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Les emportent aux dents, dans les bois se retirent. Ils avaient averti leurs gens secrètement.

Les chiens, qui, sur leur foi, reposaient sûrement,
Furent étranglés en dormant :

Cela fut sitôt fait qu'à peine ils le sentirent.
Tout fut mis en morceaux, un seul (1) n'en échappa.

Nous pouvons conclure de là

Qu'il faut faire aux méchants guerre continuelle.
La paix est fort bonne de soi,
J'en conviens: mais de quoi sert-elle
Avec des ennemis sans foi?

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Le lion, terreur des forêts,

Chargé d'ans et pleurant son antique prouesse (2),
Fut enfin attaqué par ses propres sujets,
Devenus forts par sa faiblesse.

Un seul, pour pas un seul, qui serait plus correct,
Valenr. Au pluriel il signifie exploits.

Le cheval, s'approchant, lui donne un coup de pied;
Le loup, un coup de dent; le bœuf, un coup de corne.
Le malheureux lion, languissant, triste, morne,
Peut à peine rugir, par l'âge estropié.

Il attend son destin sans faire aucunes plaintes;
Quand voyant l'àne même à son antre accourir :
Ah! c'est trop, lui dit-il; je voulais bien mourir,
Mais c'est mourir deux fois que souffrir tes atteintes (1).

XV

Philomèle et Progné.

Autrefois Progné (2) l'hirondelle
De sa demeure s'écarta,

Et loin des villes s'emporta

Dans un bois où chantait la pauvre Philomèle.
Ma sœur, lui dit Progné, comment vous portez-vous?
Voici tantôt mille ans que l'on ne vous a vue;
Je ne me souviens point que vous soyez venue,
Depuis le temps de Thrace (3), habiter parmi nous.
Dites-moi, que pensez-vous faire?
Ne quitterez-vous point ce séjour solitaire?
Ah! reprit Philomèle, en est-il de plus doux?
Progné lui repartit: Eh quoi! cette musique,
Pour ne chanter qu'aux animaux,

Tout au plus à quelque rustique (4)!
Le désert est-il fait pour des talents si beaux?

(1) Phèdre va jusqu'au coup de pied de l'âne. La Fontaine, avec un art délicat, s'arrête auparavant.

(2) Femme de Térée, roi de Thrace. Ce prince ayant outragé Philomèle, sœur de Progné, celles-ci s'en vengèrent en tuant le fils de Térée, et en le lui donnant à manger. Philomèle fut changée en rossignol, et Progné en hirondelle.

(3) C'est-à-dire depuis le temps que vous étiez en Thrace. (4) C'est-à-dire paysan, comme dans la fable le Rat de ville et le Rat des champs.

Venez faire éclater aux cités vos merveilles.
Aussi bien, en voyant les bois,

Sans cesse il vous souvient que Térée autrefois,
Parmi des demeures pareilles,

Exerça sa fureur sur vos divins appas.
Et c'est le souvenir d'un si cruel outrage
Qui fait, reprit sa sœur, que je ne vous suis pas.
En voyant les hommes, hélas !
Il m'en souvient bien davantage.

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Damoiselle belette, au corps long et fluet (1),
Entra dans un grenier par un trou fort étroit:
Elle sortait de maladie (2).
Là, vivant à discrétion,

La galande (3) fit chère lie (4),

Mangea, rongea : Dieu sait la vie

Et le lard qui périt en cette occasion!

On écrivait flouet, ce qui rimait avec étroit.
Cette circonstance explique sa maigreur.

(3) On dirait aujourd'hui galante.

(4) C'est-à-dire bonne chère,joyeuse chère, de lætus,joyeux.

La voilà, pour conclusion,
Grasse, mafflue (1) et rebondie.

Au bout de la semaine, ayant diné son saoûl,
Elle entend quelque bruit, veut sortir par le trou,
Ne peut plus repasser, et croit s'être méprise.
Après avoir fait quelques tours,

C'est, dit-elle, l'endroit; me voilà bien surprise :
J'ai passé par ici depuis cinq ou six jours.
Un rat qui la voyait en peine

Lui dit: Vous aviez lors la panse un peu moins pleine.
Vous êtes maigre entrée, il faut maigre sortir (2).
Ce que je vous dis là, l'on le dit à bien d'autres;
Mais ne confondons point, par trop approfondir (3),
Leurs affaires avec les vôtres.

XVII

Le Chat et le vieux Rat.

J'ai lu chez un conteur de fables
Qu'un second Rodilard, l'Alexandre des chats,
L'Attila (4), le fléau des rats,

Rendait ces derniers misérables:
J'ai lu, dis-je, en certain auteur,
Que ce chat exterminateur,

Vrai Cerbère (5), était craint une lieue à la ronde.
Il voulait de souris dépeupler tout le monde.
Les planches qu'on suspend sur un léger appui,

(1) Mot inusité maintenant. Il signifie bouffie.
(2) La Fontaine traduit ici Horace :

Macra cavum repetes arctum quem macra subisti.
(Liv. I, Ep. 7, v. 29.)
C'est-à-dire en voulant trop approfondir.

Roi des Huns. Il se nommait lui-même le fléau de Dieu, c'est-à-dire le fléau dont Dieu se servait pour châtier les nations; mais ici fléau veut dire exterminateur, destructeur. (5) Dans la Fable. Cerbère est un chien à trois têtes, qui garde l'entrée des enfers.

La mort aux rats, les souricières,
N'étaient que jeux au prix de lui.
Comme il voit que dans leurs tanières
Les souris étaient prisonnières,

Qu'elles n'osaient sortir, qu'il avait beau chercher,
Le galant (1) fait le mort, et du haut d'un plancher
Se pend la tête en bas : la bête scélérate

A de certains cordons se tenait par la patte.
Le peuple des souris croit que c'est châtiment,
Qu'il a fait un larcin de rôt ou de fromage,
Egratigné quelqu'un, causé quelque dommage;
Enfin qu'on a pendu le mauvais garnement.
Toutes, dis-je, unanimement,
Se promettent de rire à son enterrement,
Mettent le nez à l'air, montrent un peu

la tête,

Puis rentrent dans leurs nids à rats,
Puis ressortant font quatre pas,
Puis enfin se mettent en quète.
Mais voici bien une autre fête :

Le pendu ressuscite, et, sur ses pieds tombant,
Attrape les plus paresseuses.

Nous en savons plus d'un, dit-il en les gobant.
C'est tour de vieille guerré, et vos cavernes creuses
Ne vous sauveront pas, je vous en avertis :
Vous viendrez toutes au logis.

Il prophétisait vrai: notre maître Mitis (2)
Pour la seconde fois les trompe et les affine (3),
Blanchit sa robe et s'enfarine,

Et, de la sorte déguisé,

Se niche et se blottit dans une huche ouverte.
Ce fut à lui bien avisé;

La gent trotte-menu s'en vient chercher sa perte.
Un rat, sans plus, s'abstient d'aller flairer autour:
C'était un vieux routier, il savait plus d'un tour :
Même il avait perdu sa queue à là bataille.
Ce bloc enfariné ne me dit rien qui vaille,

Galant signifie ici habile en sa profession.

Mot latin qui signifie doux. La Fontaine en fait un surnom du chat, et il lui convient parfaitement à cause de son hypocrisie.

(3) Affiner, tromper par finesse.

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