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Autre toile tissue, autre coup de balai.
Le pauvre bestion (1) tous les jours déménage.
Enfin, après un vain essai,

Il va trouver la goutte. Elle était en campagne,
Plus malheureuse mille fois

Que la plus malheureuse aragne.

Son hôte la menait tantôt fendre du bois,
Tantôt fouir, houer (2): goutte bien tracassée
Est, dit-on, à demi pansée.

Oh! je ne saurais plus, dit-elle, y résister.
Changeons, ma sœur l'aragne. Ét l'autre d'écouter:
Elle la prend au mot, se glisse en la cabane :
Point de coup de balai qui l'oblige à changer.
La goutte, d'autre part, va tout droit se loger
Chez un prélat qu'elle condamne

A jamais du lit ne bouger.

Cataplasmes, Dieu sait! les gens n'ont point de honte
De faire aller le mal toujours de pis en pis.
L'une et l'autre trouva de la sorte son compte,
Et fit très-sagement de changer de logis.

(1) Diminutif de bête; le mot italien il bestione, dont il est dérivé, est, au contraire, un augmentatif.

(2) Remuer la terre avec la houe.

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Les loups mangent gloutonnement.
Un loup donc étant de frairie (1)
Se pressa, dit-on, tellement,
Qu'il en pensa perdre la vie :

Un os lui demeura bien avant au gosier.
De bonheur pour ce loup, qui ne pouvait crier,
Près de là passe une cigogne.

Il lui fait signe; elle accourt.
Voilà l'opératrice aussitôt en besogne.
Elle retira l'os, puis, pour un si bon tour,
Elle demanda son salaire.

Votre salaire! dit le loup.

Vous riez, ma bonne commère?
Quoi! ce n'est pas encor beaucoup

D'avoir de mon gosier retiré votre cou!
Allez, vous êtes une ingrate (2):

Ne tombez jamais sous ma patte.

(1) C'est-à-dire de fête, d'une réunion de plaisir, où l'on faisait bonne chère.

(2)« Mot d'une grande vérité dans la bouche d'un méchant, qui se croit assez acquitté envers ses bienfaiteurs uand il ne our fait pas de mal.» (Ch. Nodier.)

X

Le Lion abattu par l'Homme.

On exposait une peinture
Où l'artisan (1) avait tracé
Un lion d'immense stature

Par un seul homme terrassé.
Les regardants en tiraient gloire.

Un lion en passant rabattit leur caquet.
Je vois bien, dit-il, qu'en effet
On vous donne ici la victoire :
Mais l'ouvrier vous a déçus;
Il avait liberté de feindre:

Avec plus de raison nous aurions le dessus,
Si mes confrères savaient peindre.

ΧΙ

Le Renard et les Raisins.

Certain renard gascon, d'autres disent normand (2), Mourant presque de faim, vit au haut d'une treille Des raisins mûrs apparemment (3),

Et couverts d'une peau vermeille. Le galant en eût fait volontiers un repas;

Mais comme il n'y pouvait atteindre : Ils sont trop verts (4), dit-il, et bons pour des goujats (5). Fit-il pas mieux que de se plaindre?

(1) On dirait aujourd'hui l'artiste ; artisan n'a plus que le sens d'ouvrier.

(2) Naïveté pleine de finesse et de malice, qui fait entendre que les Normands et les Gascons se valent.

C'est-à-dire qui paraissaient mûrs.
Mot devenu proverbe.

Valet d'armée.

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Dans une ménagerie
De volatiles remplie

Vivaient le cygne et l'oison:

Celui-là destiné pour les regards du maître;
Celui-ci pour son goût: l'un qui se piquait d'ètre
Commensal du jardin (1); l'autre, de la maison.
Des fossés du château faisant leurs galeries (2),
Tantôt on les eût vus côte à côte nager,

Tantôt courir sur l'onde, et tantôt se plonger
Sans pouvoir satisfaire à leurs vaines envies.
Un jour le cuisinier, ayant trop bu d'un coup,
Prit pour oison le cygne, et, le tenant au cou,
Il allait l'égorger, puis le mettre en potage.
L'oiseau, près de mourir (3), se plaint en son ramage.
Le cuisinier fut fort surpris,

Et vit bien qu'il s'était mépris.

Quoi! je mettrais, dit-il, un tel chanteur en soupe!

(1) Habitant ordinaire du jardin, où il mangeait. (2) Leurs galeries, c'est-à-dire leurs promenades! (3) C'est-à-dire préparé à mourir.

Non,non,ne plaise aux dieux que jamais ma maincoupe La gorge à qui s'en sert si bien!

Ainsi, dans les dangers qui nous suivent en croupe (1), Le doux parler ne nuit de rien.

XIII

Les Loups et les Brebis.

Après mille ans et plus de guerre déclarée
Les loups firent la paix avecque (2) les brebis.
C'était apparemment (3) le bien des deux partis
Car si les loups mangeaient mainte bête égarée,
Les bergers de leur peau se faisaient maints habits.
Jamais de liberté, ni pour les pâturages,

Ni d'autre part pour les carnages (4) ;
Ils ne pouvaient jouir qu'en tremblant de leurs biens.
La paix se conclut donc : on donne des otages;
Les loups, leurs louveteaux; et les brebis, leurs chiens.
L'échangé en étant fait aux formes (5) ordinaires,
Et réglé par des commissaires,

Au bout de quelque temps que messieurs les louvats (6)
Se virent loups parfaits et friands de tuerie,
Ils vous (7) prennent le temps que dans la bergerie
Messieurs les bergers n'étaient pas,
Étranglent la moitié des agneaux les plus gras,

(1) Imitation d'Horace :

Post equitem sedet atra cura (liv. III, ode 1, v. 40),

que Boileau traduit heureusement :

Le chagrin monte en croupe et galope avec lui. (Ep. 5.)
Licence poétique, pour avec.

Même sens que dans le Renard et les Raisins.

Ce mot ne s'emploie au pluriel qu'en poésie.
Pour dans les formes

Vieux mot, pour louveteaux.

Vous est ici explétif, comme moi dans ce vers de Boileau :
Prends-moi le bon parti, laisse là tous les livres.

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