine Daims et cerfs de climat changèrent : Chacun à s'en aller fut prompt. Craignit que quelque inquisiteur (1) Ce sont oreilles que Dieu fit. On les fera passer pour cornes, Iront aux Petites-Maisons (3). V Le Renard ayant la queue coupée. Un vieux renard , mais des plus fins, Grand croqueur de poulets, grand preneur de lapins, Sentant son renard (4) d'une lieue, Fut enfin au piége attrapé. Par grand hasard en étant échappé, Non pas franc (6), car pour gage il y laissa sa queue; s'étant, dis-je, sauvé sans queue et tout honteux, (1) Ce mot est pris au figuré, et a le sens de dénonciateur. (2) Animal fabuleux, ayant une corne au milieu du front. (3) Nom d'un hôpital des fous à Paris; il n'existe plus. Sentant a ici un sens passif. Ce renard est tellement renard, qu'on le sent de loin. (5) Non pas entier. Pour avoir des pareils (comme il était habile), Si l'on me croit, chacun s'y résoudra. La mode en fut continuée (2). VI La Vieille et les deux Servantes. Il était une vieille ayant deux chambrières, Decà, delà, vous en aurez : Point de cesse, point de relâche. (1) Et quiva balayant, fait image et peint la chose aux yeux. (2) La mode en fut continuée , est plaisant; il semble qu'on puisse à volonté changer sa nature ou la garder. (3) Les Parques , qui filent les destinées des hommes. (4) Téthys, ou la mer, d'après la mythologie. Phebus, c'està-dire le soleil, se couchait dans la mer. (5) Petits tours à dévider le fil. Allumait une lampe, et courait droit au lit Dormaient les deux pauvres servantes. L'une entr'ouvrait un vil, l'autre étendait un bras; Et toutes deux, très-mal contentes, Disaient entre leurs dents: Maudit coq! tu mourras! Comme elles l'avaient dit, la bète fut grippée : Le réveille-matin eut la gorge coupée. Ce meurtre n'amenda (1) nullement leur marché : Notre couple, au contraire, à peine était couché, Que la vieillé, craignant de laisser passer l'heure, Courait comme un lutin par toute sa demeure. C'est ainsi que, le plus souvent, Quand on pense sortir, d'une mauvaise affaire, On s'enfonce encor plus avant : Témoin ce couple et son salaire. De Charybde en Scylla (2). VIL Le Satyre (3) et le Passant. Au fond d'un antre sauvage Ne rendit pas leur condition meilleure. Charybde est un gouffre situé dans le détroit de Sicile, vis-à-vis d'un écueil appelé Scyllu. Ce vers, devenu proverbe, remopte au XIe siècle. (3) Ces satyres étaient des dieux champêtres; on les représentait sous la forme humaine avec de petites cornes et des pieds de bouc. Ils n'avaient tapis ni housse, L'un refroidit mon potage, Vous pouvez, dit le sauvage, ܕ (1) Inviter, presser. Ce verbe ne s'emploie qu'à l'infinitif, et il a vieilli. — Le substantif semonce signifie reprimande. (2) Ce que fait le passant n'a rien que d'ordinaire ; le satyre fait donc un mauvais raisonnement et un ridicule jeu de mots. La Fontaine aurait dû laisser ce sujet à Esope. |