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Accent d'intensité, groupes sémantiques

et groupes rythmiques.

La phrase française est composée d'un certain nombre de mots ou de groupes de mots. Chacun de ces mots ou groupes de mots porte sur sa dernière syllabe un accent d'intensité, c'est-à-dire que cette dernière syllabe est dite avec plus de force que les autres. C'est le retour à intervalles plus ou moins réguliers de ces syllabes accentuées qui constitue le rythme de la phrase.

Comment peut-on reconnaître ces groupes et les délimiter, savoir où ils commencent et où ils finissent?

1° Toute suite de mots qui exprime une idée simple et unique constitue un seul groupe rythmique et n'a d'accent que sur sa dernière syllabe. Un moyen assez pratique de constater qu'une telle suite de mots est bien une unité de sens, est fournie par la possibilité de remplacer cette suite de mots par un seul mot, soit dans la langue même quand le vocabulaire s'y prête, soit dans une autre langue.

Soit la phrase:

Il y avait une fois une vieille femme qui disait la bonne aventure.

Elle contient cinq groupes : 1° « Il y avait », qui indique simplement l'existence dans le passé, et pourrait se traduire en latin par erat; 2o « une fois » localise cette existence dans le temps; en latin quondam; on pourrait mettre en français même autrefois, qui donnerait une signification analogue en un seul mot grammatical; si

au lieu de cela on disait en mil huit cent quatre-vingtseize, il y aurait sept mois au lieu d'un, mais ces sept mots constitueraient pourtant un groupe unique, et seule la syllabe finale seize serait accentuée; 3° « une vieille femme » exprime aussi une idée simple; en latin anus; une femme vieille constituerait deux groupes et se traduirait en latin par deux mots, mulier uetus; vieille femme désigne une catégorie particulière d'êtres humains, comme enfant, homme, jeune fille, petit garçon; femme vieille indique qu'il s'agit d'un individu du genre femme qui possède une qualité particulière; 4° « qui disait » pourrait être remplacé en français même par disant; 5° <«< la bonne aventure » pourrait être remplacé en français par l'avenir et être traduit en latin par ventura.

L'accent n'appartient donc pas au mot, mais au groupe, et un mot donné le porte ou ne le porte pas, selon la place qu'il occupe dans le groupe et le rôle qu'il y joue:

« Un lieutenant » est accentué sur nant; « un lieutenant-colonel » est accentué sur nel et n'a pas d'accent sur nant; ces deux locutions désignent toutes deux un grade, et expriment toutes deux une idée parfaitement simple.

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Dans la phrase: « Les petits enfants qui vont à l'école ne deviendront pas tous des savants », qui vont à l'école ne fait qu'un groupe, à peu près équivalent de qui étudient, et où l'idée d'aller n'apparaît pas; vont n'y est guère qu'un outil grammatical. Mais dans celle-ci : «Les enfants qui vont à l'école, à la promenade, à la matinée, au Jardin des Plantes, peuvent apprendre et

GROUPES SÉMANTIQUES:

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voir beaucoup de choses utiles », les deux mots qui vont forment un groupe à part, parce que l'idée d'aller est sensible et domine divers déterminatifs.

2o La réciproque n'est pas vraie, c'est-à-dire que deux idées distinctes peuvent constituer un groupe unique. Il y a en français un certain nombre de petits mots, prépositions, conjonctions, pronoms, adverbes, que les grammairiens appellent enclitiques ou proclitiques, qui par nature sont toujours inaccentués; ils peuvent pourtant, soit seuls, soit à plusieurs, exprimer une idée, mais non constituer un groupe rythmique. Lorsqu'on dit:

Ce que vous ne savez pas,

il n'y a qu'un groupe rythmique, et qu'un accent, sur pas. Pourtant ce que équivaut à la chose que, et dans la chose que vous ne savez pas il y aurait un accent sur chose comme sur pas. En latin on pourrait traduire quod nescis, c'est-à-dire employer deux mots. Mais ce ne peut pas prendre d'accent, et même sa voyelle ne se prononce pas en prose. Que, dont l'e se prononce obligatoirement, ne peut pas non plus prendre d'accent.

Les mots de ce genre font toujours groupe avec ceux qui suivent, jamais avec ceux qui précèdent :

Donnez-moi de ce que vous avez;

de même dans les vers, où tous les e se prononcent : Qu'est-ce que le Seigneur | va donner | à cet homme ?

Dans les interrogations un monosyllabe inaccentué final fait groupe avec ce qui précède, mais alors il n'a pas de voyelle :

Où vais-j(e)? — Qu'est-c(e)?

Un mot qui s'intercale dans un groupe formant une

unité sémantique, pour y ajouter une nuance, n'est pas accentué d'ordinaire, bien qu'il ne soit pas inaccentué par nature:

Il a chanté, - il a bien chanté,

il a parfaitement chanté.

Il reçoit souvent alors un accent d'insistance, mais c'est tout autre chose, comme on le verra plus loin, p. 139. 3o Enfin il faut tenir compte du phénomène de désaccentuation un monosyllabe final, et par suite accentué, ne tolère ordinairement pas immédiatement devant lui une autre syllabe accentuée :

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Un homm(e) bienveillant, un homme aimable, un homm(e) bon.

Si donc une syllabe reste accentuée devant un monosyllabe qui l'est aussi, c'est qu'il y a deux groupes. Ce phénomène n'arrive guère qu'avec un monosyllabe adjectif ou adverbe que l'on veut mettre en relief; dans ce cas on l'isole en le séparant du mot qui précède par une très légère pause. « Il parlait bien » veut dire il faisait l'action de bien parler, ce qui est une idée simple; « il parlait bien » veut dire il faisait l'action de parler, et il la faisait bien; ce sont deux idées distinctes dont la seconde vient déterminer la première. Il en est de même dans « une femme vieille » dont il a été question plus haut.

Si l'on dit : « Il a connu la misère noire, » cela indique que l'on distingue plusieurs catégories de misères; quelle catégorie de misère a-t-il connue? Ce n'est pas la demi-misère, par exemple, c'est la misère noire. Si l'on dit : « Il a connu la misèr(e) noire, » cela ne signifie plus quelle catégorie de misère il a connue, mais sous quel aspect il a connu la misère; il ne l'a pas connue riante, si toutefois il en est de ce caractère, il l'a connue noire.

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