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ET GROUPES RYTHMIQUES

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La nuance est souvent fort délicate. Les exemples suivants, en apportant des cas variés, dispenseront de plus amples commentaires. On y a mis un trait vertical après chaque groupe rythmique, afin d'en faciliter l'étude; la syllabe qui précède un trait vertical est toujours accentuée.

LECTURES

Booz | ne savait point | qu'une femme était là, |

Et Ruth | ne savait point | ce que Dieu | voulait d'ell(e). |
Un frais parfum | sortait des tou | ffes d'asphodèl(e); |
Les souffles de la nuit | flotiaient | sur Galgala. |
L'ombre était nuptia | le, augus | te et solennell(e); |
Les anges y volaient | sans dou | te obscurément, |
Car on voyait passer | dans la nuit, | par moment, |
Quelque chose de bleu | qui paraissai | t une ail(e). |
La respiration de Booz | qui dormait, |

Se mêlait au bruit sourd | des ruisseaux | sur la mouss(e). I
On était dans le moi | s où la nature est douc(e), |
Les collines ayant | des lys | sur leur sommet. |

Ruth songeai | t et Booz | dormait; | l'herbe était noir(e);' |
Les grelots des troupeaux | palpitaient | vaguement; |
Une immense bonté | tombait | du firmament; |
C'était l'heure tranquille où les lions | vont boir(e). |

Tout reposait dans Ur | et dans Jérimadeth;|

Les as tres émaillaient | le ciel | profond et sombr(e);' |
Le croissant | fin et clair parmi ces fleurs | de l'ombr(e)1 |
Brillai | t à l'occiden | t, et Ruth | se demandait, |

Immobile, ouvrant l'œ | il à moitié | sous ses voil(es), |
Quel dieu, quel moissonneur | de l'éterne | 1 été |
Avai | t, en s'en allant, | négligemment | jeté |

Cette faucille d'or | dans le champ | des étoil(es). |

(V. HUGO, Booz endormi).

1. En prose un accent d'intensité sur Ruth et sur l'herbe serait de rigueur. En vers on a le droit ou même le devoir d'atténuer et quelquefois de supprimer certains accents, afin de ne pas multiplier les groupes rythmiques, et de ne pas modifier, quand le sens ne l'exige pas, le mouvement rythmique indiqué par les vers voisins. Ici le vers traînerait trop et serait trop long. Le vers est un moule, assez rigide, dans lequel la phrase doit se modeler sans le faire éclater.

Le pinceau du Titien.

C'était à Bologne. | Il y avait eu | une entrevue | entre le pape et l'empereur; | il s'agissait | du duché de Florence, ou, pour mieux dire, du sort | de l'Italie | . On avait vu | Paul III | et Charles-Quint | causer ensemble' | sur une terrasse, et pendant leur entretien | la ville entière3 | se taisait | . Au bout d'une heure' | tout était décidé ; un grand bruit d'hommes | et de chevaux | avait succédé | au silence | . On ignorait | ce qui allait arriver7 |, et on s'agitait pour le savoir; mais le plus profond mystère3 | avait été ordonné ; les habitants | regardaient passer | avec curiosité | et avec terreur | les moindres officiers 10 des deux cours; on parlait | d'un démembrement | de l'Italie, d'exils | et de principautés | nouvelles.Mon père | travaillait | à un grand tableau [, et il était | au haut de l'échelle qui lui servait | à peindre |, lorsque des hallebardiers |, leur pique à la main |, ouvrirent la porte" | et se rangèrent | contre le mur. Un page | entra | et cria | à haute voix : « César! Quelques minules après 12, l'empereur | parut |, roide | dans son pourpoint, et souriant | dans sa barbe rousse |. Mon père |, surpris et charmé | de cette visite | inattendue |, descendait aussi vite qu'il pouvait 13 de son échelle ; il était vieux"; en s'appuyant | à

1. « Causer ensemble » est une idée simple (= s'entretenir).

2. « Et pendant leur entretien »; pendant est un proclitique inaccentué. 3. « La ville entière », idée simple.

4. « Au bout d'une heure », idée simple.

5. «Tout était décidé », idée simple, à peu près équivalente en somme à ils avaient fini; tout peut prendre un accent d'insistance (cf. p. 139), mais non un accent rythmique.

6. « Un grand bruit d'hommes », désaccentuation de bruit.

7. « Ce qui allait arriver » est un simple futur, dans le passé, de arriver. 8. «Mais le plus profond mystère », idée simple (= le secret).

9. «Regardaient passer » signifie regardaient quelque chose qui se déplaçait; c'est une idée aussi simple que regardaient tout court. Si l'on dit « regardaient passer », en deux groupes, on fait entendre que les spectateurs ne sont pas intéressés par les officiers, mais uniquement par leur mouvement; c'est un contresens.

10. « Les moindres officiers », c'est une catégorie d'officiers; moindres peut recevoir un accent d'insistance (cf. p. 139).

11. Ouvrirent la porte » est ici une idée simple, qui équivaut à entrèrent; ailleurs ces mots pourraient exprimer deux idées et constituer deux groupes. 12. " Quelques minutes après », simple désignation de temps, comme un peu plus tard.

= très vile,

13. « Aussi vite qu'il pouvait », idée simple, 14. « Il était vieux », verbe copule inaccentué.

= vite.

ET GROUPES RYTHMIQUES

127 la rampe |, il laissa tomber1 | son pinceau [. Tout le monde | restait immobile, car la présence de l'empereur | nous avait changés | en statues. Mon père | était confus | de sa lenteur | et de sa maladresse, mais il craignait |, en se hâtant |, de se blesser |; CharlesQuint | fit quelques pas en avant 3 |, se courba | lentement | et ramassa | le pinceau | . « Le Titien |, dit-il | d'une voix claire* | et impérieuse, le Titien | mérite bien | d'être servi | par César. avec une majesté | vraiment | sans égale, il rendit | le pinceau | à mon père, qui mit un genou en terre | pour le recevoir | . (A. DE MUSSET, le Fils du Titien).

idée simple, = il lâcha.

1. « Il laissa tomber »>,
2. «Restait immobile », idée simple, = ne bougeait pas.
3. « Fit quelques pas en avant », idée simple,

= = s'avança.

4. « D'une voix claire », désaccentuation de voix.

| Et

5. « Mérite bien », idée simple au fond, et au besoin désaccentuation. 6. «Qui mit un genou en terre »>, idée simple,

= qui s'agenouilla.

Les liaisons et l'hiatus.

Quand, dans une même phrase, deux mots se suivent, dont le second commence par une voyelle alors que le premier finit par une consonne qui ne se prononce pas dans toutes les positions, on dit qu'il y a liaison si la consonne se prononce, hiatus si elle ne se prononce pas.

Quand la consonne se prononce en toute position, on ne dit pas qu'il y a liaison, mais il y a lieu de noter pourtant que la consonne, sans se modifier autrement, change de syllabe et tombe sur la voyelle qui suit :

un os à moelle, un lis immaculé, un rébus inextricable, un fils inconnu, un bloc énorme, un cognac exquis, avec elle, le sud-est, une dot appréciable, une cuiller a pot, tous ont entendu.

Dans les liaisons proprement dites, le même changement de syllabe se produit, mais en outre les occlusives sonores g et d deviennent sourdes (c et t), et les spirantes sourdes s et f deviennent d'ordinaire sonores (z et v):

le sang humain (=sâ kümẽ)
un grand homme (= grã tòm)
les hommes (= lé zòm)

dix-neuf ans (= diz nờ vâ).

La difficulté est de savoir dans quels cas il faut lier et dans lesquels on doit s'en abstenir. La règle générale est fort simple: on lie dans l'intérieur d'un groupe rythmique, on ne lie pas d'un groupe rythmique au suivant,

en d'autres termes on lie d'une syllabe inaccentuée

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