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S'écria-t-il de loin au général des chats;
Je soupçonne dessous encor quelque machine.,
Rien ne te sert d'être farine;

Car, quand tu serais sac, je n'approcherals pas.
C'était bien dit à lui, j'approuve sa prudence;
Il était expérimenté,

Et savait que la méfiance
Est mère de la sûreté (1).

(1)« Cette fable est charmante d'un bout à l'autre, pour le naturel, la gaieté, et surtout pour la vérité des tableaux.» (Chamfort.)

FIN DU LIVRE TROISIÈME

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Du rapport d'un troupeau, dont il vivait sans soins,
Se contenta longtemps un voisin d'Amphitrite (1):
Si sa fortune était petite,

Elle était sûre tout au moins.

A la fin, les trésors déchargés sur la plage
Le tentèrent si bien, qu'il vendit son troupeau,
Trafiqua de l'argent (2), le mit entier sur l'eau.
Cet argent périt par naufrage.

Son maître fut réduit à garder les brebis,
Non plus berger en chef, comme il était jadis,

(1) Femme de Neptune et déesse de la mer. Ce mot est pris ici pour la mer même.

(2) Acheta des marchandises avec l'argent qu'il en retira, et mit toute sa fortune dans le commerce maritime.

FABLES.

LIVRE IV

117

Quand ses propres moutons paissaient sur le rivage: Celui qui s'était vu Corydon ou Tircis

Fut Pierrot, et rien davantage.

Au bout de quelque temps il fit quelques profits, Racheta des bêtes à laine:

Et comme un jour les vents, retenant leur haleine,
Laissaient paisiblement aborder les vaisseaux :
Vous voulez de l'argent, ô mesdames les Eaux (1),
Dit-il, adressez-vous, je vous prie, à quelque autre :
Ma foi! vous n'aurez pas le nôtre.

Ceci n'est pas un conte à plaisir inventé.
Je me sers de la vérité

Pour montrer, par expérience,
Qu'un sou, quand il est assuré,
Vaut mieux que cinq en espérance;

Qu'il faut se contenter de sa condition;
Qu'aux conseils de la mer et de l'ambition (2)
Nous devons fermer les oreilles.

Pour un qui s'en louera, dix mille s'en plaindront ;
La mer promet monts et merveilles:

Fiez-vous-y: les vents et les voleurs viendront.

(1) Cette personnification si hardie n'en est pas moins trèsnaturelle.

(2) Expression très-noble et rapprochement très-heureux qui réveille dans l'esprit du lecteur l'idée du naufrage pour le marin et pour l'ambitieux. >> (Chamfort.)

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Ne forçons point notre talent,
Nous ne ferions rien avec grace (1)
Jamais un lourdaud, quoi qu'il fasse,
Ne saurait passer pour galant (2).

Peu de gens, que le Ciel chérit et gratifie (3),
Ont le don d'agréer infus (4) avec la vie.

C'est un point qu'il leur faut laisser,
Et ne pas ressembler à l'âne de la fable,
Qui, pour se rendre plus aimable
Et plus cher à son maître, alla le caresser.

(1) C'est la pensée d'Horace :

Tu nihil invita dices faciesve Minerva.

Aimable.

(3) Imitation de Virgile :

Jupiter.

Pauci quos æquus amavit

(Art. poét., v. 385.)

(Enéid., VI, 129.)

(4) Ce mot est peu usité au masculin; mais on dit très-bien, avoir la science infuse. Infus signifie mis en nous par la nature sans aucun travail de notre part.

Comment, disait-il en son âme,
Ce chien, parce qu'il est mignon,
Vivra de pair à compagnon
Avec monsieur, avec madame;
Et j'aurai des coups de bâton!
Que fait-il? Il donne la patte;
Puis aussitôt il est baisé :

S'il en faut faire autant afin que l'on me flatte,
Cela n'est pas bien malaisé.

Dans cette admirable pensée,

Voyant son maître en joie, il s'en vient lourdement,
Lève une corne tout usée,

La lui porte au menton fort amoureusement.
Non sans accompagner, pour plus grand ornement,
De son chant gracieux cette action hardie.
Oh! oh! quelle caresse et quelle mélodie!
Dit le maître aussitôt. Holà, Martin-bâton (1)!
Martin-bâton accourt: l'âne change de ton.
Ainsi finit la comédie.

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Le Combat des Rats et des Belettes.

La nation des belettes,

Non plus que celle des chats,
Ne veut aucun bien aux rats;
Et sans les portes étrètes (2)
De leurs habitations,

L'animal à longue échine (3)
En ferait, je m'imagine,
De grandes destructions.

(1) Dénomination burlesque que la Fontaine doit à Rabelais; elle désigne le valet d'écurie armé d'un bâton pour corriger l'âne.

(2) Ancienne orthographe, pour étroites.

La belette.

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