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que les conservateurs les demandent et que les opposants les acceptent. Non, non, va! c'est bien ici que se font, défont et surfont les réputations, les situations et les élections, où, sous couleur de littérature et beaux-arts, les malins font leur affaire : c'est ici la p(e)tite porte des ministères, l'antichambre des académies, le laboratoire du succès.

Jeanne. Paul. Ce monde-là, mon enfant, c'est un hôtel de Rambouillet en dix-huit cent quatre-vingt-un : un monde où l'on cause et où l'on pose, où le pédantisme tient lieu de science, la sentimentalité de sentiment, et la préciosité de délicatesse; où l'on ne dit jamais ce que l'on pense, et où l'on ne pense jamais ce que l'on dit; où l'assiduité est une politique, l'amitié un calcul, et la galanterie même un moyen; le monde où l'on avale sa canne dans l'antichambre et sa langue dans le salon, le monde sérieux, enfin !

Miséricorde! Qu'est-ce que ce monde-là?

Jeanne. Mais c'est le monde où l'on s'ennuie, cela.

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Jeanne. Mais si l'on s'y ennuie, quelle influence peut-il avoir? Paul. Quelle influence!.. candeur! candeur! quelle influence, l'ennui? Ah! ma chère enfant ! Mais il n'y a que deux sortes de gens au monde ceux qui ne savent pas1 s'ennuyer et qui ne sont rien, et ceux qui savent s'ennuyer et qui sont tout... après ceux qui savent ennuyer les autres!

Jeanne. Et voilà où tu m'amènes, misérable!

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Paul. - Veux-tu être préfèle, oui ou non?

Jeanne. Oh! d'abord je ne pourrai jamais...

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Paul. Laisse donc! ce n'est que huit jours à passer.

Jeanne. Huit jours, sans parler, sans rire, sans t'embrasser. Paul. Devant le monde; mais quand nous serons seuls... et puis dans les coins... tais-toi donc !... ce sera charmant, au contraire : je te donnerai des rendez-vous... au jardin... partout... comme avant notre mariage...

(PAILLERON, Le Monde où l'on s'ennuie.)

dent, tous ceux qui viennent après le prennent sur leur initiale, même vocalique, et alors, si cette initiale vocalique est précédée d'une consonne de liaison, cette consonne prend part à l'accentuation supplémentaire et fournit l'allongement consonantique.

1. «Savent pas » forme une unité.

Le mouvement musical de la phrase;

les intonations.

La phrase française ordinaire se compose toujours de deux parties, dont la première est montante et la seconde descendante. La chose est particulièrement claire dans les phrases qui n'ont que deux éléments rythmiques :

Un octogénaire plantoit.
C'était à Bologne1.

Le mouvement musical de pareilles phrases peut être représenté très convenablement par deux lignes obliques, comme ceci :

Mais le plus souvent la phrase est plus longue, et chacune de ses parties peut contenir un nombre quelconque de groupes rythmiques. Les vers alexandrins

1. Il n'y a pas intérêt à s'occuper dans ce chapitre des phrases qui comprennent un seul élément rythmique, comme « allez-vous-en, je chantais ». Mais on peut noter en passant qu'elles présentent au fond le même phénomène, c'est-à-dire qu'elles commencent par monter et finissent en descendant. Même dans des phrases monosyllabiques comme paix ! le commencement et la fin sont plus bas que le milieu. Tous les exemples en vers cités dans ce chapitre sont empruntés à Rolla d'Alfred de Musset, sauf le premier, qui est de La Fontaine; tous les exemples en prose sont tirés du Pinceau du Titien, cité à la page 126.

va »,

du type classique, lorsqu'ils expriment un sens complet, ont généralement un premier hémistiche montant et un deuxième descendant; chaque partie est alors constituée par deux groupes rythmiques :

Je suis venu | trop tard || dans un monde trop vieux.

On peut trouver en prose la même égalité des deux membres :

Un grand bruit d'hommes | et de chevaux || avait succédé | au silence.

On peut la trouver avec un nombre illimité de groupes rythmiques dans chacune des deux parties; dans la phrase de Bossuet qui est citée à la p. 164, chacune des deux parties contient neuf groupes rythmiques.

Mais l'inégalité des deux parties est fréquente. Dans le passage suivant, le dernier hémistiche seul constitue la partie descendante, alors que la partie montante occupe quatre vers:

De tous les débauchés de la ville du monde
Où le libertinage est à meilleur marché,
De la plus vieille en vice et de la plus féconde,
Je veux dire Paris, le plus grand débauché ||
Etait Jacques Rolla.

Dans cet autre exemple le premier hémistiche seul est montant; les trois vers et demi qui suivent, si variés qu'ils soient, ne contiennent que la partie descendante:

Regrettez-vous le temps || où les Nymphes lascives
Ondoyaient au soleil parmi les fleurs des eaux,

Et d'un éclat de rire agaçaient sur les rives
Les Faunes indolents couchés dans les roseaux?

Où finit la partie montante? où commence la partie descendante? La partie montante est celle qui annonce quelque chose et suscite une attente; la partie descen

LES DEUX PARTIES DE LA PHRASE

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dante est celle qui satisfait l'attente et conclut la phrase. Lorsqu'on dit :

C'était à Bologne,

«< c'était » annonce quelque chose, en l'espèce une localisation; c'est la partie montante. « A Bologne » fournit la localisation attendue; c'est la partie descendante. Si l'on dit :

C'était à Bologne, et mon père était vieux,

« c'était à Bologne » constitue une localisation dans laquelle doit se placer quelque chose; c'est la partie montante. Le reste est la partie descendante. Si l'on dit:

C'était à Bologne, et mon père était vieux, et il peignait encore,

les deux circonstances de lieu et d'âge constituent la partie montante; l'action placée dans ces circonstances: << et il peignait encore », est la partie descendante. Si l'on dit enfin :

C'était à Bologne, et mon père était vieux, et il peignait encore, lorsque Charles-Quint arriva,

la partie descendante n'est composée que de l'énonciation de l'événement « lorsque Charles-Quint arriva », qui se produisit au milieu des trois circonstances relatées précédemment.

Quelques exemples empruntés au texte même d'Alfred de Musset ne seront pas moins instructifs :

On avait vu Paul III;

si la phrase finit là, « Paul III » est la partie descendante répondant à l'attente suscitée par « on avait vu ».

On avait vu Paul III et Charles-Quint;

le complément est double, mais la séparation des deux membres reste à la même place.

On avait vu Paul III et Charles-Quint causer ensemble;

<< Paul III et Charles-Quint » rentre dans la partie montante, et la note aiguë de « Quint » fait attendre quelque chose de plus au sujet de ces deux personnages; c'est <«< causer ensemble » la partie descendante.

On avait vu Paul III et Charles-Quint causer ensemble sur une terrasse;

« sur une terrasse » ajoute une circonstance à l'action exprimée dans la partie descendante, mais ne déplace pas la séparation des deux membres.

On avait vu Paul III et Charles-Quint causer ensemble sur une terrasse, et pendant leur entretien la ville entière se taisait.

Ici la partie montante finit avec « terrasse »; elle n'est tout entière que l'exposition détaillée de l'événement qui fait attendre quelque chose; le membre de phrase qui suit peut avoir des hauts et des bas, mais il est tout entier la partie descendante, et il ne peut pas avoir une seule note aussi haute que celle de l'a de « terrasse »; c'est la conclusion de la phrase, qui pourrait être énoncée, avec moins de précision, en un seul groupe rythmique « et on se taisait ».

Les habitants regardaient passer avec curiosité et avec terreur les moindres officiers des deux cours;

c'est après « terreur » qu'a lieu la séparation; « avec curiosité et avec terreur » sont en effet deux circonstances qui déterminent les mots essentiels de la première partie « regardaient passer », et n'ont rien à voir avec la partie complétive.

Mon père travaillait à un grand tableau, et il était au haut de l'é

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