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L'HIATUS DANS LES VERS

On n'élide pas non plus dans les mêmes conditions:

le | héros, le | huit et le | onze, le | oui et le non, la | ouate.

135

On a vu plus haut que le nombre des e caducs que l'on prononce augmente à mesure que le ton se ralentit ou s'élève, jusqu'à ce que l'on arrive aux vers, dans l'intérieur desquels ils se prononcent tous. Il en est à peu près de même en ce qui concerne les liaisons. Elles se multiplient à mesure que la prononciation devient moins familière, et en vers on fait toutes celles qui sont possibles, non seulement dans l'intérieur d'un groupe rythmique, mais même d'un groupe au suivant, même par-dessus une coupure grammaticale. L'hiatus est interdit en principe dans l'intérieur des vers, on l'y tolère pourtant dans certains cas :

quand le premier des deux mots en contact se termine par une voyelle nasale qui ne peut plus se lier aujourd'hui :

Narcisse, c'en est fait : Néron | est amoureux;

quand le second mot commence par un h dit aspiré :

Faire honte à ces rois que le travail étonne;

quand le premier mot se termine par un e caduc immédiatement précédé d'une autre voyelle

Il y va de ma vi(e) et je ne puis rien dire.

Dans les autres cas, quand la prononciation pleine de la consonne serait choquante, on s'efforce au moins de laisser entendre une consonne réduite (voir p. 137, note).

L'HIATUS

Donc, lorsque deux voyelles se rencontrent d'un mot au suivant, on déclare qu'il y a hiatus. Mais il faut bien

prendre garde que les phénomènes que l'on désigne par ce mot dans les diverses langues actuellement vivantes sont en fait très différents. Quand on dit en français : J'ai été, on prononce deux fois de suite la même voyelle é sans aucune interruption; la glotte ne cesse pas de vibrer, la voix ne cesse pas de se faire entendre; c'est en somme une voyelle prolongée, avec un fléchissement de la voix vers le milieu qui fait sentir qu'il y a deux parties; tels deux sommets d'une même montagne séparés par un léger affaissement du sol. Dans le même cas un Allemand, et même un Russe, ferait une véritable cassure entre les deux voyelles; il arrêterait net le premier é et reprendrait le second par un coup de glotte; il y aurait interruption de la voix entre les deux.

A la vérité, en français il y a toujours liaison; seulement, dans un cas comme celui-ci, la liaison n'est plus consonantique, elle est vocalique. La plupart de ces liaisons vocaliques comportent une modulation de timbre et de hauteur qui les rend infiniment douces et agréables:

Celle soirée a eu un succès fou,

(é-á-ü-œ). C'est ce qui explique que les liaisons consonantiques soient en voie de disparition et qu'il n'en résulte aucun inconvénient ni aucune difficulté de prononciation.

Il y a telle phrase qui peut exiger de la part du sujet parlant une certaine virtuosité, comme la suivante qui a été fabriquée tout exprès pour servir d'exemple :

Papa a à aller) à Arles.

Les 4 a consécutifs de -pa a à a- forment une ondulation avec trois fléchissements, mais sans arrêt ni reprise de la voix. Le cas de -le(r) à Ar- est plus simple. Ce sont d'ailleurs des rencontres fort rares et que l'on évite presque toujours.

LES LIAISONS ET L'HIATUS

137

Dans les deux passages suivants on a mis en italique les consonnes qui se prononcent pleinement de la fin d'un mot sur le commencement du suivant et les voyelles qui se lient l'une à l'autre, entre parenthèses les consonnes ou voyelles finales qui ne se prononcent pas, en petits caractères les consonnes réduites.

LECTURES

Jésus va chez Lazare.

En ce temps-là, Jésu(s) z était dans la Judée';

Il avait délivré la femme possédée,

Rendu l'ouï(e) aux sour(ds) et guéri les lépreux 2;
Les prêtres l'épiaien(t) 1 et parlaient ba(s) = entre eux.
Com(me) il s'en retournait vers la ville bénie,
Lazar (e), homme de bien, mourut à Béthanie.
Mar/h(e) et Mari(e) étaient ses sœurs; Mari(e), un jour,
Pour laver les pieds nus du maître plein d'amour,
Avait été chercher son parfum le plus rare.

Or, Jésu(s) aimait Marth(e) et Mari(e) et Lazare.
Quelqu'un lui dit : Lazar(e) est mort. Le lendemain,
Comme le peupl(e) était venu sur son chemin,
Il expliquait la loi, les livres, les symboles,
Et, com(me) Eli(e) et Job, parlait par paraboles.

Il disait : - Qui me sui(t), t aux ≈ ange(s) z est pareil.
Quan(d) t un n hom(me) a marché tout le jour au soleil
Dan(s) z un chemin sans pui(ts) ≈ et san(s)≈ hôtellerie,
S'il ne croit pas, quand vient le soir, il pleur(e), il crie;
Il est las; sur la ter(re) il tombe (h)aletant.

S'il croit en moi, qu'il pri(e), il peut au mèm(c) instant
Continuer sa rout(e) avec des forces triples.

Pui(s) il s'interrompi(t), tet dit à ses disciples:

- Lazare, notr(e) ami, dort; je vais l'éveiller.

Eux dirent: Nou(s) z irons, maîtr(e), où tu veu(x) z aller.

Or, de Jérusalem, où Salomon mit l'arche,

Pour gagner Béthani(e), il faut trois jours de marche.

Jésus partit. Durant cette route souvent,

Tandis qu'il marchait seul et pensif en n avant,

1. En prose on prononce toujours Jésu(s); en vers la prononciation pleine de l's final soit comme s soit comme serait choquante; mais un 3 réduit fait une liaison agréable.

2. On peut dire aussi « aux sour(ds) ≈ et guéri».

Son vêtement parut blanc comme la lumière.

Quand Jésu(s) z arriva, Marthe vint la première,
Et, tombant à ses pieds, s'écria tout d'abord :

Si nous t'avion(s) z eu, maîtr(e), il ne serait pas mort. Puis reprit en pleurant :

Mai(s)

Tu viens trop tard. Jésus lui dit :

il a rendu l'âme.
Qu'en sais-tu, femme?

Le moissonneur est seul maître de la moisson.
Mari(e) était resté(e) assis(e) à la maison.

(V. HUGO, Légende des siècles.)

Un Persan à Paris.

Le(s) habitants de Paris sont d'une curiosité qui va jusqu'à l'extravagance. Lorsque j'arrivai, je fus regardé comme si j'avai(s) ≈ été envoyé du ciel : vieillar(ds), hommes, femm(es), enfants, tous voulaient me voir. Si je sortais, tout le monde se mettai(t) aux fenêtres; si j'étai(s) aux Tuileries, je voyai(s) aussitó(t) un cercle se forme(r) autour de moi; les femmes même faisaien(t) un n arc-en-ciel nuancé de mille couleurs qui m'entourait. Si j'étai(s) aux spectacles, je trouvais d'abord cent lorgnettes dressées contre ma figur(e); enfin, jamai(s) z homme n'a tan(t) été vu que moi. Je souriais quelquefois d'entendre des gens qui n'étaient presque jamais sortis de leur chambre, qui disaien(t) entr(e) eux : « Il faut avouer qu'il a l'air bien persan. » Chos(e) admirable! je trouvais de mes portraits partout; je me voyais multiplié dans toutes les boutiques, sur toutes les cheminées, tant on craignait de ne m'avoir pa(s) z assez vu.

Tant d'honneurs ne laissent pas d'êtr(e) à charge : je ne me croyais pa(s) un n homme si curieu(x) et si rare; et, quoique j'aie très bon(ne) opinion de moi, je ne me serais jamai(s) imaginé que je dusse troubler le repos d'une grande vil(le) où je n'étais point connu. Cela me fit résoudr(e) à quitter l'habit persan e(t) à en n endosse(r) un à l'européenne, pour voir s'il resterai(t) encore dans ma physionomie quelque chose d'admirable. Cet essai me fit connaître ce que je valais réellement; libre de tous le(s) z ornemen(ts) étrangers, je me vi(s) apprécié au plus juste. J'eus sujet de me plaindre de mon tailleur, qui m'avait fait perdr(e) en n un n instant l'attention l'estime publiques; car j'entrai tout à coup dan(s) z un néan(t) affreux. Je demeurais quelquefoi(s) un(e) heure dan(s) une compagnie sans qu'on m'eût regardé et qu'on m'eût mi(s) en n occasion d'ouvrir la bouche; mais si quelqu'un, par hasar(d), apprenai(t) à la compagnie que j'étais Persan, j'entendai(s) aussitô(l) autour de moi un bourdonnemen(t) : « Ah! ah! monsieu(r) est Persan! C'est une chose bien n extraordinaire! Comment peut-on étre Persan? »

(MONTESQUIEU, Lettres persanes, XXX.)

L'accent d'insistance.

Si l'on énonce simplement, normalement et sans intention particulière, le jugement suivant :

C'est épouvantable, cet accident,

la prononciation la plus ordinaire du mot « épouvantable » est caractérisée par les traits suivants :

1° les trois syllabes épouvan- sont inaccentuées et la syllabe -table est accentuée et rythmique;

2o la hauteur des deux premières syllabes est exactement ou à peu près la même (avec une différence qui ne peut guère dépasser un demi-ton); mais celle de la troisième monte d'une tierce ou d'une quarte plus haut que celle de la seconde, et celle de la quatrième monte encore d'une tierce ou d'une quarte au-dessus de celle de la troisième. Si bien que la quatrième, la rythmique, est au minimum plus élevée d'une quinte que la deuxième;

3o l'intensité, qui pourrait rester la même sur les trois premières syllabes, pour augmenter seulement sur la rythmique, va le plus souvent croissant d'une syllabe à l'autre, de telle sorte que la quatrième soit deux ou trois fois plus intense que la troisième, trois ou quatre fois plus que la deuxième, quatre ou cinq fois plus que la première;

4o Les durées des trois premières voyelles sont des durées de brèves, plus ou moins égales; celle de la quatrième est une durée de longue, c'est-à-dire au moins

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