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Éconduire un lion rarement se pratique.
Le voilà donc admis, soulagé, bien reçu,
Et, malgré le héros de Jupiter issu,

Faisant chère et vivant sur la bourse publique.
Ils arrivèrent dans un pré

Tout bordé de ruisseaux, de fleurs tout diapré,
Où maint mouton cherchait sa vie;

Séjour du frais, véritable patrie

Des zéphyrs. Le lion n'y fut pas (1), qu'à ses gens Il se plaignit d'ètre malade.

Continuez votre ambassade,

Dit-il, je sens un feu qui me brule au dedans,
Et veux chercher ici quelque herbe salutaire.
Pour vous, ne perdez point de temps:
Rendez-moi mon argent; j'en puis avoir affaire.
On déballe; et d'abord le lion s'écria,

D'un ton qui témoignait sa joie :
Que de filles, ô dieux! mes pièces de monnoie
Ont produites! Voyez : la plupart sont déjà
Aussi grandes que leurs mères.

Le croît (2) m'en appartient. Il prit tout là-dessus,
Ou bien, s'il ne prit tout, il n'en demeura guères.
Le singe et les sommiers confus,
Sans oser répliquer, en chemin se remirent.
Au fils de Jupiter on dit qu'ils se plaignirent,
Et n'en eurent point de raison.
Qu'eût-il fait? C'eût été lion contre lion,
Et le proverbe dit: Corsaires à corsaires (3)
L'un l'autre s'attaquant, ne font pas leurs affaires (4).

(1) C'est-à-dire y fut à peine.

(2) Vieux mot qui a le sens d'accroissement.

(3) Ces vers sont de Régnier, poëte satirique français antérieur à Boileau. Ils sont passés en proverbe.

(4) Le sujet de cette fable est assez insignifiant, et la Fontaine n'eût rien perdu à le laisser de côté.

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Le Cheval s'étant voulu venger du Cerf.
De tout temps les chevaux ne sont nés pour les hommes (1)
Lorsque le genre humain de glands se contentait,
Ane, cheval, et mule, aux forêts habitait (2):

Et l'on ne voyait point, comme au siècle où nous sommes,
Tant de selles et tant de bâts,

Tant de harnois pour les combats,
Tant de chaises, tant de carrosses,
Comme aussi ne voyait-on pas
Tant de festins et tant de noces.
Or un cheval eut alors différend

Avec un cerf plein de vitesse;

Et, ne pouvant l'attraper en courant,
Il eut recours à l'homme, implora son adresse.
L'homme lui mit un frein, lui sauta sur le dos,
Ne lui donna point de repos

Que le cerf ne fût pris, et n'y laissât la vie.
Et, cela fait, le cheval remercie

(1) C'est-à-dire les chevaux n'ont pas toujours été au service des hommes.

(2) Habit ait pour habitaient est une licence qui va trop loin.

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L'homme son bienfaiteur, disant : Je suis à vous,
Adieu, je m'en retourne en mon séjour sauvage.
Non pas cela, dit l'homme, il fait meilleur chez nous.
Je vois trop quel est votre usage.

Demeurez donc, vous serez bien traité,
Et jusqu'au ventre en la litière.
Hélas! que sert la bonne chère
Quand on n'a pas la liberté?

Le cheval s'aperçut qu'il avait fait folie.
Mais il n'était plus temps; déjà son écurie
Etait prète et toute bâtie.

Il y mourut en y traînant son lien :
Sage, s'il eût remis une légère offense.

Quel que soit le plaisir que cause la vengeance,
C'est l'acheter trop cher que l'acheter d'un bien
Sans qui les autres ne sont rien (1).

XI

Le Renard et le Buste.

Les grands, pour la plupart, sont masques de théâtre:
Leur apparence impose (2) au vulgaire idolâtre.
L'âne n'en sait juger que par ce qu'il en voit;
Le renard, au contraire, à fond les examine,
Les tourne de tout sens; et quand il s'aperçoit
Que leur fait n'est que bonne mine,
Il leur applique un mot qu'un buste de héros
Lui fit dire fort à propos.

C'était un buste creux et plus grand que nature.

(1) Aristote rapporte cette fable comme étant de Stésichore. Horace a traité le même sujet en quelques vers.

(2) Imposer signifie inspirer du respect; en imposer veut dire tromper; cependant on confondait souvent au XVIIe siècle ces deux manières de parler.

Le renard, en louant l'effort de la sculpture : << Belle tète, dit-il; mais de cervelle point.

Combien de grands seigneurs sont bustes en ce point!

XII

Le Loup, la Chèvre et le Chevreau.

La bique, allant remplir sa traînante mamelle
Et paître l'herbe nouvelle,
Ferma sa porte au loquet,
Non sans dire à son biquet:
Gardez-vous, sur votre vie,
D'ouvrir que l'on ne vous die (1)
Pour enseigne et mot du guet (2):
Foin du loup et de sa race!
Comme elle disait ces mots,
Le loup, de fortune (3), passe:
Il les recueille à propos,
Et les garde en sa mémoire.
La bique, comme on peut croire,
N'avait pas vu le glouton.

Dès qu'il la voit partie, il contrefait son ton,
Et d'une voix papelarde (4),

Il demande qu'on ouvre, en disant Foin du loup!

:

Et croyant entrer tout d'un coup.

Le biquet soupçonneux par la fente regarde : Montrez-moi patte blanche, ou je n'ouvrirai point, S'écria-t-il d'abord. Patte blanche est un point, Chez les loups, comme on sait, rarement en usage. Celui-ci, fort surpris d'entendre ce langage,

(1) Die, mot qui a vieilli, pour dise.

(2) Mot d'ordre qui sert à se faire reconnaître.

(3) De fortune, par hasard.

(4) Adjectif de la même racine que le mot papelardie, par lequel on désignait autrefois l'hypocrisie.

Comme il était venu s'en retourna chez soi.
Oû serait le biquet s'il eût ajouté foi

Au mot du guet que, de fortune,
Notre loup avait entendu?

Deux sûretés valent mieux qu'une (1),
Et le trop en cela ne fut jamais perdu.

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Ce loup me remet en mémoire Un de ses compagnons qui fut encor mieux pris: Il y périt. Voici l'histoire :

Un villageois avait à l'écart son logis.

Messer loup attendait chape - chute (2) à la porte: Il avait vu sortir gibier de toute sorte,

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Veaux de lait (3), agneaux et brebis,

Vers devenu proverbe.

Chape-chule, ou chape (riche vêtement ecclésiastique) tombée; les voleurs ramassent lestement ce qui tombe à terre: attendre chape-chute veut dire attendre la rencontre d'un objet précieux pour s'en emparer.» (Gérusez.)

(3) Qui tettent encore.

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