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Et par messieurs les paons plumé d'étrange sorte; Mème vers ses pareils s'étant refugié,

Il fut par eux mis à la porte.

Il est assez de geais à deux pieds comme lui,
Qui se parent souvent des dépouilles d'autrui,
Et que l'on nomme plagiaires.

Je m'en tais, et ne veux leur causer nul ennui (1);
Ce ne sont pas là mes affaires.

VII

Le Chameau et les Bâtons flottants.

Le premier qui vit un chameau
S'enfuit à cet objet nouveau;

Le second s'approcha; le troisième osa faire
Un licou pour le dromadaire (2).

L'accoutumance ainsi nous rend tout familier.
Ce qui nous paraissait terrible et singulier
S'apprivoise avec notre vue (3)

Quand ce vient à la continue (4).

Et puisque nous voici tombés sur ce sujet :
On avait mis des gens au guet,

Qui, voyant sur les eaux de loin certain objet,

(1) Le mot ennui avait au XVIIe siècle une force qu'il n'a plus aujourd'hui; il exprimait l'idée de chagrin, de peine.

(2) Gradation naturelle dans les sentiments et dans l'expres

sion.

(3) C'est la vue qui s'apprivoise avec les objets; mais la poésie se permet sans scrupule ces transpositions qui laissent au sens toute sa clarté. André Chénier a dit de même: Accoutumer la lyre aux doigts; en cela la Fontaine et lui ne font qu'imiter les anciens.

(4) Quand cela se renouvelle sans interruption.

Ne purent s'empêcher de dire
Que c'était un puissant navire.

Quelques moments après, l'objet devint brùlot,
Et puis nacelle, et puis ballot,
Enfin bâtons flottants sur l'onde (1).

J'en sais beaucoup, de par le monde,
A qui ceci conviendrait bien :

De loin c'est quelque chose, et de près ce n'est rien.

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Tel, comme dit Merlin (2), cuide (3) engeigner (4) autrui Qui souvent s'engeigne soi-meme.

J'ai regret que ce mot soit trop vieux aujourd'hui:

(1)« C'est tout le contraire de ce qui arrive réellement, la distance diminuant beaucoup les proportions des choses. Le sens moral est parfaitement vrai; mais le sens propre est absurde.» (Ch. Nodier.)

Enchanteur célèbre dans les romans de chevalerie.

(3) Vieux mot qui signifie croit; de là outrecuidant, qui croit trop de lui-même.

(4) Tromper, du latin ingenum; de là vient aussi engin, piége. V. liv. I, 8.

Il m'a toujours semblé d'une énergie extrême.
Mais afin d'en venir au dessein que j'ai pris :
Un rat plein d'embonpoint, gras, et des mieux nourris,
Et qui ne connaissait l'avent ni le carême (1),
Sur le bord d'un marais égayait ses esprits.
Une grenouille approche, et lui dit en sa langue :
Venez me voir chez moi; je vous ferai festin.
Messire rat promit soudain.

Il n'était pas besoin de plus longue harangue.
Elle allégua pourtant les délices du bain,
La curiosité, les plaisirs du voyage,
Cent raretés à voir le long du marécage:
Un jour il conterait à ses petits-enfants
Les beautés de ces lieux, les mœurs des habitants,
Et le gouvernement de la chose publique
Aquatique.

Un point sans plus tenait le galant empêché :
Il nageait (2) quelque peu, mais il fallait de l'aide.
La grenouille à cela trouve un très-bon remède :
Le rat fut à son pied par la patte attaché;

Un brin de jonc en fit l'affaire.

Dans le marais entre (3), notre bonne commère
S'efforce de tirer son hôte au fond de l'eau,
Contre le droit des gens, contre la foi jurée,
Prétend qu'elle en fera gorge chaude et curée (4).
C'était, à son avis, un excellent morceau.
Déjà, dans son esprit, la galande (5) le croque.
Il atteste les dieux; la perfide s'en moque:

(1) La Fontaine met ici l'avent avec le carême, parce qu'autrefois on jeûnait aussi pendant l'avent.

(2) Il disait qu'il savait un peu nager, etc.

(3) Phrase elliptique qui répond à l'ablatif absolu du latin. Corneille a dit de même :

Lui mort, nous n'avons plus de vengeur ni de maître. (Cinna.) et Racine :

Huit ans déjà passés, une impie étrangère

Du sceptre de David usurpe tous les droits. (Athalie.) (4) Gorge chaude, en terme de fauconnerie, est la viande chaude qu'on donne aux oiseaux de proie, et qu'on prend du gibier qu'ils ont attrapé. — Curée, en terme de vénerie, est la pâture qu'on donne aux chiens de chasse en leur faisant manger de la bête qu'ils ont prise. (Walckenaer.)

(5) C'est-à-dire rusée.

Il résiste, elle tire. En ce combat nouveau,
Un milan qui dans l'air planait, faisait la ronde,
Voit d'en haut le pauvret se débattant sur l'onde.
Il fond dessus, l'enlève, et, par même

La grenouille et le lien.

moyen,

Tout en fut; tant et si bien,
Que de cette double proie
L'oiseau se donne au cœur joie,
Ayant, de cette façon,

A souper chair et poisson.

La ruse la mieux ourdie
Peut nuire à son inventeur;
Et souvent la perfidie
Retourne sur son auteur.

IX

Tribut envoyé par les animaux
à Alexandre (1).

Une fable avait cours parmi l'antiquité (2),
Et la raison ne m'en est pas connue.
Que le lecteur en tire une moralité :
Voici la fable toute nue:

La Renommée ayant dit en cent lieux
Qu'un fils de Jupiter (3), un certain Alexandre,
Ne voulant rien laisser de libre sous les cieux,
Commandait que, sans plus attendre,
Tout peuple à ses pieds s'allât rendre,
Quadrupèdes, humains, éléphants, vermisseaux,
Les républiques des oiseaux;

(1) Alexandre le Grand, roi de Macédoine.

Quoique l'antiquité soit un nom collectif, on ne le construírait plus aujourd'hui avec parmi; cette préposition demande un pluriel.

(3) Alexandre eut la faiblesse de renier Philippe pour son père et de vouloir se faire passer pour fils de Jupiter,

La déesse aux cent bouches, dis-je,
Ayant mis partout la terreur
En publiant l'édit du nouvel empereur,
Les animaux, et toute espèce lige (1)
De son seul appétit, crurent que cette fois
Il fallait subir d'autres lois.

On s'assemble au désert; tous quittent leur tanière. -
Après divers avis, on résout, on conclut
D'envoyer hommage et tribut.

Pour l'hommage et pour la manière,

Le singe en fut chargé l'on lui mit par écrit
Ce que l'on voulait qui fût dit.

Le seul tribut les tint en peine :
Car que donner? Il fallait de l'argent.
On en prit d'un prince obligeant,
Qui, possédant dans son domaine
Des mines d'or, fournit ce qu'on voulut.
Comme il fut question de porter ce tribut,
Le mulet et l'âne s'offrirent,

Assistés du cheval ainsi que du chameau.

Tous quatre en chemin ils se mirent
Avec le singe ambassadeur nouveau.
La caravane enfin rencontre en un passage
Monseigneur le lion cela ne leur plut point.
Nous nous rencontrons tout à point,
Dit-il, et nous voici compagnons de voyage.
J'allais offrir mon fait à part;

Mais, bien qu'il soit léger, tout fardeau m'embarrasse;
Obligez-moi de me faire la grâce (2)
Que d'en porter chacun un quart:
Ce ne vous sera pas une charge trop grande;
Et j'en serai plus libre et bien plus en état (3),
En cas que les voleurs attaquent notre bande,
Et que l'on en vienne au combat.

(1) Lige signifiait, dans le système féodal, un vassal lié (ligatus) envers son seigneur par certaines obligations plus étroites que les autres. Il s'agit ici des animaux que Salluste appelle pecora ventri obedientia.

(2) On ne dit plus obliger que de, mais simplement obliger de. (3) C'est-à-dire en état de vous défendre; mais cette expression. qui veut maintenant un complément, s'employait souvent d'une manière absolue au XVIIe siècle.

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