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La syllabe et le mot.

Pratiquement et selon le sentiment commun, toute syllabe contient une voyelle et n'en contient qu'une. Toute consonne unique qui précède cette voyelle appartient à la même syllabe: répéter. Toute consonne finale de phrase appartient à la même syllabe que la voyelle qui précède: il faut agir; il est honnét(e). Toute consonne intervocalique, ou devenue intervocalique dans la phrase, appartient à la même syllabe que la voyelle' qui suit Je compte agir en | [n]honnête homm(e)\. Il résulte de là que la séparation des syllabes est absolument indépendante de la séparation grammaticale des mots. Les groupes de consonnes dont la seconde est une sonante appartiennent tout entiers à la même syllabe que la voyelle suivante : comprimer, votre argent, le bien, la loi (lwa), nous |t(e)nons. Les autres groupes sont séparés par la coupe des syllabes: argent, observer, aspirer, je n(e) | sais pas, ell(e) | te l(e) | demande; un s entre deux consonnes est communément rattaché à la même syllabe que la première s'abstenir, lorsque parc(e) que.

Il n'y a pas de diphtongues en français; quand deux voyelles sont en contact et restent voyelles toutes deux, elles comptent pour deux syllabes:

rouet, souhait (sue; on dit aussi swè et swa), Noël (ancienn. nwal), poète, hair, Saɣül, bahut, ouvri\er.

Mais le plus souvent la première des deux voyelles est devenue consonne (y, w ou w):

rien (rye), loi (lwa), puis (pii), ambition (âbisyõ), ruine (rüin).

En ancien français l'i après un ou un l et devant voyelle était voyelle ou consonne (yod) selon l'étymologie; on disait un poirier, un ouvrier, un pilier, un sanglier avec un yod, mais marier, vous liez, avec un i; aujourd'hui l'étymologie n'est plus en jeu, et l'on prononce yod ou i selon qu'il y a une voyelle ou une consonne devant r ou l. On continue donc à dire avec un yod poirier, pilier, mais on dit avec i : ouvrier, sanglier; on dit avec yod: marier, vous liez, mais avec i : vous pliez; avec yod : la liaison est mauvaise, mais avec i: une mauvais(e) liaison; avec yod: nous voulions, mais avec i nous racliĵons.

En vers la prononciation et le compte des syllabes sont archaïques. Les règles en sont assez complexes, et ce n'est pas le lieu de les exposer ici; on les trouvera dans les traités de versification. Tandis que la prose ne fait pas de différence entre nous passions et les passions, les vers mettent un yod dans le premier (pasyō) et un dans le second (pasio); ils mettent un ü dans ruine (rain), un i dans harmonieux (en prose armony).

i

Les mots sont des unités logiques, des unités grammaticales, mais non pas des unités phonétiques. Quelqu'un qui ne sait pas où commencent et où finissent les mots français ne pourrait jamais le deviner en entendant parler. Quand on s'arrête, c'est après un mot, parce qu'avec ce mot l'idée, ou une parcelle de l'idée, est terminée, mais le plus souvent aucun fait matériel ne marque la fin ou le commencement des mots. D'ordinaire les mots se disent par groupes, par séries, sans aucun arrêt, et si étroitement unis l'un à l'autre qu'il n'est pas rare qu'une syllabe soit constituée par la fin d'un mot et le commencement d'un autre.

Les lettres écrites par des personnes sans instruction présentent des coupures et des soudures inattendues: <«< Giait vu la drese de ton nami (j'y ai vu l'adresse de ton ami), - Je vous et en voié la letre an vous de menden de vos nous vel (je vous ai envoyé la lettre en vous

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CHANGEMENTS DANS LA FORME DES MOTS 103

demandant de vos nouvelles), etc. 1. » Aussi quand un maître d'école dit d'un enfant qu'il a l'orthographe naturelle, il y a vraiment de quoi rire, surtout lorsqu'il s'agit d'une orthographe aussi peu phonétique que la française.

Le mot change de forme suivant sa position dans la phrase:

Je ne sais pas (žở n sé pà), je n'en sais rien (ž n’ã sé ryē), la fenétre (fnètr), une fenélre (fànètr), trois femmes (trwà), trois enfants (trwàz), plait-il (plèt i), il plait (i plè), dix francs (di), dix heures (diz), il y en a dix (dis), tu pars (tü), tu as (tï), où vas-tu (u), où es-tu (w), il part (i), il y va (il i va), nous y allons (nuz y alõ), y est-il (y ét i), y est-il allé (y ét y alé).

1. On remarquera dans ces deux phrases, qui sont de la même personne, que l'auteur, qui a été à l'école un certain temps, mais paraît en avoir peu profité, met à part tous les éléments des mots où il croit retrouver des petits inots qui lui sont connus: la (drese), en (voië), de (menden), nous (vel).

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