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Or, une certaine année
Qu'il en était à foison,
Leur roi, nommé Ratapon,
Mit en campagne une armée.
Les belettes, de leur part,
Déployèrent l'étendard.
Si l'on croit la renommée,
La victoire balança:

Plus d'un guéret s'engraissa
Du sang de plus d'une bande (1).
Mais la perte la plus grande
Tomba presque en tous endroits
Sur le peuple souriquois.
Sa déroute fut entière.
Quoi que pût faire Artarpax,
Psicarpax, Méridarpax (2),
Qui, tout couverts de poussière,
Soutinrent assez longtemps
Les efforts des combattants.
Leur résistance fut vaine;
Il fallut céder au sort:
Chacun s'enfuit au plus fort,
Tant soldats que capitaine.
Les princes périrent tous.
La racaille, dans les trous
Trouvant sa retraite prête,
Se sauva sans grand travail;
Mais les seigneurs sur leur tète
Ayant chacun un plumail,
Des cornes ou des aigrettes,
Soit comme marques d'honneur,
Soit afin que les belettes
En conçussent plus de peur,
Cela causa leur malheur.
Trou, ni fente, ni crevasse,

Ne fut large assez pour eux;

(1) Remarquez comme les proportions du sujet s'agrandissent et comme le ton s'élève.

(2) Voleur de pain, voleur de miettes, voleur de morceaux entiers; ces noms sont empruntés à la Batrachomyomachie, où Combat des Grenouilles et des Rats, poëme attribué à Homère.

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Un navire en cet équipage
Non loin d'Athènes fit naufrage.
Sans les dauphins tout eût péri.
Cet animal est fort ami

De notre espèce en son histoire
Pline (1) le dit; il faut le croire.
Il sauva donc tout ce qu'il put.
Même un singe en cette occurrence,
Profitant de la ressemblance,
Lui pensa devoir son salut:
Un dauphin le prit pour un homme,
Et sur son dos le fit asseoir

Si gravement, qu'on eût cru voir
Ce chanteur (2) que tant on renomme.
Le dauphin l'allait mettre à bord,
Quand, par hasard, il lui demande :
Etes-vous d'Athènes la grande?
Oui, dit l'autre, on m'y connaît fort:
S'il vous y survient quelque affaire,
Employez-moi; car mes parents
Y tiennent tous les premiers rangs :
Un mien cousin est juge-maire.
Le dauphin dit: Bien grand merci;
Et le Pirée (3) a part aussi
A l'honneur de votre présence?
Vous le voyez souvent, je pense ?
Tous les jours: il est mon ami;
C'est une vieille connaissance.
Notre magot prit, pour ce coup,
Le nom d'un port pour un nom d'homme.

De telles gens il est beaucoup

-

Qui prendraient Vaugirard (4) pour Rome,

(1) Pline, surnommé l'Ancien, écrivain latin, auteur d'une histoire naturelle. Le passage auquel la Fontaine fait allusion se trouve livre IX, ch. vII.

(2) Arion. Dans une traversée les matelots voulant le tuer, il se jeta à la mer pour échapper à leur fureur; un dauphin que ses chants avaient attiré le reçut sur son dos et le porta jusqu'au rivage.

(3) Port d'Athènes.

Village voisin de Paris.

Et qui, caquetant au plus dru,
Parlent de tout, et n'ont rien vu.

Le dauphin rit, tourne la tête,
Et, le magot considéré,
Il s'aperçoit qu'il n'a tiré

Du fond des eaux rien qu'une bête.
Il l'y replonge, et va trouver
Quelque homme, afin de le sauver.

V

L'Homme et l'Idole de bois.

Certain païen chez lui gardait un dieu de bois,
De ces dieux qui sont sourds, bien qu'ayant des oreilles (1).
Le païen cependant s'en promettait merveilles.
Il lui coûtait autant que trois :

Ce n'était (2) que vœux et qu'offrandes,
Sacrifices de bœufs couronnés de guirlandes.
Jamais idole, quel qu'il fût (3),
N'avait eu cuisine si grasse:

Sans que, pour tout ce culte, à son hôte il échût
Succession, trésor, gain au jeu, nulle grâce.
Bien plus, si pour un sou d'orage (4) en quelque endroit
S'amassait d'une ou d'autre sorte,

L'homme en avait sa part; et sa bourse en souffrait :
La pitance du dieu n'en était pas moins forte.
A la fin, se fâchant de n'en obtenir rien,

Il vous prend un levier, met en pièces l'idole,

(1) Souvenir du psaume CXIII: Aures habent, et non audient.

« Ils ont des oreilles, et n'entendent pas. »

(2) Pour: Ce n'étaient. Boileau dit:

Ce ne sont que festons, ce ne sont qu'astragales.

(3) Idole est maintenant du féminin.

C'est-à-dire le moindre orage. Cette expression est

familière et presque triviale.

Le trouve rempli d'or. Quand je t'ai fait du bien,
M'as-tu valu, dit-il, seulement une obole?
Va, sors de mon logis, cherche d'autres autels.
Tu ressembles aux naturels

Malheureux, grossiers et stupides.

On n'en peut rien tirer qu'avecque le bâton.
Plus je te remplissais, plus mes mains étaient vides.
J'ai bien fait de changer de ton (1).

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Uu paon muait un geai prit son plumage,
Puis après se l'accommoda;

Puis parmi d'autres paons tout fier se panada,
Croyant être un beau personnage.

Quelqu'un le reconnut: il se vit bafoué,
Berné, sifflé, moqué, joué,

(1)« Que conclure de cela? qu'il faut battre ceux qui sont d'un naturel stupide? Cela n'est pas vrai, et cette méthode ne produit rien de bon. » (Chamfort.) - - Du reste cette fable est plus que médiocre.

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