L'E caduc. Les changements les plus nombreux et les plus importants qui apparaissent dans la forme des syllabes et des mots sont déterminés par le traitement de l'e inaccentué (c). On l'appelle d'ordinaire e muet, mais cette qualification ne convient qu'aux cas où il ne se prononce pas. Il est nommé ici caduc, c'est-à-dire susceptible de tomber. Lorsqu'il tombe, il n'est pas diminué et réduit, mais supprimé complètement; lorsqu'il subsiste, sa prononciation est aussi pleine que celle de n'importe quelle voyelle inaccentuée. Il est commode, pour étudier le sort de cette voyelle inaccentuée, de prendre pour point de départ l'orthographe usuelle, car, sauf dans le parler populaire (un arque d(e) triomphe) et dans les dialectes, on ne prononce que des à qui s'écrivent. La règle générale est qu'il se prononce seulement lorsqu'il est nécessaire pour éviter la rencontre de trois consonnes. C'est la loi des trois consonnes. Son maintien ou sa chute dépend essentiellement de ce qui précède. 1° Quand il n'est séparé de la voyelle qui précède que par une seule consonne, il tombe toujours : la p(e)tite. la f(e)melle. on n(e) veut pas. Quand il est séparé de la voyelle qui précède par deux consonnes, il se prononce toujours: Naturellement il ne s'agit ici que des consonnes qui se prononcent; soleil se termine par un y, part se termine par une seule consonne, r. D'autre part un e qui est tombé parce qu'il n'était précédé que d'une seule consonne ne compte pas plus que s'il n'avait jamais existé : un(e) petite. on n(e) te croira pas. un(e) fenêtre. il tomb(e) de temps en temps. La règle vaut indéfiniment; une fois qu'elle a maintenu un premier e, il a la même valeur que n'importe quelle autre voyelle et il apparaît d'autres e après lui de deux en deux consonnes : ell(e) ne m(e) donne plus rien mais vous n(e) le d(e)venez pas, vous l'êtes. Ces règles sont absolues quand il s'agit des consonnes occlusives et de l'intérieur de la phrase. L'initiale, la finale, constituent des conditions particulières; les sonantes, surtout r, les spirantes, surtout s, donnent lieu à des traitements spéciaux. C'est pourtant en vertu de cette règle qu'après un groupe composé de consonner Te subsiste toujours: SYLLABE INITIALE 107 INITIALE Au commencement de la phrase, la détermination du premier e dépend essentiellement de la nature des con sonnes. 1° Il n'y a qu'un e : α. Quand la première consonne est une continue, l'e tombe parce quelle a suffisamment de son par elle même : j(e) n'en sais rien. j(e) caresse mon chat. n(e) faites pas de scandale. n(e) vois-tu rien? v(e)nez nous voir. r(e)mettez-vous. l(e)vez-vous. j(e) m'en vais. j(e) donne aux pauvres. j(e) fais la sieste. c(e) tableau vaut cher. c(e) beurre est rance. n(e) l'oublie pas. n(e) peux-tu pas le dire ? 1(e) meilleur moyen. r(e)tirez-vous. j(e)tez les dés. Si la consonne qui précède et celle qui suit l'e sont la même continue, l'e peut apparaître entre les deux pour les besoins de la clarté : B.Quand la première consonne est une momentanée, comme elle ne peut pas être étoffée, l'e se prononce: que dites-vous ? que notez-vous ? te trouves-tu bien? de près, c'est laid. que pensez-vous? que m'importe? te faut-il quelque chose? debout! Pourtant si la deuxième consonne est une continue, l'e peut disparaître : qu(e) voulez-vous qu'on y fasse? 2o Il y a deux e ou davantage : α. Quand la première consonne est une continue et deuxième aussi, l'e se prononce entre les deux : B. je ne sais pas. je l(e) vois tous les jours. je n(e) te l(e) dis pas. je n(e) peux pas. je n(e) finirai jamais. ne m(e) tourmentez pas. je n(e) me r(e)buterai pas. Quand la première consonne est une continue et la deuxième une momentanée, l'e n'apparaît qu'après cette dernière : GROUPES FIGÉS 109 GROUPES FIGÉS ET FORMES ANALOGIQUES Toutes les lois phonétiques sont traversées par des phénomènes d'analogie. Ici l'analogie consiste en ce qu'un groupe de deux syllabes consécutives contenant chacune un e caduc est transporté avec la forme qu'il obtient régulièrement dans la majorité des cas, à des positions où l'application stricte de la règle demanderait une autre forme. Ces groupes se sont en quelque sorte figés; l'e n'y est plus mobile ou plus guère mobile. Ainsi on vient de voir à l'initiale les groupes : je n(e), je m(e), je l(e), pour lesquels une forme avec l'e en seconde syllabe n'est pas normale. Si l'on songe que leur premier monosyllabe est le mot je, que sa signification appelle presque toujours à commencer la phrase, et qui, même dans l'intérieur d'une phrase, commence d'ordinaire une proposition nouvelle et occupe par là une position analogue à celle de l'initiale véritable, on comprendra aisément que ces groupes aient eu une tendance à devenir des sortes d'unités à forme fixe. 1o Le groupe « je n(e) », qui est de beaucoup le plus usité de tous, est totalement figé. Une forme « j(e) ne » n'est pas française. C'est même à l'emploi de cette dernière que l'on reconnaît les Français provenant de l'est de la France quand ils ne décèlent pas leur origine par d'autres particularités : Si je l'avais su je n(e) te l'aurais pas demandé. 2o Les groupes « je l(e) » et « je m(e) » sont beaucoup moins solides. La forme figée est la plus fréquente, mais l'autre, quand elle résulte de l'application directe de la règle générale, n'a rien d'insolite : Si je l(e) pouvais, je l(e) ferais volontiers. |