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que sa voiture était avancée; je pris congé le plus honnêtement qu'il me fut possible de la maîtresse de cette maison, où je me promis bien de ne pas revenir pendant les vacances. Je fus près d'une heure avant de retrouver mon bonnet et ma canne, que cette troupe de marmots avaient cachés dans le jardin, et qu'ils s'amusaient à me faire chercher. Un laquais me les rapporta; nous partîmes. Pendant la route, je fis convenir Mme de L*** que des enfans élevés de cette manière ne pouvaient manquer d'être un jour des hommes fort insupportables et des femmes très-ridicules, et que si l'ancienne éducation mettait trop de distance entre les enfans et les parens, la nouvelle établissait entre eux des rapports trop familiers. Peut-être restet-il à trouver un terme moyen entre ces deux écueils.

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De quoi l'amour du gain ne rend-il pas capable?

Si je recommençais ma vie, et si j'étais libre de me choisir un état, ce serait encore à la marine que je donnerais la préférence. Je ne connais rien de plus honorable pour la nature humaine que la conquête de ce terrible élément, d'où la nature semblait nous avoir bannis. Rien ne m'a rendu plus fier de ma qualité d'homme que la vue d'un vaisseau voguant à pleines voiles sur les mers, bravant les écueils et les tempêtes, et réunissant des peuples que sépare l'immensité de l'Océan Quand je, pense que c'est au génie du commerce que l'art de la navigation doit sa naissance et ses progrès, l'admiration que pro

duit en moi l'effet remonte nécessairement à la cause. Je ne suis pas bien sûr, quoi qu'en ait dit Gessner, que ce soit un amant qui, le premier, ait eu l'idée de creuser un tronc d'arbre pour traverser le fleuve qui le séparait de sa maîtresse; mais ce dont je répondrais, c'est que le premier qui entreprit de se frayer sur mer un chemin sans trace au milieu des tempêtes et des abîmes (soit qu'il appartînt à la nation des Eginettes, comme le dit Moïse, ou à celle des Phéniciens, comme le prétend Strabon), dut être un homme éminemment hardi et industrieux, qui se proposa pour but de s'enrichir par un commerce d'échange avec les peuples des contrées lointaines. Le superflu, pour les nations civilisées, est peut-être un besoin plus impérieux que le nécessaire pour celles qui ne connaissent encore que les besoins de la nature. Il est plus aisé au sauvage de la Guiane de se priver d'une partie de sa ration de patattes, de la double natte qui lui sert de lit, qu'à un traitant de se passer de sucre, d'édredon et de liqueur de la Martinique; mais ce café dont le riche indolent aspire le parfum avant d'en savourer le goût, n'est arrivé de Moka, dans cette tasse de

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porcelaine de Sèvres qu'il tient négligemment à la main, qu'après avoir activé, dans les quatre parties du monde, cinq cents bras que le commerce fait mouvoir. Le commerce est le lien qui unit, qui rapproche tous les peuples de la terre; il adoucit les mœurs, il ajoute aux avantages de la paix, il affaiblit les maux de la guerre, et lorsque tout autre rapport a cessé d'exister entre deux nations, il ménage encore de l'une à l'autre un moyen de communication que la puissance souveraine elle-même ne saurait interrompre.

La volonté d'un commerçant, exprimée dans une lettre-de-change signée sur un comptoir de Lyon ou d'Amsterdam, recevra dans toute l'Europe une exécution plus exacte, plus rigoureuse que tel ordre d'un souverain appuyé par trois cent mille baïonnettes; tels sont les avantages et les bienfaits du commerce, dont je me détourne brusquement pour n'en plus considérer que les abus.

J'ai toujours remarqué que les abus étaient d'autant plus odieux qu'ils avaient leur source dans des institutions plus utiles et plus respecpectables; c'est ainsi que le fanatisme se produit à l'ombre de la religion; que les rapines de

quelques gens de robe s'exercent sous le voile de la justice; que les fureurs de l'ambition trouvent un prétexte dans l'amour de la gloire, et que les honteuses spéculations de l'agiotage s'autorisent du nom et des droits du commerce.

Les gens de mon âge se souviennent encore de l'impression qu'a laissée dans le souvenir et dans la fortune des familles le fatal système de Law,' qui mit la France à deux doigts de sa perte. Sa fatale influence fit éclore une nuée de vampires qui spéculaient, dans la rue Quincampoix, sur les malheurs publics, et qui ont eu pour héritiers naturels les agioteurs du Perron et les joueurs de la Bourse.

La Bourse, qui se tenait dans ma jeunesse rue Vivienne, à l'hôtel de la Compagnie des Indes, était le rendez-vous de tout ce qu'il y avait de plus considérable et de plus considéré dans une profession où l'honneur était la première mise de fonds. Ce qu'on appelait alors le crédit, était le résultat d'une réputation sans tache, d'une probité héréditaire, et d'une confiance établie sous ce double rapport. Ces vertus, exigées dans les premiers négocians, servaient de modèle à ceux des classes inférieures, et, de

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