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Il y a lieu de signaler aussi quelques cas d'analogie dans les mots à flexion qui comportent un déplacement d'accent, comme il travaille, qui se prononce d'ordinaire avec un a accentué antérieur, au lieu de postérieur, sous l'influence de nous travaillons, travailler.

Il ne faut pas oublier que chez beaucoup de sujets tout a long est postérieur et tout a antérieur est bref. Chez ceux-là l'a des mots en -ar comme part est postérieur, celui des mots en -age comme étage est bref, celui des mots en -ase comme base est postérieur, mais celui des mots en -oise comme bourgeoise est bref et antérieur, celui des mots en -aille comme canaille est d'ordinaire long et postérieur, mais il est bref et antérieur dans quelques mots comme bataille, paille. Toutes ces prononciations, dues à des influences dialectales, sont à éviter.

Il y a aussi un flottement très considérable dans la prononciation des mots qui contiennent le groupe -wa-. Chez certains l'a y est toujours antérieur et bref, même après r, même dans poêle. Chez d'autres -rwa- n'a un a postérieur que lorsqu'il est final :

frwà « froid, mais frwád « froide », crwà « croit », mais crwár «< croire », crwà « croix », mais crwáz « croise drwà « droit », mais drwát « droite », frwás « froisse », parwás « paroisse », Bavarwáz << Bavaroise », mirwár « miroir », terwár « terroir », tirwár « tiroir ». C'est essentiellement le résultat de la lutte entre le groupe -rwa- qui demande à et l'influence de la consonne finale, en particulier r, qui demande au contraire á. Enfin chez certains il s'est établi une différence de timbre, surtout sémantique, entre homonymes :

du bois (bwà) et tu bois (bwá), poêle (pwal) et poil (pwál), mois (mwà) et moi (mwá), soie (swà) et soi (swá), voie (vwà) et voix (vwá), foi (fwa) et fois (fwá), toit (twà) et toi (twá), etc.

Ces variations sont en somme de très peu d'importance, mais il est bon de les signaler, afin d'éviter les surprises.

L'A INACCENTUÉ

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L'a INACCENTUÉ

L'a inaccentué est normalement antérieur et bref; c'est le même que l'á clair de syllabe accentuée, mais articulé avec une tension notablement moindre des muscles :

Paris, carafe, cabale, tabac, cravate, agrafe, charité, chapitre, papier, charpie, artilleur, marmite, artichaud, oiseau, poisson, poison, toison, tournoyer, casserole, étaler, accident, bataillon, partir, tarder, marcher, darder, farder, hennir (únir), rouennerie (rwánri), indemnité, solennel, prudemment.

Mais il est postérieur et bref dans les mots en -ation, qui sont tous des mots savants :

nation, exploration, obstination, consécration, gradation, obser vation.

Dans la prononciation populaire cet a est postérieur et long.

Il est postérieur et bref dans quelques mots plus ou moins isolés, comme :

baron, maçon, bazar, carrosse, carré, carotte, brasier, jadis, haillon, graillon, poulailler, blason, gazon, mais diapason.

Sont postérieurs et un peu longs tous les a inaccentués représentant un ancien as-, et écrits généralement á. C'est une survivance phonétique, comme dans le cas de la finale -aille, qui a un a postérieur tandis que celui de -ail est antérieur :

pâté, pâtisserie, ânier, mâter, tâcher, fâché, râler, bâté, plâtré, râcler, blâmer, pâmer, bâtir, bâton, château, pâquerette, tâter, etc., et aussi patir dont l'a n'a jamais été -as-.

Enfin on garde par analogie l'a postérieur, mais un

peu plus bref et avec les muscles un peu plus lâchés, dans les syllabes inaccentuées de :

accabler, flaner, lasser, envaser, phraser, damner, ensabler, tasser, passer, endiablé, rablé, caser, tailleur, raser, écraser, repasser, gagner, enflammer,

et d'une manière générale dans les verbes qui ont un a postérieur et long lorsqu'il est accentué. On n'en saurait dresser une liste complète, car il s'agit ici d'une analogie flexionnelle ou morphologique, qui n'a pas abouti à un résultat fixé une fois pour toutes, mais qui se reproduit continuellement tantôt dans un sens, tantôt dans l'autre, et qui par suite donne toujours lieu à un certain flottement.

Le défaut le plus ordinaire des Allemands pour notre a sombre et postérieur, c'est qu'ils le confondent avec leur a habituel, qu'ils produisent sans aucune tension des muscles de la langue ou des lèvres et sans arrondir l'ouverture labiale.

Les Anglais ont une tendance à remplacer cet a par un o très ouvert (celui de paw), parce qu'ils retirent trop la langue des dents et arrondissent trop l'ouverture buccale.

Pour l'a antérieur et clair les Allemands le remplacent soit par leur a ordinaire, soit par un e ouvert prononcé sans tension musculaire.

Les Anglais le confondent presque toujours avec leur a le plus voisin de é, qui diffère notablement de cet a français. Ils le prononcent en retirant la langue des incisives inférieures et en la relevant un peu vers la partie antérieure du palais dur, et les lèvres appliquées contre les dents.

Les Russes substituent d'ordinaire à nos deux a accentués un a prononcé sans tension musculaire.

Pour corriger tous ces défauts, le point essentiel est d'amener les sujets à exercer une très légère pression

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PRONONCIATIONS ÉTRANGÈRES

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de la pointe de la langue contre les alvéoles des incisives inférieures.

Les Slaves ont une tendance à mettre toujours un a long et postérieur dans oi (wa), qu'il soit accentué ou non loi, droite, boîte, cloître, poisson, moisson, foison. Cette prononciation se trouve dialectalement en France, par exemple dans l'Ardèche.

Pour l'a inaccentué, antérieur et bref, les Russes, qui ont coutume de mal timbrer toutes les voyelles inaccentuées, font d'ordinaire entendre une sorte d'è ouvert très bref: académie devient èkèdmi.

LECTURES

Le parricide.

Un jour, Kanut, à l'heure où l'assoupissement
Ferme partout les yeux sous l'obscur firmament,
Ayant pour seul témoin la nuit, l'aveugle immense,
Vit son père Swéno, vieillard presque en démence,
Qui dormait, sans un garde à ses pieds, sans un chien ;
Il le tua, disant : Lui-même n'en sait rien.

Puis il fut un grand roi.

Toujours vainqueur, sa vie
Par la prospérité fidèle fut suivie;

Il fut plus triomphant que la gerbe des blés;
Quand il passait devant les vieillards assemblés,
Sa présence éclairait ces sévères visages;
Par la chaîne des mœurs pures et des lois sages
A son cher Danemark natal il enchaîna
Vingt îles, Fionie, Arnhout, Folster, Mona;
Il batit un grand trône en pierres féodales;
Il vainquit les Saxons, les Pictes, les Vandales,
Le Celte, et le Borusse, et le Slave aux abois,
Et les peuples hagards qui hurlent dans les bois;
Il abolit l'horreur idolâtre, et la rune,

Et le menhir féroce où le soir, à la brune,
Le chat sauvage vient frotter son dos hideux;
Il disait en parlant du grand César : Nous deux;
Une lueur sortait de son cimier polaire;
Les monstres expiraient partout sous sa colère;
Il fut, pendant vingt ans qu'on l'entendit marcher,

Le cavalier superbe et le puissant archer;
L'hydre morte, il mettait le pied sur la portée;
Sa vie, en même temps bénie et redoutée,
Dans la bouche du peuple était un fier récit;
Rien que dans un hiver, ce chasseur détruisit
Trois dragons en Ecosse et deux rois en Scanie:
Il fut héros, il fut géant, il fut génie;

Le sort de tout un monde au sien semblait lié;
Quant à son parricide, il l'avait oublié.

11 mourut. On le mit dans un cercueil de pierre,
Et l'évêque d'Aarhus vint dire une prière
Et chanter sur sa tombe un hymne, déclarant
Que Kanut était saint, que Kanut était grand,
Qu'un céleste parfum sortait de sa mémoire,
Et qu'ils le voyaient, eux, les prêtres, dans la gloire,
Assis comme un prophète à la droite de Dieu.
(V. HUGO, Le parricide.)

Un baptême en Bretagne.

La cérémonie fut fixée au deux janvier. Depuis huit jours la terre était couverte de neige, d'un immense tapis livide et dur qui paraissait illimité sur ce pays plat et bas. La mer semblait noire, au loin derrière la plaine blanche; et on la voyait s'agiter, hausser son dos, rouler ses vagues, comme si elle eût voulu se jeter sur sa pále voisine, qui avait l'air d'être morte, elle si calme, si morne, si froide.

A neuf heures du matin, le père Kérandec arriva devant ma porte avec sa belle-sœur, la grande Kermagan, et la garde qui portait l'enfant roulé dans une couverture.

Et nous voilà partis vers l'église. Il faisait un froid à fendre les dolmens, un de ces froids déchirants qui cassent la peau et font souffrir horriblement de leur brùlure de glace. Moi je pensais au pauvre petit être qu'on portait devant nous, et je me disais que cette race bretonne était de fer, vraiment, pour que ses enfants fussent capables, dès leur naissance, de supporter de pareilles promenades. Nous arrivâmes devant l'église, mais la porte en demeurait fermée. M. le curé était en retard.

Alors la garde, s'étant assise sur une des bornes, près du seuil, se mit à dévêtir l'enfant. Je crus d'abord qu'il avait mouillé ses linges, mais je vis qu'on le mettait nu, tout nu, le misérable, tout nu, dans l'air gelé. Je m'avançai, révolté d'une telle imprudence.

Mais vous êtes folle! Vous allez le tuer.

La femme répondit placidement : « Oh non, m'sieu nɔt'maître, faut 'il attende l'bon Dieu tout nu »>.

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