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Votre goût a servi de règle à mon ouvrage :
J'ai tenté les moyens d'acquérir son suffrage.
Vous voulez qu'on évite un soin trop curieux
Et des vains ornements l'effort ambitieux (2),
Je le veux comme vous: cet effort ne peut plaire.
Un auteur gâte tout quand il veut trop bien faire (3),

(1) Ces initiales signifient : à M. le chevalier de Bouillon; il était de la famille de Turenne.

(2)

Ambitiosa recidet

Ornamenta. (Hor., Art. poét., 447.)

(3) L'esprit qu'on veut avoir gâte celui qu'on a. (Gresset.)

Non qu'il faille bannir certains traits délicats
Vous les aimez, ces traits, et je ne les hais pas.
Quant au principal but qu'Esope se propose,

J'y tombe au moins mal que je puis;
Enfin, si dans ces vers je ne plais et n'instruis,
Il ne tient pas à moi c'est toujours quelque chose.
Comme la force est un point

Dont je ne me pique point,

Je tâche d'y tourner le vice en ridicule,
Ne pouvant l'attaquer avec des bras d'Hercule.
C'est là tout mon talent, je ne sais s'il suffit...
Tantôt je peins en un récit

La sotte vanité jointe avecque l'envie,
Deux pivots sur qui roule aujourd'hui
Tel est ce chétif animal

notre vie.

Qui voulut en grosseur au bœuf se rendre égal.
J'oppose quelquefois, par une double image,
Le vice à la vertu, lá sottise au bon sens,
Les agneaux aux loups ravissants,
La mouche à la fourmi, faisant de cet ouvrage
Une ample comédie à cent actes divers,
Et dont la scène est l'univers.

Hommes, dieux, animaux, tout y fait quelque rôle,
Jupiter comme un autre. Introduisons celui
Qui porte de sa part aux belles la parole:
Ce n'est pas de cela qu'il s'agit aujourd'hui.

Un bûcheron perdit son gagne-pain,
C'est sa cognée; et, la cherchant en vain,
Ce fut pitié là-dessus de l'entendre.
Il n'avait pas des outils à revendre :
Sur celui-ci roulait tout son avoir.
Ne sachant donc où mettre son espoir,
Sa face était de pleurs toute baignée:
O ma cognée! o ma pauvre cognée!
S'écriait-il Jupiter, rends-la-moi;
Je tiendrai l'ètre encore un coup de toi (1).
Sa plainte fut de l'Olympe entendue.
Mercure vient. Elle n'est pas perdue,
Lui dit ce dieu; la connaîtras-tu bien?

(1) Tout ce discours est imité de Rabelais.

Je crois l'avoir près d'ici rencontrée.
Lors une d'or à l'homme étant montrée,
Il répondit: Je n'y demande rien.
Une d'argent succède à la première,
Il la refuse Enfin une de bois.
Voilà, dit-il, la mienne cette fois :
Je suis content si j'ai cette dernière.
Tu les auras, dit le dieu, toutes trois :
Ta bonne foi sera récompensée.
En ce cas-là, je les prendrai, dit-il.
L'histoire en est aussitôt dispersée (1);
Et boquillons (2) de perdre leur outil,
Et de crier pour se le faire rendre.
Le roi des dieux ne sait auquel entendre.
Son fils Mercure aux criards vient encor;
A chacun d'eux il en montre une d'or.
Chacun eût cru passer pour une bète
De ne pas dire aussitôt: La voilà!
Mercure, au lieu de donner celle-là,
Leur en décharge un grand coup sur la tête (3).

Ne point mentir, être content du sien,
C'est le plus sûr; cependant on s'occupe
A dire faux pour attraper du bien.
Que sert cela? Jupiter n'est pas dupe.

(1) Dispersée, locution vicieuse pour répandue.

Boquillons, ce mot s'écrivait autrefois bosquillons. Ce sont les apprentis bûcherons, qui travaillent aux bosquets. (3) Dans Rabelais, Mercure n'agit que d'après l'ordre de Jupiter.

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Le Pot de terre et le Pot de fer.

Le pot de fer proposa
Au pot de terre un voyage.
Celui-ci s'en excusa,

Disant qu'il ferait que sage (1)
De garder le coin du feu :
Car il lui fallait si peu,
Si peu, que la moindre chose
De son débris (2) serait cause:
Il n'en reviendrait morceau.
Pour vous, dit-il, dont la peau (3)
Est plus dure que la mienne,
Je ne vois rien qui vous tienne.
Nous vous mettrons à couvert,
Repartit le pot de fer:

Locution vieillie, pour il ferait sagement.

C'est-à-dire de son brisement, de sa ruine. Il est peu usité en ce sens.

(3) La peau d'un pot de fer! La plaisanterie est de mauvais goût.

Si quelque matière dure
Vous menace d'aventure (1),
Entre deux je passerai,
Et du coup vous sauverai.
Cette offre le persuade.
Pot de fer son camarade
Se met droit à ses côtés.

Mes gens s'en vont à trois pieds
Clopin-clopant comme ils peuvent,
L'un contre l'autre jetés

Au moindre hoquet (2) qu'ils treuvent.

Le pot de terre en souffre; il n'eut pas fait cent pas
Que par son compagnon il fut mis en éclats,
Sans qu'il eût lieu de se plaindre.

Ne nous associons qu'avecque nos égaux:
Ou bien il nous faudra craindre
Le destin d'un de ces pots.

III

Le petit Poisson et le Pêcheur.

Petit poisson deviendra grand,
Pourvu que Dieu lui prête vie;
Mais le lâcher en attendant,

Je tiens pour moi que c'est folie:
Car de le rattraper il n'est pas trop certain.
Un carpeau qui n'était encore que fretin (3)
Fut pris par un pècheur au bord d'une rivière.
Tout fait nombre, dit l'homme en voyant son butin;
Voilà commencement de chère et de festin:
Mettons-le en notre gibecière.
Le pauvre carpillon lui dit en sa manière :

(1) Évideniment de mauvaise aventure.

(2) Choc, secousse. Hoqueter signifiait secouer fortement; il n'a plus ce sens.

(3) Menu poisson.

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